Armé de la musique la plus avancée du 15e siècle, le SMAM triomphe!

Entrevue réalisée par Frédéric Cardin

Le Studio de musique ancienne de Montréal (SMAM) propose L’Homme armé, un extraordinaire voyage dans le temps, à la Cour de Bourgogne de la fin du 15e siècle, une ère de guerre mais aussi de musique exceptionnelle.

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Andrew McAnerney dirige le Studio de musique ancienne de Montréal (SMAM) depuis 2015. Lui-même chanteur et choriste formé à Oxford et ex-membre des fabuleux Tallis Scholars, il vient de sortir avec sa formation montréalaise un album épatant et somptueux consacré à la musique chorale polyphonique de la fin du 15e siècle à la Cour de Bourgogne.

Lisez notre critique de l’album

L’occasion était idéale pour parler de la beauté complexe et envoûtante de la musique polyphonique de cette époque lointaine, et particulièrement du contexte unique faisant de la Bourgogne un chaudron parfait pour brasser les ingrédients de tout le développement ultérieur de la musique occidentale.

Pan M 360 : Bonjour Andrew. Expliquez-nous d’abord quelle est cette pièce, L’Homme armé, qui donne son titre à l’album. Pourquoi l’avoir choisie?

Andrew McAnerney : Cette chanson était très populaire à son époque. Tout le monde la connaissait. Nous ne sommes pas certains de son origine exacte. Peut-être a-t-elle été écrite en référence à la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, ou parle-t-elle des nombreuses guerres entre d’innombrables petits royaumes, duchés et autres principautés qui pullulaient à l’époque? Une source très plausible est aussi la Guerre de Cent Ans, qui était terminée depuis 1453 et avait laissé de terribles souvenirs aux populations, les atrocités commises par les soldats généralement sous-payés, les ‘’hommes armés’’, ayant marqué les esprits de bien sordide façon. L’auteur et compositeur de la chanson devait savoir exactement de quoi il parlait en disant ‘’méfiez-vous de l’homme armé’’, et ses contemporains étaient certainement d’accord!

En ce qui concerne le titre, je l’ai choisi car je souhaitais quelque chose d’attrayant et qui pourrait susciter l’intérêt du public et être facile à mémoriser.

Pan M 360 : Cela dit, l’écoute sera surprenante si on présume une musique ‘’guerrière’’ et agressive. Ce n’est pas du tout le cas!

Andrew McAnerney : Non en effet! Cette musique est merveilleusement apaisante, même les pièces les plus virtuoses. La richesse des harmonies enveloppe et transporte dans un incroyable voyage dans le temps et l’espace.

Pan M 360 : Pourquoi la musique de cette région est-elle si intéressante?

Andrew McAnerney : La Cour de Bourgogne avait déjà un siècle de patronage des arts et de la musique de qualité à la fin du 15e siècle. La Bourgogne était l’une des plus riches et prospères régions du continent. Alors, ils avaient les moyens d’investir dans les arts, un rayonnement à ne pas négliger à l’époque (et même aujourd’hui d’ailleurs). Qui plus est, il y avait un autre avantage important : la musique sacrée est un investissement rentable pour tout monarque ou aristocrate qui souhaite s’assurer un passage profitable de l’autre côté de la vie terrestre. Quand on veut aller au Paradis, on prie, et quand on est riche, on peut même se payer un passage accéléré en commandant la plus belle musique en hommage à Dieu!

Les meilleurs musiciens étaient donc invités et payés dignement pour écrire la meilleure musique. Sur l’album il y a un Credo exceptionnel dans lequel deux rythmes se superposent en même temps, un 8 et un 9, ce qui est très difficile à maîtriser. Mais aux oreilles de la personne qui écoute, rien ne paraît, aucune aspérité ou cafouillage sonore, tout est fluide et superbement envoûtant.

Je trouve cela fascinant!

Pan M 360 : Diriez-vous qu’il s’agit de la musique la plus avancée de son époque?

