NEM et Le Vivier | Concert d’ouverture du NEM : Explorations et fascinations

par Rédaction PAN M 360

Le Nouvel ensemble Moderne (NEM) entreprenait lundi soir sa 35e saison. Un concert qui mélangeait les divers horizons de l’ensemble, entre créations, réarrangements et répertoire contemporain, tous ont pu trouver leur plaisir dans les sonorités éclatantes de ces musiciens aux talents clairs et certains.

Parmi les musiciens, on note la présence de François Vallière à l’alto, qui a réalisé l’arrangement de la première pièce de John Rea pour 15 instruments, et qui a été excellent tout au long de la soirée. C’est en fait le mot d’ordre pour la totalité des musiciens : l’excellence. De la clarté des sonorités jusqu’à la justesse, en passant par la richesse des timbres, on peut difficilement remettre en question la qualité d’interprétation des œuvres, surtout des créations. L’intensité des percussions, opérées par Julien Grégoire, est à saluer. Et évidemment, le tout était mené avec calme et assurance par la main adroite de Lorraine Vaillancourt, la cheffe fondatrice de l’ensemble, cette 35e saison étant sa dernière à la barre du NEM.

Des quatre pièces du programme, trois étaient des créations, dont deux étaient totales. Les Tableaux de La Meninas de John Rea, des variations s’inspirant des Kinderszenen de Schumann, se présentaient comme de délicieux tapas musicaux, prenant la forme de pastiches de différents compositeurs marquant du 20e siècle. Très divertissant et on aimerait en entendre plus! La première des deux créations qui suivent, soit celle de Samuel Andreyev nommée Contingency Icons, explore efficacement les timbres et joue avec les extrêmes. Le début rappelle un des mouvements du Sacre du printemps de Stravinsky, ce qui en fait une superbe transition, puisque le Rea se terminait sur un pastiche de ce dernier. La seconde création, La persistance, l’éphémère de Tomás Diaz Villegas, explorait quant à elle les différents effets et rythmes que les instruments de l’ensemble pouvaient offrir.

La dernière œuvre, la pièce de résistance en quelque sorte, était Secret Theatre de Harrison Birtwistle. Elle se présente comme une synthèse des autres œuvres présentée ce soir-là, avec des éléments qu’on retrouve au centre de ces dernières, mais sous une forme plus structurée. On retrouve aussi des éléments nouveaux, comme des glissages aux cordes qui frôlent le microtonal, ou encore des mouvements physiques par les musiciens, qui montent graduellement sur une scène à l’arrière au fil de la pièce. Intrigante, la pièce est chaleureusement applaudie par le public et on en fait l’éloge après le concert.

La salle du Studio Théâtre de l’Espace Danse de l’Édifice Wilder était agréablement pleine. La présence d’une belle délégation dans le public témoigne de l’importance du NEM pour la scène musicale contemporaine montréalaise et québécoise.

Une belle ouverture pour cette saison anniversaire!

Vous pouvez en apprendre plus sur les prochains concerts du NEM ICI.

Pour connaître la programmation complète du Vivier, c’est ICI.

Crédit photo : Philippe Latour

PHÉNOMÉNA & Arts in the Margins | Java, Bali et Sumatra au programme

par Laurent Bellemare

Quelques jours plus tôt, à son quartier général de La Sala Rossa, le festival Phénoména accueillait un événement unique organisé par Arts in the Margins. Il est effectivement rare de recevoir la visite d’artistes venus d’Indonésie de notre côté de  l’océan. C’est pourtant trois fameux artistes de musique électronique expérimentale des îles de Java, Bali et Sumatra qui nous étaient présentés. Réunis sous la bannière du label javanais Yes No Wave Music, tout ce beau monde était en pleine tournée canadienne afin de présenter un bel échantillon de ce qui se fait de mieux dans l’archipel sud-est asiatique.

Wok the Rock

Le DJ Wok the Rock, fondateur du label Yes No Wave Music, avait la tâche de démarrer la soirée. Il a su réchauffer la salle, déjà bien remplie, en présentant des mix tout aussi intrigants qu’accrocheurs. En guise d’introduction, l’artiste échantillonnait la voix du chanteur Rully Shabara, connu pour son travail avec Senyawa, créant une atmosphère particulière alors que les mots en bahasa indonesia étaient répétés en un rythme saccadé. Un second échantillon de cette même voix allait d’ailleurs être entendu plus tard, à la fin de sa prestation. Entretemps, Wok the Rock travaillait avec des trames fort diversifiées, des tambours de hsaing waing birmans aux sonorités plus synthétiques. Sur le plan du rythme, la musique avançait souvent à deux vitesses, superposant des rythmes effrénés à une texture sonore plus lente et libre. Le tout progressait de temps à autre, ponctué par de surprenantes modulations rythmiques. Chose certaine, c’est qu’une partie de la foule semblait déjà être entrée dans une transe psychédélique, ce qui n’allait que s’amplifier au fil de la soirée.

