baroque / chant lyrique / classique occidental

« I Feel Pretty, Oh So Pretty » avec Thomas Dunford et Arion Orchestre Baroque

par Judith Hamel

C’est un doux vent venu d’Angleterre qui soufflait sur la Salle Bourgie dimanche après-midi alors qu’Arion Orchestre Baroque accueillait le luthiste franco-américain Thomas Dunford pour une aventure musicale tissée sur le thème de l’amour. Le programme proposait un grand écart musical allant de Dowland aux Beatles.

En tournée nord-américaine depuis déjà plusieurs semaines, c’était un dernier arrêt pour lui avant un retour en France.

Le concert s’ouvrait sur John Dowland (1563-1626), un compositeur et luthiste anglais reconnu comme l’un des plus grands de son temps. Dowland savait capter les élans du cœur humain avec des chansons à succès. Exilé sur le continent pendant une partie de sa vie, il a notamment servi à la cour du roi Christian IV de Danemark pendant près de dix ans.

Parmi les œuvres interprétées figuraient Come Again, Now, O Now I Needs Must Part, ainsi que la célèbre Lachrimae qui explorent les douleurs de l’amour et les débordements de la passion. C’est portées par la justesse du jeu d’Arion et l’expressivité de Thomas Dunford que ces pièces ont pris vie.

Le voyage se poursuit un siècle plus tard avec Henry Purcell (1659-1695), figure emblématique de l’époque baroque anglaise, reconnue pour avoir développé et réinventé la musique de son pays en y intégrant des influences extérieures. Thomas Dunford nous propose ici un véritable petit opéra, à partir d’airs tirés de The Fairy Queen et Dido and Aeneas. Les musicien·nes d’Arion se joignent alors à la soliste, laissant échapper leurs voix du dimanche avec une complicité visible du balcon.

Changement d’époque avec des extraits, version instruments baroque, de West Side Story de Leonard Bernstein (1918-1990). On voit le plaisir que prennent les musicien·nes à jouer les mélodies de cette comédie musicale culte. Surgit ensuite la soprano Marianne Lambert, qui livre un I Feel Pretty exaltant. Un moment décalé, digne d’un bal chez les Bridgerton, perruques en moins.

Puis, retour à un pilier du répertoire baroque avec Georg Friedrich Haendel (1685-1759), compositeur d’origine allemande devenu sujet britannique. Au programme, quelques-uns de ses tubes, dont la « Sarabande » de la Suite no 4 en ré mineur.

Pour clore cette traversée, une réinterprétation du moins surprenante de Something des Beatles, ponctuée d’un solo de luth au style de rockeur. Les musicien·nes ont finalement été présenté·es chacun·es à leur tour, sur une loop instrumentale additive à la manière d’un concert rock, sous les applaudissements nourris du public.

Un concert certainement divertissant, porté par des interprètes d’une grande qualité et un programme à la fois léger et bien construit.

crédit photo : Cédrina Laberge

chant choral / classique occidental / trad québécois

Sacré Gilles Vigneault | Entre Natashquan et Buenos Aires

par Judith Hamel

La musique sacrée nous raconte parfois plus que le catéchisme. Elle rassemble, elle élève, elle nous rappelle que nous sommes ici, ensemble. Ce samedi soir, le Chœur Métropolitain nous convie à une double messe à la croisée des Amériques. À la rencontre des peuples argentins et québécois, ces messes font vibrer les rythmes du quotidien, mêlant toutes deux les traditions européennes et les folklores locaux. 

Mais la véritable star du soir, c’était Gilles Vigneault. Une charmante vieille dame, assise à mes côtés, me souffle à l’oreille : « Monsieur Vigneault est là ! ». Les gens devant, derrière, se retournent et sortent leur téléphone pour capturer la présence de cette légende. Avant même que la première note ne résonne dans la Maison symphonique, une ovation s’élève pour saluer ce grand homme qui a forgé la nation québécoise. 

La première partie du concert était consacrée à l’Argentine à travers la musique de quatre de ses compositeurs : Carlos Guastavino, Astor Piazzolla, Juan de Dios Filiberto et Ariel Ramírez.

Le concert s’ouvre sur une note de merveille, de contemplation, avec Indianasde Carlos Guastavino. Ses mélodies charmantes nous chantent la pomme par des textes d’amour aux métaphores sur la nature. Dans Oblivion d’Astor Piazzolla, une œuvre initialement écrite pour bandonéon, l’arrangement pour chœur et voix soliste avec la soprano Myriam Leblanc nous a ensorcelé dès sa première note avec un timbre pur et coloré. Cette version mélancolique fait résonner la thématique de l’oubli dans l’œuvre comme une douce nostalgie. Avec Caminito de Juan de Dios Filiberto, on change de dynamique. Cette chanson légère, ancrée dans la tradition du tango, apporte une touche entraînante et conviviale au concert. 

Enfin, avant la messe québécoise, c’est la Misa Criolla d’Ariel Ramírez qui vient conclure cette première partie. Comme Gilles Vigneault avec sa terre natale de Natashquan, Ramírez explore ici le métissage des cultures, entre racines autochtones et héritages européens. Cette œuvre surprend par ses sections dansantes rythmées qui alternent avec des passages lyriques. Les solistes Antonio Figueroa (ténor) et Emanuel Lebel (baryton) étaient d’une magnifique complémentarité timbrale. Cette messe vivante et ancrée dans les traditions locales mérite d’être entendue et réentendue.

