musique contemporaine

Semaine du Neuf | La puissance de l’orgue et du vent

par Elena Mandolini

Pour cette avant-dernière journée de la deuxième édition de la Semaine du Neuf présentée par Le Vivier, le public était invité à l’église Ascension of Our Lord pour un concert hors du commun : une improvisation composée pour orgue contrôlé par ordinateur. L’œuvre présentée, L’être contre le vent du compositeur allemand Matthias Krüger était présentée dans le cadre de sa sortie de résidence. Bien que principalement une improvisation, cette pièce se construit à partir du désir d’explorer les potentiels sonores de l’orgue. Sachant qu’il n’y a presque rien qu’un orgue seul ne peut pas faire, imaginez ce qui en est lorsque l’on y ajoute un ordinateur! Les possibilités sont maintenant réellement infinies.

La pièce s’ouvre sur un grondement des notes graves de l’orgue, dans lesquelles on entend, justement, le vent. Cette introduction va jusqu’à faire trembler le sol de l’église. C’est une excellente entrée en matière. Dès le départ, on sent à quel point l’orgue est puissant, imposant, monumental. On entend l’architecture de la musique dans cette œuvre : l’organiste, Adrian Foster, joue et répète des accords, alors que Matthias Krüger, à l’aide de son dispositif électronique, modifie les sons. En plus des sons acoustiques de l’orgue sont ajoutés des bruits purement électroniques, qui rappellent des grincements de métal, des cloches et des sirènes.

Le lieu apporte beaucoup à l’appréciation de l’œuvre. Chose certaine, les conditions d’écoute dans lesquelles était plongé le public sont rares. Comme c’est la coutume dans les concerts d’orgue, le public ne voit pas les instrumentistes. On pouvait donc admirer l’architecture de l’église, qui était plongée dans la pénombre. Par la réverbération du son sur la pierre, on venait à avoir l’impression que le son de l’orgue venait de partout et nous entourait. L’effet est saisissant, un peu inquiétant même, mais on se laisse très volontiers transporter et émouvoir.

Les différentes sections de l’œuvre, d’intensité variable, s’enchaînent presque imperceptiblement pour peindre autant d’images. La musique créée est très évocatrice. Par moments, on se croirait sous l’eau, et tantôt on a l’impression de se trouver dans une forêt scintillante. Et bien sûr, le vent n’est jamais bien loin.

L’être contre le vent est une œuvre touchante, troublante même, qui nous transporte et nous englobe. Malgré quelques longueurs dans les accords répétés, le public est en constant mouvement à travers l’œuvre et les sonorités changeantes. Une belle réussite!

Pour connaître les prochains événements présentés par Le Vivier, c’est ICI!

classique moderne / expérimental / contemporain

Semaine du Neuf | Sturm und Klang

par Varun Swarup

La Semaine du Neuf, une initiative par Le Vivier qui est de retour pour sa deuxième édition, a continué ce soir avec une autre performance par l’ensemble Between Feathers, composé de Laure-Catherine Beyers à la voix, Audrey G. Perreault aux flûtes, Hannes Schöggl à la percussion, et Maria Mogas Gensana à l’accordéon. 

C’était au cœur du bâtiment Elizabeth Wirth de l’École Schulich de Musique de l’Université McGill, dans sa grande salle multimédia souterraine, que l’ensemble a interprété une sélection de musique par divers compositeurs.rices en provenance de plusieurs pays à travers le monde pour un concert intitulé Sturm und Klang, ou “tempête et son” en allemand.

Le concert a ouvert avec un seul coup brusque des brosses d’une caisse claire. La composition, “(des)en)canto” de Pedro Berardinelli, procède en devenant une espèce de trame sonore d’une soirée dans un restaurant d’un autre monde; les notes basses de l’accordéon jouaient comme des chaises raclant au plancher, deux bols percussifs frappaient et frottaient ensemble, et par-dessus, de la technique étendue des autres musiciennes comme le “slap tongue” — un effet percussif — de la flûte basse, et la voix qui chante à travers la caisse claire, parmi d’autres effets intéressants.