Rani Jambak

Rani Jambak est une artiste sonore minangkabau, groupe ethnoculturel habitant la province de Sumatra du Nord. Toute sa démarche est axée sur l’écologie et la réutilisation des sons de son environnement naturel et culturel, dotant sa musique d’un univers sonore riche et unique. Afin de voyager léger, elle n’a malheureusement pas fait grâce à son public du Kincia Aia, instrument qu’elle a inventé et qui s’inspire des moulins à eau traditionnels. Plutôt, elle offrait une performance minimaliste avec ordinateur et microphone, assumant ici un côté dansant. Même son entrée en scène était faite dans les règles de l’art de la musique électronique, soit en prenant graduellement la place de Wok the Rock en mode back to back. Si tout était pulsé et très accessible, la musique de Jambak était également colorée par des environnements sonores urbains et forestiers inconnus du grand public. L’artiste possède également une voix remarquable, qu’elle a mise à profit en chantant de nombreuses pièces vocales. Il faut souligner l’excellence de l’exécution des lignes vocales, qui étaient non seulement parfaitement justes mais remplies d’expressivité, chose dont témoignaient également les mouvements corporels de Jambak. L’échange d’énergie constant entre l’artiste et son public aura fait de ce moment le clou de la soirée.

crédit photo Rani Jambak : Deanna Radford 

Gabber Modus Operandi

Résidants sur l’île de Bali, les deux artistes de Gabber Modus Operandi sont explicites quant à leur musique. Ils créent ensemble un gabber électronique rapide, agressif et psychédélique. Dès leur entrée sur scène, le volume des enceintes a considérablement augmenté et les rythmes insistants ont tout de suite entraîné la foule dans une frénésie collective. On se serait cru dans un rave, ou à l’une des Nocturnes du festival Mutek. D’ailleurs, on avait regretté l’annulation du duo indonésien lors de l’édition 2022 de ce festival. Voilà qui est rectifié.


Alors que la moitié du groupe gérait une station de DJ, le second musicien faisait surtout usage de sa voix. Il scandait, racontait et criait des paroles noyées de la réverbération et les effets, rien qui s’apparentait à du chant ordinairement conçu. Habillé à mi-chemin entre un militaire et un skieur, il enfilait également des gants sur lesquels étaient fixés des lasers verts. Ces faisceaux fluorescents ajoutaient grandement à l’éclairage et se promenaient librement dans la salle au gré des mouvements frénétiques du chanteur. À ces rythmes et ces voix qui semblaient incontrôlables, un choix personnalisé d’échantillons venait tapisser les trames, comme celle d’instruments de gamelan. La foule se souviendra également de l’imitation très approximative d’un kecak balinais que le groupe tentée en demandant au public de s’asseoir par terre. Vaguement futuriste, mais d’une intensité immédiate, Gabber Modus Operandi a su ameuter tout le monde grâce à son délire psychotrope.

Bach et Khayyam par Constantinople : un magnifique dialogue à travers le temps et l’espace

par Frédéric Cardin

L’ensemble Constantinople dirigé par Kiya Tabassian a invité le public à une rencontre profondément touchante et humaine hier soir à la salle Bourgie de Montréal. Faisant coïncider tant musicalement que thématiquement les partitions de Bach (1685-1750) et les textes du poète persan Omar Khayyam (1048-1131), même à 600 ans d’écart, Tabassian et les musiciens qui l’accompagnaient ont ainsi servi de véhicule à de très beaux moments de communion pour le public nombreux et très diversifié en âge et en provenance culturelle. Le choix des pièces a été fait avec grand soin, de toute évidence, car les enchaînements entre extraits de cantates (par exemple) et chants ou pièces instrumentales de style classique persan se faisaient avec beaucoup de fluidité. La soprano tchèque Hana Blažíková a une fort belle voix, bellement équilibrée et d’une justesse impeccable. 

Le même concert, avec les mêmes interprètes, donné à l’Abbatiale Sainte-Foy de Conques, le 9 août dernier : 

On a enchaîné pièces de Bach et morceaux classiques persans dans une sorte de cohabitation inspirée où les deux géants ont échangé, parfois même chanté dans un unison partagé, sur la vie, la mort, dieu et l’amour. Tout cela dans un grand respect qui laissait autant de place à l’un qu’à l’autre, mais aussi à des interactions plus serrées et étroites, presque fusionnelles. C’est fascinant de constater que deux univers qui, il y a 50 ans et plus, auraient parus irréconciliables aux supposés connaisseurs et puristes musicaux, semblent aujourd’hui tout à fait capables de s’entendre et de stimuler chez le public une attention soutenue et des réactions très enthousiastes. Les applaudissements ont été en effet très chaleureux. Il semble bien que la musique soit encore une fois un modèle que les humains de la Terre devraient suivre plus étroitement! 