Comme Ramirez, Vigneault tisse les fils d’un peuple métissé dans cette messe qui évoque nos vents du Nord et la prière des gens ordinaires. Présentée en première mondiale, ce nouvel arrangement de la Grand-Messe par Sebastian Verdugo prend une forme légère et colorée, où les textures du chœur se mêlent à celles des guitares, du charango, du piano, de la contrebasse, du violon et des percussions. Si la plupart de la messe conserve une structure et des textes traditionnels, certains airs sont transformés en rigodon accompagné de cuillères et de guitare folk, ce qui surprend agréablement les auditeur·rices. 

Enracinée dans la mémoire de Vigneault de Natashquan, la première et dernière partie comprend des paroles en innu : « Shash anameshikanù. Matshik ! Ituték! Minuatukushùl etaiék. » (Maintenant que la messe est dite, Allez vivre en paix sur la terre). 

Enfin, après avoir patiemment attendu leur moment, les choristes de Vincent-d’Indy se sont joints aux musiciens pour les dernières chansons du concert. Sous les arrangements sensibles de François O. Ouimet, plusieurs chansons emblématiques de Gilles Vigneault ont été interprétées, en terminant évidemment par Gens du pays. Les regards rivés vers Vigneault, c’est tout un public debout qui lui a chanté notre hymne qui célèbre d’ailleurs cette année ses 50 ans, tout comme l’Alliance chorale du Québec. Un moment touchant où on ressentait l’amour d’un peuple pour notre Québec, mais surtout pour celui qui a fait naître cet hymne que l’on connaît tous et toutes si bien.

baroque / classique moderne / classique occidental / période romantique

Les Violons du Roy et Antoine Tamestit | Une performance saisissante et profonde

par Alexandre Villemaire

Deux ans après une rencontre musicale qui a été qualifiée de magistrale, l’altiste français Antoine Tamestit, considéré comme un des meilleurs au monde, renouait avec la scène québécoise en compagnie des Violons du Roy. Présenté jeudi soir à Québec, ce même concert qui a eu lieu vendredi soir à la salle Bourgie mettait de l’avant des thèmes tels la mort, la perte et les départs : des thèmes qui, malgré leurs côtés sombres, sont toutefois nécessaires à aborder et dans lesquels on peut trouver tout de même de la lumière et une forme d’humanité.

Sans préambule, une fois que l’orchestre et Tamestit ont investi la scène, la salle a été plongée dans le noir, avec comme seule source de lumière les lampes des lutrins des musiciens. Cette mise en scène préparait parfaitement le terrain pour la première pièce du concert, le choral Für deinen Thron ich tret’ich hiermit [Seigneur, me voici devant ton trône] de Johann Sebastian Bach, arrangé pour cordes. De l’aveu d’Antoine Tamestit, dans son allocution suivant cette courte pièce de Bach, il voulait faire vivre une expérience sensorielle où le public et les musiciens étaient amenés à ressentir la musique par la respiration, par les énergies intrinsèques du mouvement des lignes musicales. Le moment a effectivement été d’un grand apaisement, avec un son d’une douceur implacable, mais riche avec notamment ses harmonies et ses sons graves. Le soliste, qui pour la première partie officiait également en tant que chef, a enchaîné avec la Trauermusik pour alto et cordes de Paul Hindemith, composée quelques heures après la mort du roi George V. On entre alors dans un autre univers et langage harmonique aux textures et matériaux musicaux variés qui finit par se conclure par la citation du même choral de Bach.

Tamestit invitait par la suite le public à un jeu de piste auditive avec le Lachrymae de Benjamin Britten où le compositeur cite sous forme de variations la chanson du compositeur élisabéthain John Dowland, If my complaints could passions move. Afin d’apporter du contexte, il a interprété l’original dans un arrangement de son cru précédé du très beau Flow my tears. Un moment particulièrement touchant où le jeu de Tamestit s’est exprimé dans un jeu sensible alors que les cordes l’accompagnaient en pizzicato. Dans la pièce de Britten, Tamestit a convié les auditeurs à essayer de repérer les extraits musicaux de ces chansons de la Renaissance disséminées dans l’œuvre de Britten. Il y avait un fort attrait à venir piquer l’attention des auditeurs et les invitait à ouvrir grandes leurs oreilles à cet univers sonore. Mettant de l’avant une interprétation des lignes musicales avec une épaisseur de son enveloppante et un grain pur et charnu, il a fait montre d’une musicalité investie et sensible. Il faut cependant l’avouer, c’est Britten qui a gagné la partie de cache-cache musicale, les extraits de Dowland demeurant peu identifiables, même pour des oreilles aguerries.

La pièce de résistance du concert consistait en l’arrangement pour orchestre à cordes, toujours de la main de Tamestit, du Quintette pour cordes en sol majeur de Johannes Brahms. Pour cette ultime pièce où Antoine Tamestit se joint à la section d’altos, nous avons eu droit à un feu roulant d’émotions et de vivacité lumineuse, notamment dans le premier et le dernier mouvement, alors que les mouvements centraux – Adagio et Un poco allegretto – flirtaient respectivement avec des accents folkloriques hongrois et des affects mélancoliques. Dans cette nouvelle texture à l’amplitude sonore augmentée, jouer à 21 instrumentistes ensemble sans chef est un défi que Les Violons du Roy ont relevé avec brio et aplomb, donnant un résultat particulièrement entraînant et saisissant, surtout dans le dernier mouvement, extrêmement dansant aux inflexions tziganes.