Pour continuer avec “La Somme des Chiffres 1+2” de Tanja Brueggemann, l’ensemble équipé des lampes frontales clignotantes a été plongé dans le sombre et aux ténèbres de la composition. Il y avait des sons presque comme de la pluie qui jouaient en 3D par les soixante-dix enceintes autour de la salle, lorsque les musicien.ne.s jouaient une ambiance qui évoquait des vagues de la mer sous un bateau dans la nuit, avec des notes de voix qui perçaient l’air comme des chants de sirène à travers la brume. L’énorme écran du projecteur qui pendait dessus comme une grosse voile renforçait  l’image, et même quand ils se sont assis à une table autour d’un seul verre illuminé, on aurait pu dire un souper tendu dans la cabine du bateau. 

Les autres compositions ont profité des techniques similaires, avec l’addition des projections pour les compositions “Mâ‘lesh I – leurs étreintes bouleverseraient la mer” de Nour Symon qui suivait deux coups de pinceau d’encre noir et multicolore sur une toile défilante qui correspondaient à la flûte et à l’accordéon, respectivement; et “Essay I: Mater” de Lisa R. Coons, où une voix parlait au-dessus d’une photo de plusieurs morceaux de papier avec des réflexions personnelles, des instructions musicales, et des dessins, sur une table décorée des os et des fleurs. Ce deuxième a réussi en capturant l’effort pour définir son métier en tant qu’artist.e et les pensées incessantes de doute qui l’accompagne, mais les projections, surtout la deuxième avec son montage qui zoomait et qui changeait de couleurs pêle-mêle, restaient dynamiques mais ont perdu leur nouveauté avant la fin. 

Les pièces “La forma delle conchiglie” de Lorenzo Troiani et “about, away – Création” de James O’Callaghan, avaient aussi des points forts avec l’ajout des moments presque opératiques, rendu encore plus captivant par la grandeur de la salle. Ces deux, avec l’emploi d’effets de lumière et techniques alternatives, étaient aussi dramatiques et cinématographiques que les compositions de Bernardinelli et Brueggemann.  
En tout, les musicien.ne.s ont démontré un contrôle supérieur de ces matériaux difficiles et un niveau de performance de haute gamme. Leur synchronicité et dévouement à la musique a bien rendu justice à ces compositions et au nom de cette soirée de nouvelle musique diversifiée et dynamique, Sturm und Klang.

musique contemporaine

Semaine du Neuf | Collectif9 : héro musical pour tous

par Frédéric Cardin

L’ensemble collectif9 appuyé de deux compositeurs/vidéastes (Myriam Boucher et Pierre-Luc Lecours) donnaient, vendredi soir 15 mars, la première nord-américaine de Héros, œuvre créée en 2020 en France, mais qui n’a jamais pu voyager depuis en raison de la crise pandémique. Il s’agissait en quelque sorte d’une deuxième Première pour cette pièce en cinq mouvements, écrite pour les neuf instrumentistes de l’ensemble (4 violons, 2 altos, 2 violoncelles et 1 contrebasse) et deux vidéastes live

Le processus de création musicale est bien expliqué par Thibault Bertin-Maghit, fondateur et directeur général/artistique de collectif9, dans l’entrevue qu’il m’a accordée et que je vous encourage écouter ici : 

Je ferai tout de même un court résumé : à partir de la musique de Beethoven (2020 constituait le 250e anniversaire de sa naissance), Boucher et Lecours, habitués à travailler dans l’électronique, ont tissé une trame musicale numérique ou Beethoven devient difficilement reconnaissable, trame qu’ils ont par la suite retranscrite pour l’ensemble acoustique montréalais!

De l’acoustique au numérique puis à l’acoustique de nouveau, la démarche plutôt originale promettait quelque moments étonnants. En vérité ce ne fut pas le cas, ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas bon. C’est seulement que je m’attendais à des passages instrumentaux techniquement très virtuoses et spectaculairement dessinés avec un pointillisme millimétrique. J’imaginais quelque chose de peut-être expérimental.

Héros se drape plutôt d’habits hyper séduisants de l’ordre du minimalisme répétitif étatsunien. Les cinq mouvements se développent dans une alternance lent-rapide-lent-rapide avec un finale mixte. L’effet d’ensemble est bien plus ‘’agréable’’ que la prémisse d’origine le laisse entendre, et aboutit à un produit dont le potentiel ‘’exportable’’ de tournée hors des cercles habituels de la musique de création est très intéressant.

