Festival Bach : les Variations Goldberg chez les Violons du Roy

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : baroque / classique

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Amorcées et conclues par une même aria, les célébrissimes variations dont il est ici question avaient été écrites par Johann Sebastian Bach pour son élève Johann Gottlieb Goldberg, qui devait ensuite les jouer au comte insomniaque Herman Karl von Keyserling, afin de lui adoucir les mœurs jusqu’à l’atteinte d’un sommeil réparateur.

Près de trois siècles après leur composition, les Variations Goldberg sont parmi les plus jouées des œuvres pour claviers. On en a d’ailleurs goûté récemment une exécution phénoménale au Festival Bach, soit en octobre dernier à la Maison symphonique, gracieuseté du grand pianiste hongrois András Schiff. 

Passons maintenant à l’extrapolation orchestrale de cette œuvre fantastique, autre démonstration du génie contrapuntique de JSB. Alors? Les Variations Goldberg de JS Bach conservent-elles leurs qualités intrinsèques lorsqu’elles sont adaptées pour d’autres instruments que les claviers anciens, l’orgue ou le piano? 

À cette question, on a déjà répondu : grâce à son fondateur et maestro originel Bernard Labadie, les Violons du Roy en font l’éloquente démonstration depuis 1999. Et remettent ça ce dimanche au Festival Bach sous la direction de Nicolas Ellis, qui vient d’être nommé premier chef invité pour une période de trois ans à compter de septembre prochain.

Pour le lectorat de PAN M 360, le jeune chef en explique les tenants et aboutissants.


PAN M 360 : Cette adaptation pour orchestre peut-elle représenter un problème esthétique? Usurpation ou hérésie du côté des puristes? 

NICOLAS ELLIS : Je crois personnellement que les Variations Goldberg, c’est bien au-delà d’une œuvre pour tel ou tel instrument. C’est un contrepoint extraordinaire et ça devient aussi intéressant de l’apprécier en trio à cordes, en orchestre à cordes, pour autres formations. C’est donc une belle aventure que d’embarquer dans le projet de Bernard Labadie, d’autant plus que les musiciens de l’orchestre ont joué ces arrangements au cours des 20 dernières années et ont aussi joué la version pour trio à cordes.

PAN M 360 : Comment ça marche, l’adaptation d’une œuvre pianistique pour orchestre à cordes?

NICOLAS ELLIS : Nous partons de cette idée : le contrepoint et l’harmonie de cette pièce vont bien au-delà d’un seul instrument. Une adaptation pour orchestre peut ainsi jeter un autre éclairage à l’œuvre. Il faut rappeler que les Variations Goldberg avaient été arrangées pour un trio à cordes par Dmitri Sitkovetski (1985) et cette adaptation a été jouée plusieurs fois depuis. À partir de cette même idée, Bernard Labadie avait décidé de se lancer dans un arrangement pour orchestre à cordes. L’arrangement fut joué sur scène par les Violons du Roy en 1999 et enregistré en 2000.

PAN M 360 : Du trio à l’orchestre à cordes, la commande était considérable! Plus précisément, quel en était le défi?

NICOLAS ELLIS : C’était d’abord faire en sorte qu’on ressente que l’œuvre aurait été écrite pour orchestre à cordes. Lorsque, par exemple, une variation offre une polyphonie à deux notes, Bernard peut ajouter des notes supplémentaires à l’arrangement afin de « gonfler » l’harmonie. Il peut redistribuer les notes de l’œuvre aux instruments de manière à en faire ressortir l’harmonie proprement. Si, par exemple, on part à 4 instruments et puis à tout bout de champ ça tombe à deux ou trois voix, il faut créer des lignes pour les instruments qui soudainement ne jouent plus la partition originelle mais qui doivent continuer à jouer afin qu’on comprenne qu’il s’agit bien d’un discours orchestral. On peut aussi transformer en arrangements les ornements de la partition pour clavier seul.

Or, lorsqu’on transpose ça aux cordes, il ne s’agit pas simplement d’ajouter un instrument pendant une mesure pour couvrir toutes les notes du clavier, il faut plutôt trouver une façon de diversifier la proposition d’une variation à l’autre en différentes configurations, soit à deux musiciens, à trois musiciens, en orchestre à cordes, etc. 

