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PAN M 360 : Comment vos musiques respectives ont-t-elles bourgeonné pour devenir ce qu’est celle de votre groupe aujourd’hui?
Silvia : Venir à Barcelone en 2014 et travailler à Màgia Roja (à la fois une étiquette et un centre culturel alternatif, fermé depuis décembre dernier) a complètement changé ma vie. Ici, j’ai découvert la plupart des musiques qui ont sculpté mes goûts. Après quelques années d’immersion dans cette contre-culture assez particulière, j’ai décidé que je voulais faire quelque chose par moi-même et j’ai fini par jammer avec Víktor et enregistrer ce qui allait devenir la première chanson de Dame Area, Luce. C’était à la fin de l’année 2015.
Nous n’avons recommencé à faire des chansons qu’au début de 2017. Au départ, nous n’avons pas parlé de l’identité que nous voulions avoir, nous nous sommes juste remis à jouer et peu à peu nous avons réalisé que nous avions quelque chose de spécial.
Víktor : En plus de réaliser des disques et d’enregistrer pour plusieurs musiciens, j’ai joué dans différents projets au cours des 15 dernières années. Le premier sérieux a été le groupe Qa’a. Le concept était de faire du minimalisme psychédélique et tribal et de le combiner avec ce que Can, This Heat et Nurse With Wound faisaient en studio. Fin 2013, j’ai commencé un trio, Ordre Etern, dans lequel je chantais et mettais au point des guitares/instruments faits maison, très influencé par Swans, Einstürzende Neubauten, le power electronics et le black metal. En 2015, j’ai commencé à faire dj chaque semaine à Màgia Roja et j’ai continué jusqu’à sa fermeture. Dame Area est né quelques mois après la fin d’Ordre Etern en 2017 et j’ai tout de suite compris que jamais je n’avais eu de collaborateur.trice comme Silvia.
PAN M 360 : Màgia Roja semble déborder du simple cadre de la salle de spectacle, quel effet cet espace de création a-t-il eu sur votre projet musical?
Silvia : D’abord, Dame Area n’existerait pas si Màgia Roja n’avait pas existé, et cela explique assez bien le lien étroit entre les deux. Tout ce que nous avons vécu, appris et découvert grâce à Màgia Roja nous a façonnés en tant que personnes, ce qui s’est ensuite traduit par la musique de Dame Area. Une sorte de relation symbiotique.
Víktor : Nous n’avions jamais connu un tel endroit, ce qui le rend d’autant plus difficile à décrire. Peut-être pourrions-nous dire que c’était un anti-club, un lieu de liberté, complètement fou. Les membres s’y comportaient néanmoins comme une sorte de famille élargie. Les gens y dansaient en communion sur des sons qu’on n’est censé entendre que dans sa chambre. Il s’y passait spontanément toutes sortes de choses étranges et surréelles.
PAN M 360 : Vu le contexte de crise actuel, comment s’est effectué le lancement de ce dernier EP?
Víktor : Il n’y a pas eu de lancement officiel, mais avant l’arrivée du virus, j’ai fait jouer presque toutes les chansons à un moment donné à Màgia Roja, avant de les jouer en concert, pour les tester en quelque sorte. En particulier La Notte É Oscura et La Soluzione É Una qui sont devenues des sortes de succès locaux.
PAN M 360 : C’est votre cinquième parution en deux ans seulement, en plus de beaucoup voyager, comment répartissez-vous votre temps entre création, répétitions et tournées?
Silvia : Depuis que nous avons créé Dame Area, le groupe a toujours été notre passion. Lorsque nous travaillions à Màgia Roja, nous pouvions nous organiser pour faire une tournée chaque fois que nous en avions besoin, et je pense que c’est un point clé par rapport à un travail normal où il aurait fallu attendre nos vacances pour le faire. Nous vivons à l’étage de Màgia Roja et nous avons toujours répété et enregistré (et nous le faisons toujours) dans la salle elle-même, ce qui est très pratique, car tout le matériel est déjà là et il suffit de descendre. Cela permet d’enregistrer des chansons assez rapidement aussi.