Au vu de la chaleureuse ovation que le public a offerte et à voir les sourires radieux des musiciens, cette deuxième collaboration entre Antoine Tamestit et les Violons du Roy mérite d’être renouvelée. Ayant commencé dans la pénombre et le recueillement, c’est dans une grande lumière et une énergie humaine que s’est donc conclu ce concert. Faire ressortir du beau d’un programme qui trace en filigrane les thématiques de la mort et de la perte n’est pas novateur en soi. Mais, dans ce programme empreint d’une savante organicité, où l’on est transporté naturellement d’un état d’esprit à un autre, on vient rappeler que même dans les moments les plus sombres, on peut trouver du beau. Pour citer Félix Leclerc : « C’est grand la mort, c’est plein de vie dedans. »

crédit photo : Pierre Langlois

baroque / chant choral / chant lyrique / classique occidental / musique sacrée

Ensemble Caprice | Une belle soirée sous le signe de la Passion

par Alexis Desrosiers-Michaud

À deux semaines près, l’Ensemble Caprice et Matthias Maute préludaient les célébrations pascales avec la présentation de la Passion selon saint Jean de Johann Sebastian Bach. Dans son discours d’ouverture, Maute raconte que cette œuvre a beaucoup de liens, surtout dans les airs, avec l’art opératique. Comme il nous l’a mentionné plutôt en entrevue, « La Passion selon saint Jean alterne récitatifs, airs et chœurs pour porter le récit avec intensité. Les récitatifs racontent l’histoire, les airs expriment les émotions des personnages, et les chœurs incarnent la foule, renforçant le drame. L’orchestre soutient l’ensemble avec une écriture expressive qui souligne les moments clés. » La preuve nous en fut faite vendredi.

En l’absence de mise en scène, caractéristique de l’oratorio, il faut un narrateur, dans ce cas-ci, l’Évangéliste, pour décrire les scènes. Soutenant toute l’œuvre sur ses épaules, le ténor Philippe Gagné réussit haut la main le défi d’interpréter ce rôle ingrat, mais ô combien important. On voit clairement son intention de raconter réellement une histoire, avec une diction allemande impeccable et laissant les phrases textuelles dicter son interprétation, au lieu de suivre la partition, prêtant une confiance absolue envers le continuo.

L’autre découverte de la soirée est le choriste-soliste William Kraushaar – dont la composition nous avait subjuguées au dernier concert de Caprice -, dans le rôle de Jésus.  Non seulement sa voix est claire, mais Dieu qu’elle porte ! Nous avons déjà hâte de l’entendre comme soliste lors de la prochaine saison. Bien qu’ils interviennent peu, le contre-ténor Nicholas Burns et la soprano Janelle Lucyk livrent leurs arias avec beaucoup d’émotion. Burns est très émouvant en duo avec la larmoyante viole de gambe dans Es ist vollbracht (« Tout est achevé »). Quant à Lucyk, sa voix est quelque peu retenue, mais se fond bien avec les flûtes dans l’ariaIch folge dir gleichfalls (« Je te suis »). Ces deux solistes livrent non seulement leurs arias avec musicalité, mais également avec une présence scénique envoûtante et émouvante.

Le chœur est très bien préparé, et les articulations sèches qui lui sont conférées cadrent bien avec le rôle qu’il occupe, soit la plèbe qui ordonne et acclame l’action du récit biblique. Le meilleur exemple est le morceau « Kreuzige » (Cruxifiez-le! ») où les articulations courtes et accentuées sont incisives.

À la toute fin de l’œuvre, il y avait quelque chose de solennel de voir les solistes (sauf Jean l’Évangéliste) rejoindre le chœur pour entonner un Rut Wohl dansant, et le choral final, en guise d’accompagnement, de remerciement et de célébration de la vie du Christ.

crédit photo : Tam Lan Truong

chant lyrique / musique contemporaine

Nouvel Ensemble Moderne |Des airs nouveaux pour une nouvelle ère

par Judith Hamel

Le Nouvel Ensemble Moderne (NEM) écrit les premières pages d’un nouveau livre en cette saison 2024-2025 séparée en trois chapitres et portée par le vent de renouveau de Jean-Michaël Lavoie qui succède à Lorraine Vaillancourt après 35 ans à la barre de l’orchestre de chambre. Pour ce deuxième chapitre de trois cette saison, le NEM nous invite à la Cinquième salle de la Place des arts pour un concert en collaboration avec l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal. 

Intitulé Chapitre 2 – Des airs nouveaux, ce concert d’après-midi proposait un répertoire paritaire, mettant de l’avant trois compositeur·rices du Québec ainsi que la compositrice coréenne Unsuk Chin. Dès l’entrée dans le foyer, le public était accueilli par une équipe de médiation dirigée par Irina Kirchberg, professeure invitée à l’Université de Montréal, qui proposait notamment un dispositif d’enregistrement permettant de superposer les voix des spectateur·rices ainsi qu’un panneau interactif sous forme de jeu de mémoire qui invitait à en découvrir davantage sur les œuvres au programme. 

Puis, le concert s’est ouvert avec Vision de José Evangelista, une pièce pour petit ensemble et mezzo-soprano à l’aura mystique. La chanteuse brésilienne Camila Montefusco a brillamment interprété cette œuvre qui met de l’avant les origines espagnoles du compositeur ainsi que ces multiples influences.

Suivait ensuite Bouchara de Claude Vivier, une longue chanson d’amour entièrement chantée dans une langue inventée. La soprano Chelsea Kolić, portée par l’expressivité de l’écriture, nous donnait l’impression de comprendre son message, alors même qu’il nous échappait. Comme quoi, nous n’avons pas besoin de parler la langue pour comprendre l’amour. 