Les projections vidéo animées en direct par Boucher et Lecours vont et viennent entre l’abstraction et les scènes naturelles (beaucoup d’oiseaux) filtrées par des effets de transparence et de changements chromatiques. Le rapport de Beethoven à la nature est probablement ce qui nous rappelle le plus à sa présence en filigrane car on cherche en vain quelque référence mélodique au compositeur (sinon quelques accords ici et là). De toute façon, l’intérêt ne se situe pas dans le fait de retrouver des citations connues, mais plutôt dans le voyage sensoriel, audio-visuel, qui est proposé. 

Le quatrième mouvement m’est apparu le plus excitant et absorbant. Sur fond de bandes verticales faites de traits plus ou moins larges et déroulant à diverses vitesses, la musique très rythmique, voire nerveuse, crée un effet de transe hypnotique. Certaines bandes géométriques apparaissent en parfaite synchronicité avec les attaques des instrumentistes. Un bel exemple de création vidéo live réellement intégrée à une partition musicale. 

Le mouvement final offre une synthèse presque lyrique dans son amplitude élégiaque, touchante et fortement appréciée du public.

L’Espace Orange du Wilder était rempli, confirmant un autre succès de fréquentation pour la Semaine du Neuf. 

Comme mentionné, le potentiel exportable de Héros est certain. Je vois très bien ce spectacle de création contemporaine, sommes toutes assez user-friendly, être fort bien reçu partout au Québec, dans des lieux de diffusion peu habitués au répertoire proposé normalement par Le Vivier. Là où Andréa Streliski et Jean-Michel Blais attirent les foules, l’ensemble montréalais devrait pouvoir tirer habilement son épingle du jeu avec Héros

Un autre bon coup de collectif9.

musique contemporaine

Semaine du Neuf | Se regarder dans le miroir afghan

par Frédéric Cardin

L’un des moments attendus du festival La Semaine du Neuf, organisé par le Vivier en collaboration avec Innovations en concert, était cette aventure musico-vidéo-cinématico-théâtrale concoctée par le compositeur et instrumentiste montréalais Sam Shalabi et l’autrice-comédienne ontarienne Shaista Latif. Pour plus de détails sur cette œuvre dont le point de départ est un vieux film afghan en partie projeté sur écran lors de la soirée, écoutez l’entrevue que j’ai réalisée avec les principaux protagonistes de la création (c’est ici!!).

Cette proposition intrigante s’est concrétisée mercredi soir, le 13 mars, à La chapelle scènes contemporaines devant une salle bien remplie. Sur scène, un quatuor à cordes en plus de Shalabi lui-même au oud et à la guitare électrique, ainsi que Shaista Latif debout, à la narration de son propre texte, se superposant aux images du films et à la musique. 

La musique de Shalabi est de belle facture classique modale avec des teintes orientales adéquates, mais pas surfaites. On y rencontre de rares moments d’exploration plus chromatique, et des frôlements atonaux parcimonieux, comme dans la portion où le texte de Latif fait référence aux attentats du 11 septembre 2001. Ici, pour la seule fois du spectacle, la guitare crie et décharge une énergie stridente qui est pleinement raccord avec la reprise du discours d’un certain président étasunien par une Latif suintant le sarcasme. Sur l’écran, une jeune fille qui rêve de modernité voit des avions passer dans le ciel. Elle est remplie de fierté, mais le contraste est déchirant avec le discours revanchard et gonflé de nationalisme agressif récité par Latif. D’autres avions survoleront le ciel de l’Afghanistan, avec des résultats autrement moins nobles pour le pays. Un patriotisme suit un autre, mais au final, les Afghans eux-mêmes ne sont que des spectateurs. Beau rapport de sens inversé, et probablement le moment le plus fort du spectacle.

À travers le personnage de la jeune fille du film qui rêve de la ville et de sa modernité, Latif raconte ses propres questionnements identitaires. Les images sont autant décor pictural que projections symbolistes et psychologiques d’une intimité révélée. Et puis, au-delà de tout, elle questionne aussi notre rapport au patriotisme et au nationalisme. L’Afghanistan (à travers les yeux de la jeune fille) et ses rêves brisés de modernité font office de miroir devant nos propres rêves brisés. Par rapport à ce pays, nous avons ‘’réussi’’, mais pour faire quoi exactement? Il ne s’agit pas de rabaisser notre mode de vie, mais bien de le questionner pour mieux le recadrer dans un contexte où nous devons absolument nous questionner sur les valeurs qui vont animer ce 21e siècle encore jeune, afin de passer à travers et d’en sortir meilleurs que quand on l’a commencé.