L’idée , en somme, c’est que cette adaptation pour orchestre soit idiomatique, comme si c’était un concerto grosso avec des moments où c’est tout l’orchestre qui s’exprime et d’autres où c’est un nombre restreint d’instruments ou encore des solistes. Un travail colossal effectué par Bernard Labadie!

PAN M 360 : Aujourd’hui, cette transformation des œuvres classiques est peu courante. Quelle est votre perception?

NICOLAS ELLIS : Il faut rappeler que c’était une pratique généralisée à l’époque baroque, ça arrivait fréquemment à Bach lui-même de transformer un concerto pour violon en concerto pour claviers, de prendre une suite pour orchestre et de faire un duo, de prendre de vieux mouvements de cantates et de les intégrer à sa Passion selon Saint-Matthieu, ou encore de citer d’autres compositeurs dans ses oeuvres. Il n’y avait pas cette notion de propriété intellectuelle à son époque, on pouvait reprendre des musiques composées par d’autres et les imbriquer dans une œuvre différente. Ce que Bernard Labadie a fait, ça n’aurait pas du tout semblé étrange à l’époque baroque. 

PAN M 360 : Son adaptation a-t-elle évolué depuis 1999? 

NICOLAS ELLIS : Oui. Bernard a pu modifier légèrement l’arrangement au fil du temps, et c’est vraiment super ce qu’il a réussi à accomplir. Ça sonne comme si ça avait été écrit pour un orchestre à cordes, ça sonne vraiment comme un concerto grosso.

PAN M 360 : Quel est le rôle du maestro dans ce contexte?

NICOLAS ELLIS : Mon rôle est très agréable au moment où on annonce mon poste de premier chef invité aux Violons du Roy. C’est à l’image de ma collaboration avec les Violons du Roy : un échange. Je tente humblement d’apporter mon grain de sel dans ce que cet orchestre fait de mieux. C’est aussi une occasion pour moi d’accueillir et de mieux comprendre cette tradition bâtie pendant près de 40 ans. Ainsi, mon mandat de trois ans commencera en septembre 2023. Cette année déjà je fais trois programmes différents. Depuis ma première collaboration en 2018, je rôde de plus en plus autour des Violons du Roy! 

PAN M 360 : Quelle était votre connaissance de l’œuvre en tant que chef?

NICOLAS ELLIS : C’est la première fois que je m’attaque personnellement aux Variations Goldberg et c’est passionnant de le faire avec les Violons du Roy, des musiciens d’expérience qui connaissent bien l’oeuvre. Ces musiciens restent très ouverts et curieux dans le travail collectif pour trouver de notre propre interprétation de cette pièce. C’est à l’image de collaboration et d’échange qu’on veut développer ensemble, en tant que premier chef invité.

PAN M 360 : Pour un chef, quelle est la difficulté de diriger une telle adaptation?

NICOLAS ELLIS : Honnêtement, je disais que la direction des Variations Goldberg pour orchestre c’est du bonheur car tout est déjà si bien conçu! Quand on lit la partition, cependant, c’est intimidant de se trouver devant un tel génie. Il faut rester humble! Lorsqu’on regarde ça, on comprend pourquoi ça a été autant joué. C’est un immense chef d’œuvre de la littérature musicale et il faut arriver à en avoir une perspective d’ensemble, comprendre quel est le voyage derrière tout ça, comment s’approprier chaque variation pour qu’elles aient chacune leur propre caractère, qu’elles aient toutes quelque chose à dire. Lorsqu’on entend l’aria à la fin, on doit avoir ce sentiment d’avoir vécu un grand voyage.

PROGRAMME :

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Variations Goldberg, BWV 988 (arrangement pour cordes et continuo de Bernard Labadie)

ARTISTES :

Les Violons du Roy
Nicolas Ellis, direction
Pascale Giguère, Noëlla Bouchard, Nicole Trotier, Véronique Vychytil, Premiers violons
Pascale Gagnon, Angélique Duguay, Michelle Seto, Maud Langlois, Seconds violons
Isaac Chalk, Annie Morrier, Jean-Louis Blouin, Altos
Benoit Loiselle, Raphaël Dubé, Violoncelles
Raphaël McNabney, Contrebasse
Sylvain Bergeron, Théorbe
Mélisande McNabney, Clavecin

LES VIOLONS DU ROY SE PRODUISENT DIMANCHE, À 19 H 30, À L’ÉGLISE ST.ANDREW & ST.PAUL. POUR INFOS ET BILLETS, C’EST ICI.

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