En deuxième partie, Orpheus on Sappho’s Shore (Sur le rivage de Shappo) de Luna Pearl Woolf a impressionné avec la riche voix du contreténor Ian Sabourin qui naviguait habilement entre ses multiples registres. 

Enfin, le NEM a offert Cantatrix Sopranica de Unsuk Chin, seule pièce hors Canada du programme. Écrite pour deux sopranos, un contreténor et ensemble, elle était ici portée par Chelsea Kolić, Ariadne Lih et Bridget Esler, trois sopranos dont les timbres s’entrelaçaient parfaitement dans cette œuvre qui fascine par ses textures. Chin y explore l’acte même de chanter, convoquant des échauffements vocaux, des jeux de rôles et des renversements inattendus entre chanteuses et musicien·nes. Son écriture éclatée en fait une œuvre hyper-vocale où l’ensemble orchestral prolonge et magnifie les voix. Accessible et complexe à la fois, mêlant virtuosité, humour et émotion, cette pièce s’accorde avec la nouvelle direction du NEM.

La collaboration entre l’Atelier lyrique et le NEM a été un succès. L’engagement des jeunes chanteur·ses aux voix expressives et précises s’allie très bien avec l’esprit du NEM. 

Jean-Michaël Lavoie dirige avec une telle fluidité. Lorsque les lumières éclairent le travail des musicien·nes, on peut parallèlement arriver à décortiquer chaque petite intention du chef, voir avec clarté les variations de souplesse dans ces gestes. Ainsi, le NEM est entre de bonnes mains. 

Pour leur prochain concert, on a la chance de ne pas avoir à attendre trop longtemps. Le 10 mai prochain, c’est un rendez-vous à la Salle Pierre-Mercure où ils présenteront le Chapitre 3 – Dérive 2 Pierre Boulez

autochtone / électronique

Centre PHI / Habitat sonore | Après-midi Totalement sublime avec Moe Clark et Pursuit Grooves

par Léa Dieghi

Un bain sonore qui nous envahit complètement. Une vague de sonorités qui caresse notre esprit : plongés dans l’habitat sonore, une des uniques salles d’écoute spatialisée de Montréal, au Centre PHI.

C’était un jeudi après-midi ensoleillé. Entre mes deux cours du matin et de la fin d’après-midi, en plein milieu de semaine. Un peu comme tout le monde, c’est la frénésie du quotidien: école, boulot, rencontres, métro. Les mouvements de l’habituel au cœur de l’agitation citadine. On y pense rarement, aux tumultes de la ville, à tous nos sens en exergue, constamment.
Puis, un jour, on fait le choix: inconsciemment, ou consciemment. On s’arrête. Et aujourd’hui, cette interruption du banal s’est déroulée au Centre PHI.
J’y ai ainsi découvert une de leurs nouvelles expériences interactives: Habitat Sonore.
Dans cette salle d’écoute intimiste, où nos corps se déposent sur des coussins à billes dans une quasi-obscurité, on est projeté dans un nouvel univers. Le quotidien se transmute en une réalité uniquement composée de musique. Ici, pas de téléphone, de conversation, de lumières, de mouvements, pas de distraction extérieure aucune.
Seules demeurent les compositions musicales, et les quelques lueurs colorées et tamisées des néons. C’était la première fois que je faisais l’expérience de me plonger au sein d’une telle salle d’écoute. Avec cet « orchestre » de 16 haut-parleurs dispersés dans la salle, la musique semblait venir de nulle part. Et de partout à la fois. Elle était un peu en moi, et un peu hors de moi, aussi. Une véritable maîtrise de la spatialisation sonore.
Bien sûr, cette écoute active offerte par le Centre PHI n’aurait pu être possible sans le travail de différents artistes, qui pendant plusieurs mois, ont eu l’opportunité de retravailler certaines de leurs productions musicales. Accompagnés par les techniciens du centre, Totalement sublime, Moe Clarke et Pursuit Grooves ont aussi pu maîtriser la production spatialisée musicale, créant leurs propres décors auditifs.
Après quelques minutes d’attente, et seulement trois personnes autour de moi (un cadre plutôt intimiste) , la programmation 2 démarre. C’est Totalement Sublime, avec des reprises de l’album Albedo, qui ouvre la danse. La performance est sûrement la plus longue des trois, et la plus progressive. Elle démarre tout en douceur, avec des sonorités éparses de synthétiseurs et de petits glitchs analogiques. Je reconnais leur musique 760KM, qui pourtant s’étire bien plus longtemps que dans mes souvenirs.
Une ouverture en légèreté, qui nous ancre dans nos coussins, et qui est pourtant bientôt brisée par des bruits cassants de cordes de guitares. Leur composition suit une trajectoire linéaire, bien que parfois chaotique, avec les différents bruits et notes qui se déplacent d’une part et d’autres de la pièce.
Si Totalement Sublime nous a offert un voyage glitch dans la matière sonore, Moe Clark, de son côté, nous fait circuler dans les tréfonds des montagnes canadiennes et des mythes autochtones. Entre l’utilisation de paysages sonores (des arbres au vent, le courant d’une rivière, des feuilles et branches qui crépitent sous le poids des pas d’un animal…), et ses “spoken words” – sa poésie -, on s’envole au rythme du battement des ailes d’un colibri, des tambours d’eau, des crécelles en corne et en courge, des chants de gorge.
Sa voix qui chante en crée est perçante dans piyêsiwak ahkohtowin, et Montréal me semble soudainement bien loin.
La programmation se termine avec une dernière composition de l’artiste productrice ontarienne Pursuit Grooves. Elle nous offre ainsi une composition expérimentale, entre le downtempo et l’abstract, pour nous faire redescendre en douceur de ce voyage sonore d’une heure.