Je noterai un détail de mise en scène (pour les futures représentations) : deux bandes verticales de teinte argentée bordaient l’écran. Or, là où j’étais assis, l’une des ces bandes camouflait une partie de ma vision du film en raison des reflets d’éclairage qui s’y accumulaient. Il faudra penser à autre chose…

Cela dit, en faisant à peine une quarantaine de minutes, le spectacle n’a pas le temps d’ennuyer et on en ressort satisfait d’une découverte (je n’avais jamais au grand jamais entendu parler de ce film) en plus d’avoir été porté à réfléchir sobrement à certaines questions brûlantes. 

Le film Like Eagles (‘’Mānand-e ‘Oqāb’’ en langue originale) est disponible gratuitement en ligne : 

expérimental / contemporain / musique contemporaine

Semaine du Neuf | Pierre Slinckx et l’Ensemble Hopper font leur marque

par Alain Brunet

Jeudi soir à la Salle multimédia (MMR) de l’École Schulich de l’Université McGill, l’Ensemble Hopper a fait sa marque avec l’exécution de  H#1|2|3|4, une œuvre palpitante du compositeur et belge Pierre Slinckx.

Composée en quatre mouvements, l’œuvre est ambitieuse, singulière, pleine de surprises, impliquant cette fois 9 interprètes sans compter le chef François Deppe – Albane Tamagna, flûtes, wah-wah tube, grelots, Rudy Mathey, clarinettes, wah-wah tube, casio sa-47, Sara Picavet, piano, François Couvreur, guitare électrique, Roxane Leuridan, violon, wah-wah tube, Nathalie Angélique, alto, wah-wah tube, Ian Elfinn Rosiu, violoncelle, wah-wah tube, Pierre Slinckx, grelots percussions.

Ça commence par un accord soutenu pendant de longues secondes, bientôt entrecoupé d’accords au piano. La pièce est spasmodique, se structure comme une série de déclenchements créatifs de plus en plus intenses, de plus en plus extrêmes.

Les choses se calment et on passe à un second mouvement. Plus cristallin, plus enclin au clapotis, plus axé sur les harmoniques, et les dialogues entre instruments mélodiques et harmoniques sont souvent fondé sur un jeu de tensions et relâchements.

A priori, aucun interprète ne semble avoir de longs discours à exécuter sauf exceptions, on a plutôt affaire à un impressionnant travail d’équipe où chaque fragment de sons émis par les instruments contribue à un tout riche, dense, fertile en rebondissements. Les instruments harmoniques déclenchent les orchestrations très spéciales de Slinckx, l’exécution est intense. Le tout culmine par un mouvement musclé voire paroxystique, sorte d’apothéose, feu d’artifices de tout ce qui a été érigé orchestralement.

H#1|2|3|4 ne ressemble à rien, voilà l’écriture d’un vrai compositeur.

En début de programme, l’Ensemble Hopper aura interprété une œuvre du Canadien James O’Callaghan, suite vaporeuse de techniques étendues pour la flûte, les clarinettes, la guitare, l’alto et trame électronique. Les fréquences saturées de la guitare (connectée à moult pédales d’effets) et les fréquences nettes se sont entremêlées, nous avions affaire ici à une recherche timbrale et texturale assez courante dans ce domaine compositionnel.

expérimental / contemporain

Semaine du Neuf: Architek Percussion au service de 2 architectures

par Alain Brunet

Architek Percussion se produisait lundi à la Salle Multimédia(MMR)  de l’école de musique Schulich de l’Université McGill, soit le plus formidable espace montréalais pour une sonorisation top niveau. L’Ensemble avait prévu un programme double amorcé par l’adaptation de Folk Noir / Canadiana par sa conceptrice Nicole Lizée, Montréalaise originaire des Prairies. Encore une fois, l’émerveillement. 

La compositrice est connue pour ses mashups hallucinants, sa capacité phénoménale de fondre dans sa musique les vidéos d’archive, le collage artisanal et autres formes DIY d’art visuel. Réécrite pour différents instruments de percussions ceci incluant les marimba / vibraphone permettant de produire de la matière harmonique, Folk Noir / Canadiana est rythmiquement puissante et d’autant plus exigeante, les patterns prescrits par la partition se fondent sur un langage polyrythmique complexe et exigeant. 