Soulignons également la grande qualité musicale des membres de l’ensemble, les réguliers comme Didem Basar au kanun, Tanya LaPerrière au violon baroque, Michel Anger au théorbe et Patrick Graham aux percussions (et Tabassian lui-même au chant et au setar), et les invités comme la Turque Neva Özgen au kemenche, la Néerlandaise Tineke Steenbrink à l’orgue positif (également co-fondatrice du Holland Baroque) et l’Allemande Johanna Rose à la viole de gambe. 

Crédit photo : Constantinople

Ensemble Obiora | Une soirée de premières et de découverte réussi

par Alexandre Villemaire

Ce n’est peut-être pas la soirée d’ouverture que l’Ensemble Obiora avait initialement dessiné, mais ce fut néanmoins une soirée de double premières remarquable. Pour le concert d’ouverture de sa saison 2023-2024, « le premier ensemble canadien de musique classique essentiellement composé de musicien.nes professionnel.les dits issus de la diversité culturelle », devait accueillir comme cheffe invitée la Vénézuélienne Glass Marcano. Remarquée pour sa fougue et son énergie lors du Concours La Maestra en 2020 à Paris – où elle s’est vue remettre le Prix spécial de l’orchestre -, la jeune cheffe devait donner son premier concert en Amérique du Nord avec l’ensemble montréalais. Pour des raisons de santé, celle-ci a malheureusement dû annuler sa participation au concert. C’est le chef français Samy Rachid qui a accepté de monter sur le podium à la dernière minute pour la remplacer. Ex-violoncelliste du Quatuor Arod, ce jeune trentenaire qui vient d’être nommé chef assistant de l’Orchestre symphonique de Boston et qui a déjà fourbi ses armes à l’Opéra National du Rhin et au Festival Verbier en était lui aussi à sa première performance en Amérique du Nord.

Le programme de la soirée à mis de l’avant un répertoire romantique et moderne. En ouverture Le Tombeau de Couperin de Ravel, avec ses timbres particulièrement colorés s’inspire des suites de danses de l’époque baroque et rend hommage à la musique française du XVIIIe siècle. Originellement écrite pour piano, Ravel en a extrait quatre des six mouvements (Prélude; Forlane; Menuet; Rigaudon) pour en faire une orchestration. Avec une direction d’une grande clarté menée par des gestes aériens et énergiques pleins de sens, Rachid fait ressortir admirablement les sonorités de l’orchestre avec nuances ainsi que le caractère intrinsèque de chaque danse.

Pièce centrale du concert, le Concerto pour violon no 1 en ré majeur de Florence Price, interprété pour la première fois au Canada, a été une belle découverte. De facture classique avec son organisation en trois mouvements (Tempo moderato, Andante, Allegro) il porte clairement la marque des origines de sa compositrice. Porté par la violon solo d’Obiora Tanya Charles Iveniuk, le premier mouvement notamment, évoque plusieurs des caractéristiques de la musique afro-américaine, telles les inflexions gospel, l’interaction en appel-réponse de l’orchestre et même du blues. Offrant plusieurs moments solos, il a permis de mettre en valeur la technique de la soliste dans des lignes d’une grande virtuosité. Le deuxième mouvement, plus lyrique, était empreint de grande envolée mélancolique, alors que le dernier mouvement retrouve la virtuosité festive et joyeuse où l’orchestre accompagne la soliste par des accents rythmiques et un tapis de notes enveloppant pour terminer dans une finale éclatante. Le concert s’est conclu avec les Variations sur un thème de Haydn par Brahms, une œuvre contrastante où les variations que le compositeur propose autour d’un thème choral tiré de la Feldpartie en si bémol majeur, déploient des caractères allant du dramatique grave au lyrisme dansant pour arriver à une finale au ton claironnant et victorieux.

Tout autant que le jeu de Tanya Charles Iveniuk, la direction de Samy Rachid nous a fait forte impression. Par une direction soignée et des gestes simples, mais immensément signifiants, il communique avec aisance une palette de dynamique et de couleurs. Il est d’une énergie enjouée, mais contenue, jamais dans l’excès avec une direction qui met en relief l’architecture des pièces en modelant finement le son de l’orchestre. Un chef à suivre et surtout à réinviter!

Deux ans seulement suivant sa création et après être passé d’un orchestre de 25 musiciens à plus du double, l’Ensemble Obiora peut assurément se dire qu’avec le programme vivant et original proposé samedi soir, l’intérêt et la diversité du public qui était présent, il est plus que jamais ancré dans le paysage musical montréalais.