INFOS et BILLETS

minimaliste / musique contemporaine

Les quatuors de Steve Reich à Bourgie : une mécanique minimaliste parfaitement huilée

par Frédéric Cardin

Pour la première fois à Montréal étaient donnés, le mardi 1er avril, l’ensemble des quatuors à cordes de Steve Reich, trois au total. Quand je dis quatuors à cordes, je veux dire en vérité quatuors à cordes ET bandes sonores, car tous ont recours à cet ajout. Joués en ordre chronologique décroissant par le Quatuor Mivos, les trois œuvres sont emblématiques de l’univers sonore de l’États-Unien, un pionnier du Minimalisme et, pour plusieurs artistes des générations suivantes, le grand-père de la musique techno et de la technique du sampling (échantillonnage). 

LISEZ L’ENTREVUE RÉALISÉE AVEC L’ALTISTE DU QUATUOR MIVOS, À PROPOS DES QUATUORS DE STEVE REICH

En effet, deux des trois quatuors utilisent l’échantillonnage sonore (sons concrets, bribes de voix, etc.) dans une perspective rythmique et mélodique. Si l’utilisation de sons concrets en musique ne date pas de Reich (Schaeffer, Henry, Stockhausen sont passés par là avant), sa façon instinctive et rythmiquement accrocheuse d’en décliner la répartition a été inspiratrice d’un mouvement créatif dont le hip hop est le dernier genre en date à en reprendre, souvent sans le savoir, certains impératifs. 

Le plus récent, WTC 9/11, utilise des sons tirés de la tragédie du 11 septembre 2001 à New York, alors que le premier, ‘’Different Trains’’ (qui reste le meilleur de tous), fait un parallèle entre les trains voyageant entre New York et Los Angeles (que Reich a souvent utilisés à une époque), et ceux qui transportaient les Juifs vers les camps d’extermination pendant la Seconde guerre mondiale (Reich est Juif, et l’allégorie lui est venue à l’esprit avec force). Entre les deux, le Triple Quartet requiert une bande sur laquelle deux autres quatuors jouent chacun une partition pendant que l’ensemble interprète la sienne live sur scène. 

Le Quatuor Mivos a enregistré ces trois mêmes quatuors pour Deutsche Grammophon. Ses musiciens sont donc bien trempés dans les exigences de cette musique. Il reste malgré tout qu’une performance de ces partitions sur scène est extrêmement exigeante. Il faut une concentration de tous les instants pour réagir précisément à ce qui se passe dans la bande sonore et chez les collègues, en plus de ne pas perdre le fil de toutes les répétitions, régulièrement ponctuées de petits changements aussi subtils que fondamentaux dans l’énergie dynamique de la musique. Comme on dit, c’est facile de se perdre là-dedans. 

Chapeau bas aux quatre excellents musiciens de l’ensemble new yorkais (en première visite chez nous!) Olivia de Prato et Adam Woodward aux violons, Victor Lowrie Tafoya à l’alto et Nathan Watts au violoncelle. Leur lecture a été épatante de précision et de coordination. 

C’est presque un rendez-vous annuel de grands noms du Minimalisme que nous propose la programmation de la salle Bourgie (dans les dernières années nous avons eu Glass et Missy Mazzoli), et nous le saluons avec enthousiasme. On espère que cela continuera et, pourquoi pas, qu’il y en aura même plus. 

baroque / classique / période romantique / post-romantique

Jaeden Izik-Dzurco, plus qu’impeccable

par Alain Brunet

Chaque année, sinon chaque semestre de cette ère, nous apprécions un supravirtuose émergent, force est d’observer que les meilleurs sur Terre sont plus nombreux, que le nec plus ultra est plus considérable que jamais. Il y a quelques semaines,  par exemple, une adolescente montréalaise électrisait la petite salle Claude-Léveillée, les capacités hallucinantes de Sophia Shuya Liu étaient dévoilées à son public précoce, ceci incluant des agents internationaux ayant eu vent de sa technique et de son jeu d’exception,

Dimanche après-midi, l’organisme Pro Musica nous ramenait Jaeden Izik-Dzurko, un jeune homme bardé de prix importants dont le Leeds, le Maria Canals et le Concours de musique international de Montréal (CMIM), frise la perfection.

Nous avons pris la pleine mesure de ce prodigieux musicien canadien de 26 ans, établi en Allemagne. 

Côté JS Bach, l’exécution de la  Partita no.4 en ré majeur BWV 828,  est tout simplement idéale. Izik-Dzurko respecte impeccablement la partition, aucun affect inutile, aucune exagération repérable. Justesse et limpidité exemplaires, point barre. L’interprète est ici soucieux de respecter les intentions exactes du compositeur, sans pour autant faire dans l’austérité technique, dans l’obsession clinique – ce qui est souvent le cas des excellents… techniciens. Cette fine ligne entre virtuosité et musicalité sera honorée de la première à la dernière mesure de cet excellent concert.

De JSB, on passe aux Préludes op.23 de Rachmaninov, imaginés par le pianiste virtuose et compositeur au tournant du 20e siècle (1901-1903), dont le no. 5 en sol mineur est passé à l’histoire. Là encore, l’interprète est éblouissant de raffinement, de tonus et d’exactitude. Les enjeux de virtuosité sont exceptionnels ici, tout pianiste de concert se doit de maîtriser ce répertoire, alors que Izik-Dzurko arrive à le transcender sans débordement aucun.