Qui plus est, ce langage des plus inspirés puise dans une grande diversité de styles populaires ou savants. Les ruptures du discours, digressions, virages à 180 et autres soubresauts y sont multiples, nous avons droit à une relecture foisonnante de canadiana dont de rigolos montages de Mr Dressup, animateur pour enfants ayant sévi à une lointaine époque et marqué des générations de téléphages canadiens.  Ce Nicole Lizée fait de tout ça est absolument brillant, son esthétique absolument unisque.

La deuxième partie du programme, soit Stircrazer I de la compositrice canadienne Sabrina  Shroeder (également prof à l’Université Simon-Frazer, en Colombie Britannique) n’a peut-être pas été aussi marquante dans le contexte d’une première partie aussi forte. Cette perception était probablement amplifiée par la linéarité de l’œuvre et la minceur relative de ses variations. 

On nous avais promis un trip, ce fut un trip assez calme, sauf exceptions – au moment, par exemple, où les grosses caisses étaient martelées par les pédales, technique empruntée au métal, et autres roulements sporadiquement exécutés sans compter quelques éruptions vers la fin. Ainsi, les infragraves et les bourdons dressaient la nappe à une série de vibrations générées par les tambours et les cordes frottées à l’archet au-dessus de leurs cadres.

Cette idée de long murmure/ vrombissment percussif  est tout à fait défendable en soi. Ainsi on pouvait d’abord ressentir que la proposition ici soumise manquait de trouvailles dans ses variations, pour finalement réaliser que l’économie de moyen pouvait faire partie du jeu.

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musique contemporaine

Semaine du Neuf | Torrents (Je suis en feu), le Quatuor Bozzini au service de Linda Bouchard

par Alain Brunet

Mardi au Wilder, le programme Je suis en Feu  proposait «  une soirée éclatée de musique en direct accompagnée de projections de films ». La musique en direct était exécutée par le Quatuor Bozzini.

En troisième partie de programme, c’était la première mondiale de Torrents (Je suis en feu), une œuvre de Linda Bouchard pour quatuor à cordes en direct, son enregistré et projection de film. La compositrice québécoise a fait fleurir cette précieuse collaboration avec le Quatuor Bozzini et le vidéaste Huei Lin, présent sur place.

« Inspiré par les signaux maritimes, Torrents intègre les idées de communication et de relations, de singularité et de multiplicité, de granularité et de fluidité. »

Les cordes deviennent alors cornes de brume, sirènes, alertes, quatre fréquences sont soutenues en spirales ascendantes pendant que des traitements sonores en soutiennent l’ascension. Puis le quatuor inscrit un moment de dialectique entre consonance et dissonance. La trame dramatique s’épaissit, les cordes frottées sont recouvertes de montages sonores incluant des enregistrements de voix humaines et autres sons préenregistrés et traités subtilement. Les choses se corsent davantage aux 4/5 e de l’œuvre , puis la conclusion s’avère calme, méditative, consonante, réconfortante.

Plus tôt, l’œuvre 60 loops du compositeur Pierre Jodlowski étudiait l’interaction entre la machine et les gestes humains dans un minimalisme, non sans rappeler Steve Reich pour ses jeux de décalage rythmique. La patte Jodlowski entrait plus clairement en jeu dans ses superpositions de courtes lignes mélodiques ou techniques étendues des cordes et d’une trame électroacoustique. On aura aussi écouté la musique du compositeur canadien Luke Nickel, qui proposait Supreme Chains, autre jeu subtil de motifs décalés.