Víktor : Nous sommes tous les deux très créatifs et nous nous complétons assez bien. Je suis plus obsédé par les détails et le son, tandis que Silvia est très douée pour ne pas compliquer les choses et mener à terme ce que nous entreprenons. On peut donc dire que nous nous équilibrons. Notre musique se fait un peu de façon anarchique, nous gardons les meilleures idées, peu importe qui a fait quoi. À la fin, la musique est répartie de façon égale.
Nous n’aimons pas sortir de morceaux qui font remplissage, il y a donc beaucoup de chansons jetées et d’expériences ratées. Jusqu’à présent, toutes nos chansons, sans exception, ont été diffusées à la radio, ce qui est assez remarquable pour nous et ce serait bien que cela continue ainsi.
PAN M 360 : Sur La Soluzione é Una, nous retrouvons la signature industrielle-tribale de votre album Centro Di Gravitá, comment avez-vous abordé la création de ce dernier opus?
Silvia : Les chansons de La Soluzione é Una ont été enregistrées entre 2018 et 2019. Ce n’est qu’à l’automne de l’année dernière, lorsque nous avons décidé de sortir un autre mini-album, que nous avons choisi dans nos fichiers les chansons qui les complèteraient le mieux, c’est comme ça qu’il a pris forme. Trois des chansons portent cette signature parce que c’est comme ça que ça sonne pour nous, mais ce n’était ni voulu ni prévu.
Víktor : Il y a deux ou trois chansons avec des éléments tribaux, mais nous considérons cette sortie plus industrielle-synthétique. Nous n’avons pas mis d’autres chansons tribales dans cet EP parce que nous les gardons pour notre deuxième album et nous avons créé beaucoup de chansons dans un style « tribal froid » pour ainsi dire. Il y a des accents de Throbbing Gristle, mais je pense que nous sommes de plus en plus influencés par nous-mêmes, par ce que représente le groupe.
PAN M 360 : Les paroles jouent un rôle central dans votre musique, comment celles-ci voient-elles le jour?
Silvia : Les paroles sont toujours de moi, même si parfois Víktor me suggère un sujet ou un concept. Je suis très intéressée par les processus d’apprentissage de nouvelles langues et par la façon dont fonctionne l’esprit d’un polyglotte. Cela m’a ainsi amené à écrire des paroles dans la plupart des langues que je parle.
J’ai commencé à chanter surtout en italien. C’était une façon de me connecter à mon moi intérieur de parler ma langue maternelle que je n’utilise jamais à Barcelone. Et le fait de ne plus l’utiliser régulièrement m’a aidé à trouver ma propre musicalité de la langue, mieux que si je vivais en Italie et la parlais tous les jours. D’une certaine manière, j’ai eu envie d’avoir moins de règles en tête et plus de liberté dans l’utilisation des mots et de la syntaxe. Ensuite, j’ai commencé à faire des chansons en espagnol et aussi en turc comme sur le morceau Zaman çabuk geçiyor et en allemand.
Chaque langue a sa propre musicalité et la rechercher est comme un défi et un jeu en même temps qui m’amène à de nouvelles idées, de nouvelles mélodies. Chaque langue est liée à un aspect différent de mon caractère et de ma personnalité, chacune me permet d’exprimer différents aspects de moi-même.
PAN M 360 : La situation relative à la crise de la COVID-19 a été assez difficile en Espagne, comment cette situation, aussi complexe soit-elle, peut-elle se traduire en musique?
Silvia : Nous ne comptons plus les journées de confinement. D’une part, cette pause forcée nous a donné le temps de travailler sur notre musique. Nous avons terminé nos deux prochaines parutions et nous avons fait une dizaine de nouvelles chansons ces dernières semaines. La musique ces jours-ci nous aide plus que jamais à échapper à la réalité du monde extérieur. Nous devrons trouver la lumière au bout du tunnel, je suppose. Et la musique nous aidera à y arriver. Mais qui sait vraiment ce qui va se passer dans deux semaines?