Après l’entracte, la Fantaisie en en si mineur de Scriabine, composée également à l’aube du siècle précédent (1900), génère aussi cette impression de perfection, de compréhension absolue de la partition et d’un rendu à la fois sobre et profondément musical, même dans ses moments les plus enchevêtrés.

Pour un musicien qui se dit moins naturellement enclin à maîtriser Chopin dont il a joué la Sonate no.3 en si mineur op.58, on ne peut en relever des irritants, crispations et autres excès de zèle, même durant la phase la plus vertigineuse de la sonate à sa conclusion. Encore là, c’est du pur bonheur mélomane. 

À 26 ans, donc, Izik-Dzurco atteint cette très grande maîtrise et il a un long chemin tracé devant lui.  Bien sûr, la vie devrait engendrer chez lui les aspérités lui permettant de préciser davantage sa personnalité artistique et le rendre encore plus pertinent. De surcroît, plus touchant.

art numérique / expérimental / immersion

Sight + Sound | Fili Gibbons et ses fées

par Loic Minty

Vendredi soir, à Eastern Bloc, nous avons assisté à une soirée de pratiques joyeuses et ludiques qui font appel à l’enfant et aux émotions du cœur. Du cœur sont sorties des voix, puissantes et provocantes dans leur équilibre, qui ont parlé et chanté des histoires. Des histoires sur la passion, sur les nuages et la pluie à venir. Des mythes pratiques pour une vie agréable, qui s’étendent bien au-delà de la scène. Comment les porter ?

Fili Gibbons, accompagné de ses fées, a dissous toutes les frontières entre le public et l’artiste. Les sons ont recouvert un flux de discussions enregistrées de manière décontractée entre les artistes et ont créé un espace de réflexion introspectif. De temps en temps, cet espace s’ouvrait et invitait le public à partager ses propres pensées. « Qu’est-ce que le bonheur pour vous ? »

Entre eux, les artistes souriaient et riaient en arrangeant un jardin d’amour post-numérique éclectique. Par moments, la voix de Fili semble être une conduite de lumière qui ouvre un portail vers d’anciennes traditions folkloriques. Sorte de symphonie du printemps, les mélodies jouaient sur des thèmes qui auraient pu être entendus dans une partition de Ryuichi Sakamoto et leur violoncelle avait une profondeur mystique similaire à celle d’Arthur Russel alors qu’il se tissait dans une ambiance électronique.

Alors que les visuels maintenaient une ligne de continuité dans leurs textures colorées et glitchy, la performance s’est segmentée en une série de courts poèmes et de scènes. L’amitié, l’amour, la passion, le travail, la fatigue. Chaque thème se tient dans une intimité qui rend les sujets honnêtes et accessibles, rien n’est laissé de côté ou caché au public. Depuis la dernière fois que j’ai vu Fili au Centre PHI, leur pratique du son a évolué vers une utilisation plus poussée de l’échantillonnage et des boucles, tout en conservant le même style calme et sensible. Il s’agit sans aucun doute d’un artiste à surveiller et j’ai hâte de connaître ses prochaines réalisations.

Dans l’ensemble, j’ai été très impressionnée par le soin que Sight+Sound a apporté à l’organisation d’une exposition sur le thème de l’attention. Les éléments sous-jacents de la connexion astrale et des mythes de l’amour relient les pièces de Fili Gibbons à Deep Gazing.

Cette dernière représentation a fait sourire la foule jusqu’au bout, les personnages exagérés se regardant longuement dans les yeux. Les sœurs de l’Ordre céleste ont envoûté la foule en lisant leur livre sur une nouvelle pratique appelée « deep gazing » (regard profond). Comme si elles écoutaient des mystiques, elles ont lentement et soigneusement expliqué la forme des nuages de manière humoristique et poétique.

Leur philosophie s’est lentement infiltrée dans notre imagination alors que nous partions en regardant le ciel  » Skry ! « . Sight + Sound est un rappel de l’importance de l’art dans nos vies, c’est ce qui vous laisse plein et accompli à la fin de la journée.

PLUS D’INFOS SUR SIGHT + SOUND

art numérique / électronique / expérimental / contemporain / immersif

Sight + Sound | Un rituel de la pluie sous anticipation 

par Félicité Couëlle-Brunet

Le concept des teru teru bōzu, ces petites poupées artisanales suspendues aux fenêtres  pour conjurer la pluie au Japon, est porteur d’une riche symbolique oscillant entre soin,  espoir et contrôle. Teru Teru, présentée en première mondiale au Festival Sight + Sound 2025 présenté au Eastern Bloc, s’empare de cette tradition pour proposer une exploration chorégraphique et sonore  de la gestion du soin dans un monde en perpétuelle incertitude. Hanako Hoshimi-Caines  et Hanako Brierley puisent dans ces symboles pour créer une performance où l’intime  rencontre le rituel, où le passé dialogue avec l’imaginaire. 

Dès les premiers instants, la scène est habitée par une ambiance à la fois douce et  spectrale. Le dispositif scénique, où deux poupées teru teru bōzu de tailles géantes sont  placées au sol au milieu de la salle, compose un paysage visuel évocateur. Ce décor,  oscillant entre le jeu enfantin et une certaine présence fantomatique, devient le théâtre  d’une exploration sensorielle captivante. Pourtant, sous cette douceur apparente se  cache une tension latente : l’acte d’accrocher un teru teru bōzu est une prière empreinte  d’espoir, mais aussi une promesse tacite de sanction. Si la poupée échoue à faire  apparaître le soleil, elle est condamnée à être décapitée. 