Électro / Experimental / indie pop / pop de chambre / pop de création

Fika(s) | Erika Angell : Tous en transe!

par Frédéric Cardin

L’interprète et compositrice Erika Angell (de Thus Owls) lançait hier soir au Ausgang Plaza à Montréal son premier album solo, The Obsession With Her Voice (dont il a abondamment été question dans l’entrevue que j’ai réalisée avec l’artiste – entrevue à écouter ici!). Bien remplie, la place a résonné aux ondes parfois planantes, parfois spirituellement incandescentes, de la musique de la Montréalaise d’origine suédoise. La voix, belle et juste, était régulièrement manipulée par un appareillage électronique. À côté d’elle, la batterie de Mili Hong (excellente) donnait parfois l’impression d’avoir une vie indépendante. Mais c’est voulu. Pour étoffer le tout : un trio à cordes favorisant les notes graves, soit deux violoncelles (Audréanne Filion et Jean-Christophe Lizotte) et un alto (Thierry Lavoie-Ladouceur). Le public nombreux a écouté avec une remarquable attention une musique somme toute exigeante, parfois même difficile. C’est que Angell ne fait pas ici de la pop aguichante. Elle explore les possibilités expressives de ses propres capacités vocales à travers des lignes longues, épurées, mais harmoniquement trempées dans un modernisme sophistiqué. Les textes, eux aussi, élèvent le niveau avec un symbolisme réfléchi. Cela dit, sur fond de pulsation en beat box de diverses tendances, de ronronnement de cordes post-romantiques et de batterie souvent arythmique, l’artiste a su gagner avec conviction le le public, qui a fait preuve d’une écoute remarquablement intéressée et respectueuse. Celui-ci était comme en transe devant la belle de scène qui s’est élevée à un niveau de qualité musicale tenu par seulement quelques autres artistes féminines, genre Björk, Joanna Newsom, Kate Bush (même si Erika est totalement différente, stylistiquement). 

La soirée se déroulait dans le cadre du festival FIKA(S) consacré à la culture scandinave/nordique. CONSULTEZ LA PROGRAMMATION DU FIKA(S).

expérimental / contemporain / musique contemporaine

Semaine du Neuf | VIVIERMIX // QUASAR + NEM + FIOLÛTRÖNIQ

par Varun Swarup

Hier soir, on nous a servi trois cours de musique numérique, chacun présenté par l’un des ensembles distingués dirigés par Le Vivier. Au cœur de cet événement, deux œuvres mixtes de l’invité d’honneur Pierre Jodlowski et une pièce de Cléo Palacio-Quintin résonnaient dans un mélange éclectique de sons et de récits transdisciplinaires.

Le premier cours a débuté avec « ALÉAS », de la compositrice et interprète elle-même, Cléo Palacio-Quintin à la flûte et son collègue Bernard Falaise à la guitare électrique. Ensemble, ils ont sonorisé en temps réel une projection visuelle ostensiblement d’eau qui coule, dans une invitation à redécouvrir le monde qui nous entoure à travers un prisme déformant de son et de poésie de Thierry Dimanche. Vous pouvez lire notre entretien avec Cléo ici.

André Leroux, l’un des saxophonistes du prestigieux quatuor Quasar, a été à l’honneur lors de la deuxième représentation, dans son interprétation de « Le dernier songe de Samuel Beckett ». Leroux a fait preuve d’une maîtrise considérable dans cette performance qui impliquait des lignes atonales araignées et de nombreuses techniques étendues. Avec son pied, il contrôlait une pédale qui déclencherait une piste d’accompagnement, des paysages sonores banals et effrayants dans cet hommage au dramaturge estimé.

Pour moi, le point culminant de la soirée a été la représentation de l’œuvre de Jodlowski, « Respire », interprétée par le Nouvel Ensemble Moderne. Il s’agit d’une œuvre qui semble explorer le mécanisme même par lequel nous nous maintenons en vie, notre respiration. Des corps humains sans visage se contorsionnent et bougent en synchronisation avec les sons hypnotiques de l’orchestre, parfois fous, mais parfois beaux dans cette danse entre son et silence. On peut certainement entendre l’influence du minimalisme à la Steve Reich, prononcée par les accords sublimes occasionnels du clavier. Un ouvrage vraiment envoûtant et qui fait réfléchir.

expérimental / contemporain

Semaine du Neuf | Ghostland, au bureau hanté… et plus encore

par Alain Brunet

L’existence humaine en ce siècle trouble, l’aliénation au travail, la quête d’un espace rituel pour évacuer les , l’évocation de la  symbolique des fantômes, ombres de nous-mêmes ou esprit des morts.  Avec Ghostland, une œuvre immersive née en 2016, le compositeur français Pierre Jodlowski a voulu produire un choc, un fracas, divers états fantomatiques reliés à nos existences, mais aussi des sourires et de la sensualité.