Crédits photos : Tam Lan Truong (Tanya Charles Iveniuk) et Therera Pewal (Samy Rachid)

OFF Jazz | Bogdan Gumenyuk : des graines d’Ukraine en terre jazz défrichée

par Frédéric Cardin

Le saxophoniste montréalais d’origine ukrainienne Bogdan Gumenyuk donnait hier soir un concert où il introduisait dans sa musique des instruments à vents traditionnels venus de son pays natal. L’annonce promettait en effet un voyage dans un répertoire inspiré de pièces traditionnelles ukrainiennes et de sonorités inusitées. Le résultat fut beaucoup plus conventionnel que prévu. Les incongruités sonores d’instruments tels que le rig (une corne de vache) et le double sopilka (une flûte) ont été occasionnellement présentes, mais pas plus. Cela dit, certains ont quand même eu un effet spectaculaire, comme le trembika, une grande flûte (énorme!, environ 3 mètres de long!) qui dépassait largement la scène et se retrouvait presque dans le public quand Gumenyuk en jouait. Avec une sonorité de cor de chasse en bois, à peu près, ça tonnait pas mal fort dans le petit Dièse Onze. 

La musique elle-même naviguait en eaux assez classiques du jazz : ballades que n’auraient pas reniées les ténors de la Côte Ouest d’une certaine époque (Getz, Gordon), bop fébrile, blues dandinant, etc. On a aimé une mélodie qui provenait du répertoire populaire ukrainien, bien sûr, et aussi quelques incartades plus modernes comme La Terre en soi, sortie en format EP il y a peu (et dont je vous invite à lire ma critique). Mais en général, on était devant un produit plus prudent que son album Love Letters to the Other Side, sorti en 2022, et qui maniait avec conformité mais abondamment de feu et de sincérité un hard bop de fort belle facture (malgré la présence de deux titres du disque en question). Les touches d’instrumentation inusitée ont plus donné l’impression d’un perlage saupoudré que d’une réelle base conceptuelle. 

Mais bon, on a eu droit, c’est le plus important, à de belles et solides envolées solistes de tous les membres du quartette en place : Paul Shrofel au piano, Sandy Eldred à la contrebasse, John Hollenbeck à la batterie et bien sûr Bogdan lui-même au ténor et solide souffleur. D’ailleurs, le public nombreux a souvent chaudement applaudi. 

Crédit photo : V. Yanuk

OFF Jazz| Ruiqi Wang : explorations d’Est en Ouest

par Frédéric Cardin

Dans le cadre de la série Apéroffs de l’OFF Jazz 2023 avait lieu hier le concert de Ruiqi Wang, jeune et fraîche chanteuse diplômée de McGill. Poursuivant désormais des études à Berne en Suisse, elle garde un lien avec Montréal (professionnel et émotionnel), notamment en revenant y présenter le matériel de son prochain album, Subduing the Silence, qui paraîtra le 27 octobre.

En format chambriste de sept musiciens (huit l’incluant), soit un trio piano-contrebasse-batterie (très bonnes Stéphanie Urquhart, Summer KoDama et Mili Hong) bonifié d’un quatuor à cordes, Ruiqi Wang éclabousse ou berce l’auditoire, c’est selon, avec des élaborations vocales qui tiennent soit de la litanie traditionnelle chinoise (mais revisitée), de l’onomatopéisme contemporain (les influences de Meredith Monk, de Pauline Oliveros et de pages de Ligeti sont détectables), du spoken word ou même du chant jazz plus classique. La voix manque de souffle dans l’aigu, mais elle n’est pas dépourvue de jolies timbres dans les graves. En tout cas, elle est belle et juste, et agréable à recevoir. Le modernisme chromatique, parfois atonal, dans les harmonies est généralement de mise, quoique à certains moments on se retrouve tendrement chez Evans ou même Strayhorn. Un mélange qui marque la nature savante et élitistement (dans le sens positif) bien sourcée de la jeune compositrice. 

La structure des pièces, et plus largement celle de l’ensemble du programme, est rigoureusement charpentée et guidée. L’improvisation est libérée dans des conditions précises, à des moments choisis. La musique de Ruiqi Wang est, à mon avis, principalement pensée comme une structure écrite sur laquelle on viendra par la suite accoster des espaces d’improvisation. Ceux-ci sont d’ailleurs bien mis en exergue par les trois musiciennes du trio de base qui accompagne Ruiqi. Urquhart, KoDama et Hong sont franchement solides. La relève féminine jazz de Montréal est impressionnante et laisse deviner un avenir excitant.

Pour ces raisons structurelles, le concert ressemblait, avec des accommodements inévitables parce que, après tout, on est en jazz, à l’album à venir. Autrement dit, écouter l’album (déjà dispo pour écoute sur Bandcamp) et le concert, c’est à peu de différence près une expérience très similaire. Ce qui ne diminue en rien sa qualité, comprenez-moi bien.