Un jeu vocal entre douceur et tension 

Le travail sonore de Brierley accentue cette tension. Par un usage subtil du looping vocal,  elle déconstruit la comptine traditionnelle teru teru bōzu, répétée et superposée pour en  révéler des nuances insoupçonnées. Cette boucle sonore, où la voix devient un instrument  hypnotique, insuffle une légèreté ludique tout en laissant planer une menace diffuse. Ce  traitement sonore, d’abord enfantin et rassurant, se transforme progressivement en une  litanie abstraite, presque mécanique, vidée de son affect. 

Le dialogue vocal entre Hoshimi-Caines et Brierley s’inscrit dans une dynamique  organique où les voix se croisent, s’entrelacent et se répondent. Par moments, leurs voix  se fondent dans une harmonie douce, évoquant un chant incantatoire où le soin prend une  dimension collective. Mais cette douceur est souvent interrompue par des silences  abrupts ou des décalages vocaux qui créent des espaces de tension. Ces interruptions,  loin d’être de simples pauses, deviennent des respirations chargées d’incertitude. 

Le silence comme espace de rupture 

C’est surtout dans ces silences que la performance trouve sa profondeur. Lorsque les voix  s’effacent, un espace vide s’ouvre, invitant à une écoute plus attentive du corps et de  l’environnement. Ces silences, loin d’être des absences, deviennent des moments de  suspension où le spectateur est confronté à l’attente, à la vulnérabilité et au risque  d’échec inhérents au rituel. Ce dialogue entre le plein et le vide donne une résonance particulière aux gestes chorégraphiques, où chaque suspension semble amplifier la  fragilité des mouvements. 

Un rituel vidé d’émotions, porteur de tensions 

Teru Teru explore la tension inhérente au rituel, là où la répétition des gestes et des sons  ne fige pas la performance dans une mécanique rigide, mais lui insuffle une vitalité  organique. La simplicité du rituel — accrocher une poupée en espérant conjurer la pluie — se vide progressivement de son affect pour devenir un automatisme, une répétition où  l’émotion s’efface pour laisser place à une tension sourde. Ce dépouillement émotionnel,  loin d’apaiser, rend la charge dramatique plus intense, confrontant le spectateur à  l’incertitude d’un espoir suspendu à un fil. 

Avec Teru Teru, Hoshimi-Caines et Brierley offrent une œuvre d’une rare délicatesse, où le  soin devient un rituel vivant, oscillant entre espoir, contrôle et abandon. Dans cette danse  infinie de répétitions, de silences et de renouveaux, la gestion du soin se transforme en un  espace d’attente où la tension, née de l’absence d’émotions manifestes, devient la   véritable force motrice de la performance.

INFOS SIGHT & SOUND

baroque / chant lyrique / classique occidental / opéra

Opera McGill | Imeneo ou l’art du « less is more »

par Alexis Desrosiers-Michaud

Opera McGill donnait vendredi soir la première de sa série de représentations de Imeneo de Georg Friedrich Handel, au Théatre Paradoxe, une ancienne église située rue Monk, transformée en salle de spectacle, le tout dans une formule cabaret, où les convives sont invitées à déguster un verre pendant la représentation. 

Des cinq interprètes principaux, c’est la ténor Patricia Yates dans le rôle-titre qui se démarque. À la fois par l’interprétation scénique de son personnage, un peu trop fier et par l’amplitude de sa voix, elle assure une présence qui dépasse le cadre du Paradoxe, et qui marcherait tout autant dans une salle d’opéra plus conventionnelle. Dans le rôle de Trinto, son opposant, le contre-ténor Reed Demangone, ne vend pas sa place non plus, mais pour des raisons contraires. Plus effacé, timide, Demangone fait preuve d’agilité et de délicatesse dans ses arias, tout comme dans son jeu de celui qui se fera piquer sa promise. 

Chez les dames, Elizabeth Fast en met plein la vue en Clomiri dans la première moitié de l’opéra, voulant séduire Imeneo qui l’a sauvée d’une attaque de pirates, en compagnie de Rosmene. Cette dernière jouée, par Patricia Wrigglesworth, prend du galon dans la seconde partie, s’affirmant de plus en plus, ce qui lui donne de la crédibilité dans son choix de mari à la toute fin. Au final, Fast et Wrigglesworth offrent une performance égale, chacune sachant quand et comment prendre le dessus sur sa rivale. 

Mis à part des costumes « à la Romaine », rien dans ce qui nous a été présenté nous indique avec précision l’époque ou le lieu dans lequel l’action se déroule. À ce titre, la mise en scène simple et efficace de Patrick Hansen tient la route. Le décor ne tient qu’à quatre bandes verticales descendant du plafond et une roche gigantesque ayant l’air d’un grain de popcorn éclaté, suspendu en plein centre. Une roche qui ne semble qu’à servir à rediriger les éclairages et à obstruer les surtitres, nécessaire étant donné que l’opéra est chanté en italien. 