Éminemment immersive, l’œuvre est conçue pour percussions, trame sonore, écran chinois, projections sophistiquées, manipulation d’objets en direct. Les interprètes y sont à la fois virtuoses de la percussion et acteurs/figurants de cette performance interdisciplinaire.

L’œuvre se déploie sur trois tableaux dont le principal, Büro, se veut un espace  virtuel illustrant un lieu de travail dépersonnalisé, vaste salle garnie d’ordinateurs. Voilà le terreau idéal pour le burn-out, la dépression, voire le suicide comme ce fut le cas chez Orange, un service de téléphonie en France qui avait défrayé la manchette pour une vague de suicides et qui fut une source d’inspiration pour cette pièce. Précédemment, des croquis de meubles fluorescents servent aux percussionnistes afin de se déplacer devant et derrière l’écran. Il y a un récit au programme. Il y a des phrases dites en allemand, il y a 4 percussionnistes se consacrant à différentes fonctions. 

Aurez-vous déduit que nous ne sommes plus exactement dans la percussion contemporaine au sens où les Percussions de Strasbourg, se sont fait connaître, on pense ici à l’arsenal des timbales, marimbas, cymbales et autres gong utilisés couramment dans les ensembles de percussion.

Après six décennies d’activités, l’institution française s’est renouvelée, ses interprètes tendent à maîtriser tous les vocabulaires percussifs, de l’électro au rock au jazz contemporain en passant par diverses traditions non occidentales. Par exemple, le jeu simultané de quatre batteries sur fond électroacoustique incluant un déferlement de noise, de darkwave ou même d’échantillons traités de riffs de guitares harcdcore/métal, s’avère plus que concluant pour rafraîchir toute proposition associée au corpus contemporain.

Chez Jodlowski, nous ne sommes plus dans un seul sillon, mais bien dans l’assemblage et l’intégration de référents multiples au service d’une seule esthétique, fort heureusement d’ailleurs.

Par rapport à Ghostland, mes seules réserves résident essentiellement dans la pertinence du troisième tableau (Pulse) par rapport aux deux précédents (Holon-S et Büro)  dont la jonction reste cohérente dans la trame dramatique. Les percussionnistes se mettent alors au service d’une chorégraphie et d’une interaction avec la manipulatrice d’objets qui est un personnage en soi. La proposition musicale se fait alors plus mince  au profit de la gestuelle ce qui produit une agaçante impression de longueurs… on aurait donc préféré rester au bureau et y suivre la trajectoire des morts-vivants qui y bossent à contrecœur. Mais bon, d’autres vous diront possiblement le contraire…

classique moderne / expérimental / contemporain / musique contemporaine

Semaine du Neuf | Lascaux + Mad Max

par Varun Swarup

La Semaine de Neuf de cette année, présentée sous le cadre du Le Vivier, promet d’explorer les liens entre les arts numériques et la musique de création, donnant jusqu’à présent des résultats prometteurs. La représentation de ce soir, une double programmation, a été une autre soirée réussie pour le programme de cette année, qui comprend des performances à caractère multimédia et interdisciplinaire.

La première moitié du programme, Lascaux, a été interprétée et composée par deux artistes électroacoustiques italiens, Giulio Colangelo et Vittorio Montalti, qui cherchent à explorer le moment où l’étincelle créatrice est née dans ces célèbres grottes avec cette pièce. Il est difficile de dire si cet objectif ambitieux a été atteint ou non, mais considéré uniquement comme une expérience sensorielle et audiovisuelle, ce fut certainement un plaisir à vivre. Les deux artistes ont joué avec des sons et des bruits incroyablement tactiles et viscéraux grâce à la magnifique installation son et lumière de la salle du Conservatoire de Musique. Cependant, je n’ai pas été très convaincu par la narration de cette pièce ni ému par son arc, car il révèle beaucoup de choses dans les mêmes textures, mais c’était quand même très agréable.

