Exploit. Prouesse. Vision. Inédit. Raffinement extrême. Les superlatifs ne suffisent pas pour résumer cette performance de la soprano canadienne Barbara Hannigan, capable d’assurer une solide direction d’orchestre tout en interprétant magnifiquement La voix humaine, un texte de Jean Cocteau (1889-1963) sur une musique du compositeur moderniste Francis Poulenc (1899-1963), soit le nec plus ultra de la culture française au siècle précédent.
Ç’aurait pu se limiter à l’exploit technique : chanter, incarner un personnage et diriger un orchestre simultanément, tout ça tient de l’inédit. Oui, convenons que ça a été déjà fait auparavant, mais une forme aussi achevée ? Aussi virtuose? Peu probable.
D’entrée de jeu, Hannigan a dirigé une œuvre post-romantique de Richard Strauss (1964-1949) composée au crépuscule de sa vie, soit à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Bouleversé par les conflits et par une Allemagne en perdition aux conséquences dramatiques pour ses équipements culturels dont un théâtre de Munich dont il fut longtemps le directeur artistique, Strauss s’était réfugié dans les écrits de Goethe, dont La métamorphose des plantes qui aurait inspiré Métamorphoses TrV290, une œuvre continue de 26 minutes pour un peu plus d’une vingtaines d’instrumentistes et dont l’objet est d’exprimer calmement et sombrement le cycle de la vie, même au plus bas étage de l’existence.
On a alors l’occasion de contempler la relation entre la cheffe invitée et l’OSM, très à l’écoute dans le contexte avant le plat de résistance. Imaginez alors une chanteuse lyrique camper le rôle de cette pauvre femme qui parle au téléphone à l’homme qu’elle aime tant, apparemment au bout du fil, communication parfois interrompue par les problèmes techniques inhérents à la préhistoire du téléphone – la fin des années 20. Tout au long de la trame dramatique, la femme abandonnée par son amant multiplie les reproches et les supplications jusqu’au dernier degré du désespoir, tout en laissant quelques gravats de lucidité sur le site dévasté de son drame amoureux. La tâche de la soprano, comprendrez-vous, est immense : avec un orchestre symphonique, elle doit interpréter une œuvre majeure d’une quarantaine de minutes. Suffisant? Nenni.
Imaginez maintenant que, hormis cette tâche déjà complexe à honorer, Barbara Hannigan dirige La voix humaine simultanément l’Orchestre symphonique de Montréal. En toute fluidité! On imagine qu’un travail colossal a dû être accompli pour lier gracieusement la gestuelle du personnage et celle des consignes données à l’orchestre en temps réel. Et c’est mission accomplie, devant un auditoire ébahi qui l’applaudit à tout rompre pendant de longues minutes au terme de cette performance d’exception.
Vu qu’elle vit en France depuis 2015 après un séjour de 6 ans en Hollande à partir de 2009, et que son éducation canadienne l’avait déjà ouverte au bilinguisme, le français de Barbara Hannigan est exemplaire. Qui plus est, il souscrit aux règles de la prononciation du chant lyrique de tradition française – notamment ces R généreusement roulés comme on les prononçait jadis dans une large part de l’Hexagone.
La théâtralité de son jeu est exemplaire, magnifiée par une brillante mise en scène (Clemens Malinowski) assortie d’une captation vidéo multi-images superposées en temps réel sur grand écran (Denis Gueguin). On notera au demeurant que la voix est amplifiée et qu’il ne pourrait en être autrement dans un tel contexte. Si la chanteuse fait dos au public durant la majeure partie de l’exécution, l’amplification est de mise pour que la soliste puisse être intelligible avec un orchestre symphonique. Cette théâtralité s’avère des plus sobres, minimalistes, d’un grand raffinement. Le jeu entre l’écran et la performance en temps réel est extraordinairement efficace et l’orchestre d’une soixantaine d’interprètes répond parfaitement aux consignes de la maestra.
Car nous avons ici affaire à une grande maestra doublée d’une grande soprano, accourez voir et l’entendre cette femme aux talents quasi surnaturels pendant son séjour montréalais!
Le même programme est présenté ce jeudi, 19h30, à la Maison symphonique, INFOS ET BILLETS ICI