Andrew McAnerney : Il est difficile de répondre définitivement, car nous n’avons que peu accès à ce qui se faisait ailleurs, du moins pas avec autant de précision. Mais en toute probabilité, oui, on peut dire que cette musique est fondamentale si l’on veut comprendre tout ce qui viendra ensuite dans la musique occidentale.

Photo : Katya Konioukhova

Pan M 360 : Avez-vous apporté des modifications significatives à l’ensemble et à son répertoire depuis que vous avez pris les renes en 2015?

Andrew McAnerney : Non, je préfère bâtir sur la riche et longue route que mon prédécesseur a tracé avec brio durant sa vie avec l’ensemble. J’ai à cœur de poursuivre dans la même direction et apporter ma modeste contribution dans une histoire déjà bien étoffée. Mais, cela dit, j’ai des préférences personnelles, qui proviennent de ma formation en chant a capella de la Renaissance. J’aime les longues lignes legato et la diction très claire, limpide.

Pan M 360 : Quels sont les atouts particuliers d’un ensemble comme le SMAM pour vous?

Andrew McAnerney : Le fait d’avoir un ensemble constitué de chanteurs qui sont individuellement aussi bons! Ils sont tous excellents et chacun mène une riche carrière. J’ajoute à cela l’incroyable bassin de talents qu’il y a dans cette ville en termes de musique ancienne instrumentale! C’est fou! Je ne vois cela nulle part ailleurs en Amérique du Nord. Dans l’album, nous avons trois sacqueboutiers et ils sont tous ici, tout près! Je ne vois pas beaucoup de villes, même en Europe, capables d’avoir accès à cette richesse. Montréal déborde de musiciens de grande qualité!

Mais tout ça ne serait pas possible sans le support, excellent, des gouvernements, ici au Québec. Imaginez, nous sommes appuyés par la ville, la province et le gouvernement fédéral. C’est une chose rare dans le monde! Je regarde ce qui se passe au sud de la frontière, et même dans mon pays d’origine, l’Angleterre, et j’ai le cœur brisé. Même dans le reste du Canada, c’est le silence en période de pandémie. En Ontario, on ne peut même pas répéter en respectant les distances. Il n’y a pas de concerts, ou presque, alors que nous avons fait plusieurs activités diffusées en ligne. Évidemment, je suis conscient que beaucoup de musicien.nes souffrent quand même beaucoup, et tout mon coeur est avec eux et elles. Mais, quand on se compare, on se console.

Photo : Katya Konioukhova

Pan M 360 : Cette musique est si belle et inspirante, mais c’est encore un défi de la faire paraître ‘’pertinente’’ pour une large partie du public, n’est-ce pas ?

Andrew McAnerney : C’est vrai, et c’est une mission que nous tentons d’accomplir de toutes sortes de manières. Vous savez, la plupart des compositeurs de cette époque sont des hommes, et la totalité sont blancs. Mais il y a des façons d’apporter un peu de diversité dans ce contexte. Nous avons par exemple créé un programme constitué uniquement de compositrices. Nous avons aussi donné un concert consacré à la musique de l’Empire ottoman, et j’ai récemment passé commande pour des arrangements de chansons Métis, que je souhaite interpréter aux côtés de pièces de Purcell. La connexion avec les racines d’ici est très importante et il y a toutes sortes de bonnes façons de le faire.

Pan M 360 : Ressentez-vous cette exigence de diversité comme une pression?

Andrew McAnerney : Non, pas une pression, juste une pratique normale et souhaitable. C’est constructif artistiquement, mais également en termes de développement de public.

Pan M 360 : Envisagez-vous un programme spécial, voire spectaculaire pour le jour où vous pourrez retrouver un public en salle?

Andrew McAnerney : En vérité, non. D’abord parce que nous ne savons pas quand ça arrivera, et je pense même que ce sera plutôt d’une façon graduelle qu’un retour festif, une journée précise.

Non parce que, de toutes manières, nous avons les yeux (et les oreilles) rivés sur le 50e anniversaire d’existence du SMAM, en 2024. pour l’occasion, j’aimerais que l’on fasse les Vêpres de Monteverdi.

Pan M 360 : Vous avez raison, c’est certainement plus sage ainsi! Merci

Andrew McAnerney : Merci à vous!

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