Faten Kanaan : le choix du minimalisme et des cycles répétitifs

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Issue de cette nouvelle génération de compositeurs.trices sur la scène internationale, artistes enclins aux musiques répétitives et post-minimalistes, Faten Kanaan mérite notre plus grande attention.

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(Crédit photo : Lena Shkoda)

Résidante de Brooklyn, cette jeune compositrice aux origines moyen-orientales a choisi de ratisser le territoire du minimalisme et de la répétition. Férue de claviers, du piano aux synthétiseurs analogiques, Faten Kanaan fait partie d’une troisième génération à emprunter cette voie depuis les Steve Reich et Philip Glass de ce monde. A Mythology of Circles, son quatrième album, cette fois sous l’étiquette britannique Fire Records, a été primé par les médias spécialisés en musique qui s’intéressent au corpus post-minimaliste. PAN M 360 est l’une de ces plateformes de pointe, et voilà que Faten Kanaan accepte notre demande d’interview que voici. Jointe à Brooklyn, elle nous explique son parcours et ses choix.

PAN M 360 :  En tant que compositrice, vous semblez avoir étudié attentivement le minimalisme contemporain et la musique répétitive des États-Unis ou d’Europe, quel a été votre parcours à cet égard ?

FATEN KANAAN : J’ai étudié le piano et la musique classique quand j’étais plus jeune, puis j’ai joué très brièvement du violoncelle, de la harpe et du oud plus tard. Je n’ai jamais étudié la composition mais je me suis orientée vers le minimalisme en musique parce qu’il transmet une intentionnalité que j’admire. Chaque note choisie a un but. Et avec la répétition, le moindre changement peut avoir un effet profond. 

PAN M 360 : Quels sont pour vous les prochaines étapes de ces explorations post-minimalistes ?

FATEN KANAAN : Avec les frontières qui s’estompent entre les genres musicaux et ces artistes qui explorent les richesses d’instruments électroniques et acoustiques qui se chevauchent, je pense que c’est une période vraiment passionnante pour la musique, qui lui permet de développer son potentiel en tant que langage. Ce n’est pas seulement une question d’harmonies et de structure, mais aussi de mettre à profit les possibilités de timbre et de texture.

PAN M 360 : Votre culture musicale est évidemment plus vaste que le minimalisme de la musique contemporaine, quels sont les autres styles ou formes de musique qui vous intéressent ?

FATEN KANAAN : Les musiques de film ont une grande influence sur moi, tout comme certaines musiques folkloriques de différentes cultures. Et la musique que j’aime écouter fait généralement écho à ma propre sensibilité.

PAN M 360 : Vous semblez utiliser différents claviers (y compris le piano et l’orgue) et d’autres appareils électroniques, tant pour les overdubs que votre son d’ensemble, pouvez-vous nous expliquer ?

FATEN KANAAN : J’aime être minimale dans le matériel que j’utilise, afin de pouvoir vraiment apprendre à connaître un instrument et exploiter pleinement ses possibilités. Chaque synthétiseur/instrument possède un son qui lui permet de briller. Sur mes premiers albums, je me suis servi d’un vieux Sequential Circuits Prophet 600, mais je voulais quelque chose de plus compact et solide pour les tournées, et avec un filtre plus brillant, alors j’utilise un synthé OB-6 depuis trois ans.

Ma configuration pour les concerts et pour l’enregistrement sont deux choses assez différentes. Pour les concerts, j’utilise exclusivement le synthé OB-6, avec un clavier contrôleur MIDI et une vieille pédale de guitare Loop Station Boss RC-20XL (sans MIDI). Le boucleur possède un flot naturel agréable et je m’y suis habituée. Parfois, ses limites me freinent un peu, j’envisage donc me procurer un nouveau boucleur qui me donnera plus de liberté sur scène d’un point de vue compositionnel. Comme j’ai commencé à me produire sur scène en tant que pianiste classique, il demeure important pour moi de tout jouer en direct, afin que le public puisse faire le voyage avec moi et comprendre comment une chanson se construit, strate par strate. 

Pour les enregistrements, je peux explorer pleinement une composition sans les limites en question. Pour moi, le flot de la boucle ne se prête pas aux enregistrements, alors je joue manuellement les parties répétitives sans elle. J’utilise l’OB-6, puis j’ajoute quelques instruments VST selon les besoins de la pièce. Chaque morceau naît différemment mais la plupart du temps, je superpose les harmonies/accords principaux d’une chanson en prises individuelles de 5 à 7 minutes (oui, mes mains se fatiguent) jusqu’à ce que j’obtienne la charpente d’une piste. Je commence alors à enregistrer tous les segments plus courts de l’arrangement; le montage et le mixage se font au fur et à mesure. Le processus de mixage fait partie intégrante de l’arrangement. C’est formidable d’entendre une chanson se nuancer au fur et à mesure que sa structure et son esprit prennent forme. 