Le point culminant de la soirée a été cette interprétation éclectique de Mad Max du compositeur français de musique mixte Pierre Jodlowsky, dont l’œuvre est à l’honneur cette année. Sa vision de ce héros hollywoodien est en fin de compte un examen brutal des défauts et des vices souvent associés à de tels personnages : violence, machisme, brutalité. Charles Rambaldo a livré une performance captivante en tant que personnage principal, se frayant un chemin non seulement à travers une post-apocalypse mais aussi une partition musicale incroyablement détaillée qui impliquait beaucoup de coordination de sa part. La composition commence avec l’interprète mimant la conduite d’une moto avec des détails convaincants, avant d’interagir avec une grosse caisse sur laquelle est projetée une bouche. La pièce monte en crescendo dans sa partie du troisième acte avec l’interprète se mettant enfin au vibraphone, menant au moment le plus « musical » de la partition invoquant les sons du gamelan. Certainement une performance très amusante et réfléchie, et qui rendait justice au matériel source explosif.

musique contemporaine

Semaine du Neuf | Ice : glace, création et immersion

par Elena Mandolini

Samedi soir, au Centre PHI se tenait un concert immersif et contemplatif présenté par l’ensemble Paramirabo. Le programme s’est consacré à trois œuvres du compositeur québécois Jimmie Leblanc, lesquelles se sont enchaînées pour créer une ambiance intime. Un concert dans l’ensemble très réussi, où l’aspect visuel autant que sonore étaient au rendez-vous.

Dès l’entrée en salle, nous pouvons ressentir ce souci d’immerger le public dans l’œuvre dont parlait Jimmie Leblanc en entrevue avec PAN M 360 plus tôt cette semaine. La petite salle installée pour l’occasion au Centre PHI est certes exigüe, on est très proche de nos voisin.e.s, mais cela contribue à nous sentir connecté.e.s entre membres du public, mais également avec les artistes. En étant très littéralement assis.e.s à l’intérieur de l’installation artistique, nous avons vraiment le sentiment de participer à la performance.

La première pièce, …and the flesh was made word. a quelque chose de très joyeux, une énergie dynamique très intéressante. On y ressent une certaine anticipation, comme si quelque chose se préparait, comme si on assistait à la création de quelque chose de nouveau. Cette œuvre est rythmique, guidée par une même note répétée avec une régularité implacable au piano. À cette unique note s’ajoutent des accords plus ou moins dissonants par-dessus. La pièce suivante, Clamors of Being, s’enchaîne presque imperceptiblement : un changement d’éclairage et un changement de la note répétée au piano sont les seuls moyens de comprendre que nous sommes dans la deuxième partie du concert.

On comprend la parenté entre les deux œuvres, où la deuxième vient compléter la première. Ici, les lignes mélodiques sont plus dynamiques, avec des arpèges rapides qui se partagent entre le piano et les instruments à vent. Il y a une grande légèreté, une belle délicatesse à cette œuvre. On se sent flotter, et on est guidé par les mélodies en volutes. Ces deux premières œuvres ont comme trait commun cette note répétée sans relâche, qui agit comme point d’ancrage et de repère, sur laquelle toute la partition peut se construire.

La transition avec la pièce-titre, Ice, n’est malheureusement pas sans embûches. On croit comprendre un problème technique, où les techniciens se déplacent rapidement dans la salle et sur scène. Malgré cela, on tente de garder le public dans cette atmosphère contemplative et immersive qui avait si bien été installée. La pianiste Palema Reimer et la percussionniste Krystina Marcoux continuent de créer une légère ambiance sonore, pour éviter de créer une césure dans l’enchaînement du programme et tout de même animer ce moment de transition, de flottement.

Le programme reprend sous la direction de Cristian Gort pour la pièce Ice, née d’une collaboration entre Jimmie Leblanc, l’artiste Fareena Chanda et le physicien Stephen Morris. Le public est assis à l’intérieur de trois rideaux de tissus métallique, sur lesquels sont projetés le travail de Fareena Chanda, pendant que l’ensemble Paramirabo évoque musicalement la formation de la glace. Dans cette œuvre également, le piano est mis de l’avant avec une magnifique partition, très mélodique. La pièce est ponctuée ici et là d’accords remplis de frictions et de dissonances. L’ambiance est paisible, contemplative, et réellement immersive. Comme tout au long de la soirée, le jeu des interprètes est précis et exact, en parfaite cohésion. Le pari de l’immersion a été remporté.

Il sera possible de faire l’expérience de l’installation le dimanche 10 mars au Centre PHI entre 12h30 et 17h30, et cela gratuitement.

Pour connaître toute la programmation de la Semaine du neuf au Vivier, c’est ICI!

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