On apprécie Jason Moran depuis les années 90. Ce n’est pas fini ! Il était une recrue du mythique label Blue Note, alors devenu une des marques d’un puissant consortium multinational. Jason Moran, lui, n’est pas devenu la vedette d’une major de la musique. Il demeure aujourd’hui un musicien respecté, voire admiré des connaisseurs de la chose jazz, il fait son chemin sans compromis et gagne sa vie honorablement.
Depuis qu’on le connaît, il se produit principalement au Gesù lorsqu’il fait escale à Montréal… et le revoilà dans la même salle à guichets fermés, en ce lundi 1er juillet.
Jason Moran n’est peut-être pas le plus fluide des pianistes, son style rocailleuxet très ouvert s’inscrit néanmoins dans une longue lignée de pianistes afro américains, sa technique est même alimentée car elle évoque les générations antérieures de pianistes rocailleux en tout respect.
Les pianistes de jazz affichant une certaine rugosité étaient autrefois monnaie courante. On pense à James P Johnson, Fats Wallor ou Willy The Lion Smith dans les années 10-20, Duke Ellington, Billy Strayhorn ou Count Basie dans les années 20-30-40, Art Tatum, Teddy Wilson, Mary-Lou Willams dans les années 30-40-50 Thelonious Monk, Jaki Byard, Barry Harris, Andrew Hill, Mal Waldron ou Cedar Walton dans les années 50-60 et ainsi de suite. Le jeu pianistique du jazz moderne est devenu progressivement fluide et virtuose mais plusieurs pianistes en on conservé des éléments plus plus rudes, et c’est le cas de Jason Moran.
Toujours est-il qu’il a choisi de construire ce programme autour de Duke Ellington, pianiste visionnaire et compositeur immense. À l’époque où le jazz était une forme populaire, première sophistication d’une tradition orale, Ellington fut le premier très grand architecte de cette sophistication. C’était l’objet de ce programme suave et superbement construit.
Malgré certaines limites techniques qui sont peu apparentes vu son approche très contemporaine (et donc dissonante ou atonale à certains moments), notre hôte demeure un interprète et improvisateur des plus personnels; au fil du temps, il a su imaginer un style unqiue en fonction de sa connaissance profonde de l’histoire du piano jazz, des techniques étendues du vocabulaire contemporain, et de son propre talent de pianiste. Il sait exploiter le registre grave du clavier et produire de puissants effets de réverbération. Il sait être véloce de la main droite et ne s’en tient pas à un jeu parfaitement consonant. Néanmoins, il ramène invariablement les séquences plus expérimentales de son jeu dans les harmonies consonantes et les notes bleues que nous avons tous et toutes intégrées, consciemment ou non.
En somme, une leçon d’histoire et un moment de grande suavité.