Le concert avait lieu à Impro Montréal, un très chouette petit espace situé sur la rue Notre-Dame ouest, dans Griffintown. Même si on s’y consacre principalement à l’impro théâtrale, on souhaite que l’endroit se garnisse d’une réelle programmation jazz, régulière et en bonne et due forme, dans un futur pas trop lointain. Il y a tellement de talent musical dans cette ville que de nouveaux lieux de diffusion et occasions de jouer devant public sont urgemment nécessaires.

Jacques Schwarz-Bart conclut l’Off Jazz par une plongée dans Harlem

par Michel Labrecque

Le concert de fermeture du Festival OFF Jazz de Montréal, le 14 octobre au Studio TD, ne nous a pas laissé sur notre faim. Jacques Schwarz-Bart, l’immense musicien guadeloupéen, devenu américain, nous a livré une performance inspirée de son dernier album , The Harlem Suite. Avec l’aide précieuse de la chanteuse guadeloupéenne montréalaise Malika Tirolien.

Jacques Schwarz-Bart porte plusieurs chapeaux: il a contribué à la jazzification du gwoka, la musique traditionnelle guadeloupéenne; il a aussi travaillé avec de nombreux artistes « néo-soul »comme D’Angelo, Erykah Badu et le trompettiste Roy Hargrove; il est aujourd’hui  professeur au prestigieux Berklee College of Music à Boston.

The Harlem Suite est un hommage vibrant à Harlem, le quartier new-yorkais ou Schwarz-Bart a habité pendant près de deux décennies. Le quartier emblématique de la communauté noire et sa culture pendant plus d’un siècle. Cet album est dans une posture plus jazzistique que d’autres créations du guadeloupéen. 

Le concert a commencé par un déluge de notes, sur un rythme ultra rapide. En plus de Schwarz-Bart, le quatuor est composé de trois de ses étudiants à Berklee, Ian Banno à la basse, Hector Falu Guzman à la batterie et Domas Zerosmskas au piano . Des jeunes pousses prometteuses et impétueuses, qui démontrent l’excellence de ce collège musical.

 

Nous avons entendu des reprises de Butterfly de Herbie Hancock et de Look No Further de Betty Carter, de Equinox de John Coltrane, formidablement réinventées par Jacques Schwarz-Bart et ses musiciens. Toutes ces reprises figurent sur The Harlem Suite

En passant, il faut le crier et le dire haut et fort: Malika Tirolien est une chanteuse exceptionnelle et innovante! Celle qui chante avec les groupes américain Bokanté et Snarky Puppy peut nous emmener dans des stratosphères musicales. Elle est brillante.

Mais c’est vraiment avec des compositions de Jacques Schwarz-Bart que le concert a atteint son zénith. From Gorée to Harlem, qui évoque la présence africaine à Harlem ainsi que l’hommage jazzistique à Roy Harper nous ont donné des moments où l’émotion rejoignait la complexité musicale. 

Cerise sur le gâteau: notre homme parle évidemment français et nous parle longuement de l’esprit de ses compositions tout en nous mettant à jour sur l’état du racisme aux États-Unis. Le monsieur a étudié en sciences politiques à Paris et sait très bien analyser la vie dans son pays d’accueil.

Ce concert a conclu en beauté l’Off Jazz. Le Festival a d’ailleurs couronné la formation locale BellBird, comme nouveau groupe prometteur. 

Ce festival nous a démontré la force du jazz local sous toutes ses formes. 

Le Vivier | Quatuor Bozzini + Dedalus + Peyee Chen : méditation et contemplation

par Elena Mandolini

Le Quatuor Bozzini s’est produit hier soir dans la salle du Conservatoire de Montréal, en collaboration avec plusieurs collectifs. Ce concert était présenté dans le cadre de Québec musiques parallèles, une initiative du Quatuor Bozzini (Alissa Cheung et Clemens Merkel au violon, l’altiste Stéphanie Bozzini et la violoncelliste Isabelle Bozzini) visant à amener la musique nouvelle hors des grands centres urbains. Le programme présenté à Montréal avait déjà été interprété à Trois-Rivières et sera à Jonquière dimanche.

L’œuvre présentée est Grounds of Memory, du compositeur Jürg Frey, pour soprano et orchestre de chambre. Pour ce faire, le Quatuor Bozzini s’est entouré de l’ensemble Dedalus, composé de Didier Ashour (guitare), Joris Rühl (clarinette), Stéphane Garin (percussion), Silvia Tarozzi (violon) Cyprien Busolini (alto) et Audréanne Filion (violoncelle), ainsi que la soprano Peyee Chen. Tous ces interprètes ont offert une soirée d’introspection et de méditation au public rassemblé pour l’occasion.