PAN M 360 : En tant que musicienne, comment avez-vous été formée ? Où avez-vous étudié ?

FATEN KANAAN : J’ai étudié le piano quand j’étais enfant et j’ai adoré. J’avais envisagé de postuler pour un conservatoire, mais j’ai décidé de m’inscrire en arts libéraux à l’université. J’ai déménagé aux États-Unis et j’ai commencé par faire deux majeurs en beaux-arts et en biologie (avec une spécialisation en génétique). J’ai rapidement laissé tomber la bio/prémédecine et j’ai fait une mineure en littérature française à la place. Pendant ce temps, j’ai continué à jouer, juste pour le plaisir, et j’ai occasionnellement participé à des réunions informelles avec des groupes d’amis. J’ai fait ma maîtrise en beaux-arts (peinture et sculpture), mais je me suis souvent sentie plus à l’aise pour m’exprimer par la musique et les performances. Il m’a fallu des années avant de faire le saut et de considérer la musique comme une voie principale, et je suis si heureuse de l’avoir finalement fait.  

PAN M 360 : En tant qu’auditrice et mélomane, quels sont les genres, artistes ou périodes de l’histoire de la musique que vous préférez ?

FATEN KANAAN : Oh, je n’ai pas vraiment un genre musical préféré… J’aime les musiques de films, les drones ambient, la musique chorale du Moyen-Âge et de la Renaissance, la musique arabe, la pop française et italienne des années 60 que mes parents écoutaient souvent, la musique folk, industrielle, no wave, électronique…

PAN M 360 : Appartenez-vous à une communauté musicale ? Partagez-vous des activités créatives avec d’autres artistes ?

FATEN KANAAN : Je suis très reconnaissante envers la communauté musicale de New York et celles d’autres villes – les artistes comme les ingénieurs du son. Il m’est réconfortant de voir à quel point les gens se soutiennent les uns les autres tout en conservant leur propre pratique. Et comme l’internet facilite les connexions internationales, il a été merveilleux de renouer avec la communauté musicale de Beyrouth, au Liban (et d’Amman, en Jordanie) récemment. Cela a été très satisfaisant de retrouver des collègues « chez eux ». De plus, le Royaume-Uni m’a particulièrement soutenu ces dernières années. J’ai vraiment établi un lien avec les artistes, les labels et le public de ce pays.

PAN M 360 : A propos de Brooklyn, aimez-vous toujours y vivre ?

FATEN KANAAN : J’aime toujours Brooklyn et ma communauté d’ici, mais j’espère retourner en Europe l’an prochain.

PAN M 360 : Votre parcours est diversifié. Pouvez-vous expliquer d’où vous venez, d’où viennent vos ancêtres, où vous avez été élevée et comment ce contexte spécifique a eu un impact sur votre métier, consciemment ou inconsciemment ?

FATEN KANAAN : Je suis d’origine syrienne, palestinienne, jordanienne et libanaise. Je suis née en Allemagne et j’ai vécu entre l’Europe et le Moyen-Orient avant de partir aux États-Unis pour étudier à l’université. Parfois, j’ai le sentiment étrange de ne pas appartenir à un endroit ou de ne pas me sentir chez moi nulle part, mais, de façon plus positive, chaque lieu avec lequel j’ai des affinités devient un port d’attache. Et, musicalement, je peux tirer profit de toutes ces expériences.

PAN M 360 : Vous questionner sur votre condition de femme compositrice est-il selon vous encore pertinent ? Certaines femmes compositrices refusent d’en parler… Certaines croient même que c’est du journalisme paresseux que de poser cette question. D’autres pensent que cela demeure pertinent et disent qu’il y a des manières et des sensibilités spécifiques dans les processus de composition au féminin, qu’en pensez-vous ?

FATEN KANAAN : Je pense qu’il est important, lorsque l’on parle de genre, de race ou d’ethnicité, de toujours se rappeler qu’au sein de chaque groupe existe une diversité de voix. Aucune femme ne parle au nom de toutes, chacune aura des expériences, des limites et des objectifs différents. Pour ma part, je n’aime pas être étiquetée « femme compositrice », car ce n’est qu’un aspect de mon identité. Je suis d’abord un être humain. Ma musique ne sonne pas différemment parce que je suis une femme, mais plutôt parce qu’elle puise dans les diverses expériences qui font qui je suis… tout comme la vision de chaque musicien est unique. Mon sexe n’a jamais dicté ce que je fais musicalement, ni à qui je m’associe ou à qui je me rapporte. Je crois en l’esprit d’inclusion.

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