La pièce de Jürg Frey pourrait presque être qualifiée de minimaliste. En effet, l’on se concentre plus sur les sonorités que peuvent produire les différents instruments. L’atmosphère sonore est épurée, puisque chaque instrument joue une note à la fois, chacun leur tour. L’ambiance est planante, propice au recueillement et au calme. Durant l’heure que dure Grounds of Memory, le niveau sonore demeure sensiblement le même, à l’exception d’un crescendo aux percussions vers le milieu de la pièce. Les musiciennes et musiciens font preuve d’une écoute exceptionnelle, se partageant la mélodie de manière à ce que les instruments et leurs timbres se confondent. Si l’on avait écouté cette œuvre les yeux fermés, on aurait pu croire qu’il n’y avait qu’un seul violon au lieu de trois, tant le souci d’uniformité est grand.

Le texte accompagnant l’œuvre, que chante la soprano Peyee Chen, est un collage de poèmes écrits par Jürg Frey lui-même, ainsi que par Arakida Moritake et Emily Dickinson. De nouveau, le chant répond à une esthétique épurée, où chaque syllabe est énoncée clairement et lentement, et presque entièrement monodique. Le texte, même s’il a été imprimé et inséré dans le programme de la soirée, demeure clair sans avoir besoin de le lire simultanément. La voix de Chen est claire et pure, sans vibrato malgré les notes tenues. C’est par ailleurs une constante durant la pièce : les notes tenues sont immuables, ce qui rend cette œuvre et cette interprétation d’autant plus remarquable par la justesse, la qualité et la solidité du son. 

La pièce se termine un peu comme elle avait débuté, par une note solitaire au violon qui se perd dans l’espace. Un long moment de contemplation sépare la fin de la pièce du début des applaudissements. Applaudissements bien mérités, puisque les musiciennes et musiciens ont offert une performance de très haut niveau.

Pour connaître les prochains concerts présentés par Le Vivier, c’est ICI.

Crédits photos : Elaine Louw Graham

OSM | Roderick Cox et Blake Pouliot offrent une soirée énergique et brillante

par Elena Mandolini

L’OSM recevait hier soir des invités de marque. Roderick Cox, chef d’orchestre, et Blake Pouliot, violoniste ont livré de solides performances à la hauteur des attentes et de leurs réputations respectives, lors d’une soirée sous le signe de la puissance, de la vitalité et de la virtuosité.

Le concert s’ouvre avec La tempête, une fantaisie symphonique composée par Tchaikovsky. Cette œuvre s’inspire de la pièce du même titre de Shakespeare. Il s’agit ici d’une œuvre très évocatrice, construite en plusieurs tableaux décrivant en musique les péripéties de la pièce. L’on pouvait effectivement y entendre les vagues, illustrées par la section de cordes, et tout le drame de la pièce, évoqué par des cuivres puissants. L’exécution de cette œuvre est remarquable : l’orchestre joue parfaitement ensemble, même dans les passages les plus rapides et les plus chargés. Par ses gestes précis, amples et évocateurs, Cox guide l’orchestre à travers l’œuvre avec brio. L’interprétation est riche en contrastes et en nuances, le tout interprété avec grand succès.

En deuxième partie, l’œuvre la plus attendue de la soirée : le Concerto pour violon de Samuel Barber. Le soliste, Blake Pouliot, sait briller sur scène. On entend très bien le violon solo, même lorsque l’orchestre joue avec plus de puissance. L’interprétation de Pouliot est solide et convaincante, et les thèmes sont interprétés de manière très chantante. Les passages plus aigus sont clairs et assumés. Pouliot semble à son aise sur scène, détendu lorsqu’il joue, souriant durant les passages pour orchestre seulement. Le troisième mouvement, le plus virtuose de ce concerto, surprend par sa courte durée. Mais Pouliot et l’OSM y ont consacré tant d’énergie que cette finale en devient inoubliable. On a droit ici à une performance de très haut niveau, qui justifie amplement tous les éloges qu’on reçus autant Cox que Pouliot.

Crédit photo : Antoine Saito

Au retour de l’entracte, Roderick Cox dirige la Negro Folk Symphony, composée par le compositeur afro-américain William Levi Dawson. L’œuvre présente un langage musical assez standard en ce qui concerne la composition pour orchestre symphonique, mais la partition recèle tout de même de belles surprises que l’on se plaît à entendre. Cette symphonie s’inspire fortement des spirituals, et cette influence s’entend tout à fait. Dans chacun des trois mouvements, une mélodie chantante, aux rythmes parfois syncopés, est d’abord exposée par un instrument solo, puis l’orchestre reprend ce thème. De nouveau, Cox et l’OSM offrent une interprétation riche en contrastes de nuances et d’ambiances. Le ton est tantôt lumineux et enjoué, tantôt grave et solennel. Soulignons également le travail de la section de percussions, en particulier dans le second mouvement.

Le public aura eu droit à une soirée enlevante, remplie de (re)découvertes et d’interprétations solides, précises et convaincantes. Le programme sera de nouveau présenté le samedi 14 octobre, c’est à ne pas manquer!

Pour infos et billets, c’est ICI!

OFF Jazz | Mark Nelson : la tête dans les étoiles

par Frédéric Cardin

Le batteur montréalais Mark Nelson a voulu illustrer musicalement toutes « les choses bizarres » qui existent au-delà de l’atmosphère terrestre, bien au-delà, c’est-à-dire jusque dans d’autres systèmes solaires et mêmes d’autres galaxies. C’est donc cette idée qui sous-tend tout le contenu conceptuel de Postcards From the Cosmos, une collection jazz d’impressions venues de très loin et présentée hier soir au Dièse Onze, dans le cadre de l’OFF Jazz 2023. Un jazz interstellaire, philosophiquement parlant, mais très peu solaire dans son architecture harmonique. On se retrouve en effet dans un univers sonore sérieux et complexe, bien que supporté par une rythmique souvent insistante et bien propulsée par Nelson lui-même, bien sûr, et le discret mais élaboré Levi Dover à la contrebasse. C’est au piano, en vérité, que ça se passe. Andrew Boudreau, excellent, construit toute une constellation sophistiquée qui oscille entre l’atonal webernien et le chromatisme raisonnable. 

Dans ce voyage, on se pose quelque part sur une planète ou il « neige » de la crème solaire (Kepler 13Ab – oui, oui, c’est  vrai), on admire la galaxie dite du Sombrero (l’une des plus belles capturées par les téléscopes) en essayant de percevoir les échos ténus et très abstraits de la chanson Mexican Hat Dance dans la trame instrumentale, et on entend un « blues bizarre » définir l’astéroïde Oumouamoua (que certains ont pris pour un vaisseau alien) et un funk vaguement schoenbergien doublé d’accords pianistiques rappelant un peu Messiaen nous parle d’une planète à deux soleils, telle Tatooine dans Star Wars. Il y a même Pluton, saluée nostalgiquement comme ancienne planète (elle est désormais une « planète naine »). Nelson s’y connaît, de toute évidence. 

On aurait cependant aimé un peu plus de « sense of wonder » dans cette musique de haut niveau, pour éviter parfois l’impression de cérébralité. La pièce titre, Postcards From the Cosmos, arrivée vers la toute fin, nous en a donné un brin. Il était un peu tard. Les étoiles, les galaxies, les nébuleuses colorées, les exoplanètes excentriques, tout cela est empreint d’une sorte de magie visuelle et spirituelle qu’on aurait souhaité plus fidèlement répliquée dans les constructions musicales. Néanmoins, le résultat final est férocement intelligent, savamment tissé en plusieurs couches de discours harmonique et rythmique, et réalisé avec des musiciens en très grande forme technique (encore une fois, Boudreau, impressionnant. Le collègue pianiste Félix Stüssi était présent, il a dit la même chose). On n’a peut-être pas été émerveillé, mais pour sûr, impressionné et jazzistiquement satisfait. 

OFF Jazz | Léviter avec Melissa Pipe

par Michel Labrecque

Un aveu pour débuter: je ne connaissais pas Melissa Pipe avant le début du festival OFF Jazz. L’écoute de son album Of What Remains m’a totalement envoûté, impressionné, séduit. Et le concert du 11 octobre dans un Ministère totalement subjugué n’a fait qu’ajouter à mon bonheur.

Melissa Pipe joue du basson et du saxophone baryton. Mais d’abord et avant tout, c’est une compositrice et une arrangeure brillante. Elle mise sur un jazz de chambre dans lequel les cuivres et vents dominent, mais dans lequel chaque musicien est en symbiose totale avec ses comparses. Solos bien ficelés en prime. 

Nous sommes dans une sorte de halos de velours, qui n’exclut pas, à l’occasion, quelques élans de dissonances et explosions, mais ce qui prédomine est une formidable courtepointe harmonique et méditative. 

« Vous l’avez sans doute remarqué, j’aime beaucoup le grave », nous dit Melissa Pipe, entre deux pièces. C’est vrai que c’est une caractéristique de ses couleurs musicales. Que voulez-vous, quand on joue du basson et du saxophone baryton, ça influence le registre des compositions. 

Soit dit en passant, Melissa Pipe parle français comme une Québécoise de souche, le tiers des pièces de Of What Remains ont des titres français. Ce sextuor reflète une fois de plus la diversité montréalaise: Philippe Coté au saxophone ténor et clarinette basse, Solon McDade à la contrebasse, la formidable Mili Hong à la batterie, Andy King à la trompette Lex French joue plutôt dans l’album) et Jeff Johnston au piano (Geoff Lapp dans l’album). Ce groupe est exquis, n’ayons pas peur des mots. 

Comparativement à certains collègues de ce site, je ne possède pas une connaissance encyclopédique du jazz. Mais l’amoureux de bonne musique de tous les genres que je suis a lévité pendant ces quatre-vingt minutes de musique.    

Dorénavant, quand je saurai que Melissa Pipe donne un concert, que ce soit avec son sextuor, son quartette de bassons, ou sous quelque autre forme, il paraît qu’elle collabore aussi avec des musiciens rock ou hip hop, je tendrai l’oreille. 

Je termine ce compte-rendu avec Of What Remains dans mon casque d’écoute. Quelles magnifiques harmonies. Quelle symbiose. Une musique idéale pour transcender les angoisses de l’époque actuelle. 

Chant pour un Québec lointain à la Salle Bourgie – Hommage aux racines et à une artiste disparue trop soudainement

par Rédaction PAN M 360

Mercredi soir, la Salle Bourgie a offert un bel hommage à une compositrice remarquable qui aurait aimé assister à la création de son œuvre. Rachel Laurin, décédée le 13 août dernier, aurait dû être la première compositrice en résidence à Bourgie, mais la vie en aura voulu autrement.

C’est entre les mains du pianiste Olivier Godin et du baryton Marc Boucher que revient la tâche de présenter à sa juste valeur le Chant pour un Québec lointain, un cycle en trois parties et quatorze chansons basé sur la poésie de Madeleine Gagnon, publiée en 1991. Étant une création presque totale (le premier cycle ayant déjà été joué), on peut éviter les débats incessants et la subjectivité des attentes face à l’interprétation. Il va falloir prendre cette interprétation telle qu’elle est, et c’est ce qui compte.

Le Chant pour un Québec lointain apparaît fortement ancré dans une tradition française du récital avec piano et voix, ou encore du lieder tel qu’on peut le retrouver chez Schubert. À plusieurs moments, on peut faire des parallèles avec des œuvres issues de ce répertoire. Par exemple, les premiers poèmes évoquent le voyage à travers les paysages du Québec sauvage, et le mélange de mélancolie, d’optimisme prudent et de références à la mort (le dernier mouvement du premier cycle se présente comme une marche funèbre à certains moments) évoque parfois le Winterreise. Les poèmes en prose, ainsi que les riches harmonies et sonorités rappellent un peu les Histoires naturelles de Ravel, notamment avec une liberté assumée dans la construction des mélodies. On note toutefois une forme solide qui se veut accessible et claire. On retrouve avec amusement certains airs, surtout dans les parties plus dansantes, qui semblent provenir de la musique populaire ou traditionnelle. On sort toutefois difficilement de la tradition française et on regrette le manque d’un sentiment réellement « québécois », au-delà des références et du contenu des poèmes. 

Le cycle se métamorphose au fur et à mesure qu’il progresse. Il débute en dépeignant les paysages sublimes mais rudes du territoire, mais va terminer en illustrant non plus les paysages, mais plutôt les valeurs fondamentales des québécois d’antan, ou leurs réalités changeantes au fil des saisons. Le narrateur semble en équilibre entre le regard sur le passé et sur le futur. Il s’agit également d’un cycle de contrastes, tant dans la musique que dans les paroles. Souvent, on débute un poème dans un ton grave et sévère, puis on passe à un ton plus léger, presque soudainement, et vice versa. Encore une fois, on se retrouve en équilibre, cette fois-ci entre les thèmes de l’espoir, ou encore de la beauté, et le thème de la mort, ou de la solitude. 

L’interprétation par Marc Boucher et Olivier Godin était exemplaire. Les poèmes n’étant pas toujours adaptés au chant, on note l’agilité et la force avec laquelle le baryton a fait vivre la partition. Sa voix claire et puissante pour son registre se prêtait au caractère majestueux de nombreux vers. Le piano était tout aussi bon, avec une partition qui n’avait pas l’air simple, remplie de motifs rapides et d’harmonies flottantes. La musique étant littéraire et proche du texte, on sentait les deux musiciens en profonde communion, avec le piano qui continuait souvent les lignes mélodiques de la voix. La Salle Bourgie étant superbement adaptée à ce format de concert, les conditions étaient parfaites.

Le concert n’était pas parfait, mais a su conquérir le public. Ce dernier, plus clairsemé que la veille, a entendu une œuvre spéciale qui mérite d’être entendu plus souvent. C’est un bel hommage aux racines québécoises et aux sacrifices des générations précédentes, et sa présentation par la Salle Bourgie est tout aussi significatif pour honorer la vie de Rachel Laurin et de ses œuvres. C’est avec plaisir que nous garderons un œil sur ses autres œuvres au programme.

Pour plus d’informations sur les autres concerts dédiés à la mémoire de Rachel Laurin, visitez la page sur le site de la Salle Bourgie.

Inscrivez-vous à l'infolettre