Également, puisqu’il n’en est pas obligé, il n’y a aucun changement de décor ni de costumes. De ce fait, Hansen élimine le risque que l’auditeur se pose des questions à savoir « on est rendu où ? » ou « qui est qui maintenant ? » et peut se concentrer sur l’action. Bref, cette mise en scène est tellement efficace qu’on ne se rend pas compte tout de suite de sa simplicité, sans être ennuyante non plus. En voulant faire trop, parfois, on passe à côté de l’essentiel… Ce n’est pas le cas ici et c’est fort bien mené. Il est intéressant de noter que chaque personnage a un double, comme il est coutume dans les productions estudiantines; la distribution « B » chantera en solistes demain et le « A » sera de retour dimanche. Sauf que dans cette production, la notion de la doublure est finement et judicieusement exploitée. Les dix artistes font partie des trois concerts, mais ceux « en congé » interviennent comme choristes, mais dans leurs costumes de personnages. Le paroxysme de ce jeu du double arrive à la fin du premier acte, lorsque les doubles exécutent leur homonymes, tels des émotions qui déchirent l’âme, plongeant la salle dans un rouge macabre. 

crédit photo: Stephanie Sedlbauer

Alternative / post-punk / rock alternatif

Shunk fait tomber le marteau

par Stephan Boissonneault

Jouer un spectacle en milieu de semaine peut s’avérer difficile en raison d’un tas de facteurs atténuants, mais l’air à l’intérieur du sous-sol de La Sotterenea était absolument bourdonnant mercredi dernier pour le lancement de l’album de Shunk. Il s’agissait, bien sûr, de Shunkland, le premier album merveilleusement loufoque de Shunk, dont nous avons parlé ICI. Les esprits étaient en ébullition, illuminés par une pile de canettes de bière vides avant la première partie de Born at Midnite (communément appelé BAM).

Born at Midnite (BAM) I Stephan Boissonneault

Ce duo de l’étiquette Arbutus (composé du vocaliste/sampler Amery Sandford et du guitariste/chanteur David Carriere) est en quelque sorte un héros méconnu de la communauté électro montréalaise, partageant environ un million de streams mais n’ayant donné qu’une poignée de concerts depuis ses débuts en 2020. Si vous écoutez les enregistrements de BAM, vous sentez immédiatement la touche professionnelle du mixage, et cela ne se perd heureusement pas pendant le concert : les voix sont repoussées quand il le faut, la basse martelante est épaisse quand il le faut, les lignes de guitares principales sont tranchantes. C’est un mélange musical brumeux qui vous donne l’impression d’être dans un club, mais pas le genre où l’on s’étrangle de façon abominable. C’était un spectacle amusant et léger qui a parfaitement préparé l’énergie pour Shunk.

Shunk monte sur scène et se lance immédiatement dans l’ouverture rêveuse et bientôt cauchemardesque de Shunkland, « Sated ». Le guitariste Peter Baylis utilise deux amplis, l’un pour les aigus et l’autre pour les graves. La guitare basse et l’arpège de la guitare à réverbération s’infiltrent dans la pièce, et la chanteuse Gabrielle Domingue chante avec un falsetto digne de l’opéra, à la Hounds of Love. Shunk a pour but de vous mettre dans une transe étrange et fantaisiste, puis de vous asséner un coup de marteau. Et ce n’est pas seulement avec de la distorsion lourde comme tant d’autres groupes. Vous aurez des moments de grande énergie où l’instrumentation est complètement propre, mais staccato et retardée. C’est une ambiance post-punk très années 80, mais aussi très chic. Je veux dire par là que la chanson « Clouds » donne l’impression d’un bal de fin d’année transpirant et vibrant vers 1983.

Certaines de ces chansons sont absolument hilarantes dans leur sujet ; nous en avons une qui parle de gobelins, de mignonnes petites tenues de tennis, d’un serpent diabolique et sulfureux, et d’un « roi des rats » nommé Stew, qui devient une entité unique qui fait grogner Domingue, « Donnez-nous votre argent / donnez-nous votre enfant en bas âge !!! ». Une personne de la foule a crié avec joie : « Prenez-le, s’il vous plaît ! ». Pas sûr qu’elle parlait de l’argent ou de l’enfant en bas âge…

Il existe un certain facteur de coolitude avec les groupes locaux. Certains choisissent de se montrer distants, vêtus de couleurs sombres, et de ne pas se faire remarquer, tandis que d’autres se mettent en valeur lors de leurs concerts. Shunk est un mélange des deux. Le guitariste Peter Baylis (vêtu d’une chemise à boutons orange et de cheveux bouclés) et le batteur Adrian Vaktor (portant un tee-shirt d’Alexisonfire) ont l’air d’un slacker sans prétention. Puis il y a la bassiste (bien qu’elle crie chaque parole sans micro) Julia Hill, qui est habillée dans un style grunge-90s chic avec une jupe à carreaux et une ceinture en grand O, et la chanteuse principale Gabrielle Domingue qui est parée d’un costume complet à rayures, avec un seul bouton, révélant un peu de peau et ce qui semble être un haut en cuir à mailles losangées.

Bien sûr, la veste du costume de Domingue s’enlève pendant le charnel « Snake », qui parle de quelqu’un qui vous consomme, os et tout. Il est impossible de détourner le regard du spectacle lorsque Domingue, ne portant que le haut (qui s’avère être un soutien-gorge en cuir avec des chaînes), plonge dans la foule et hurle avec frénésie, poussant la foule dans un mosh. C’est ce même type d’énergie hardcore qui me rappelle son défunt groupe Visibly Choked (RIP). Pendant l’outro de « Snake », Hill se tient au bord de la scène, hurlant chaque parole, et derrière elle, Baylis et Vaktor se tapent la tête en rêvassant. On peut facilement dire que Shunk est un groupe dont chaque membre prend plaisir à faire ce qu’il fait.

Pour le rappel, nous avons droit à une nouvelle chanson de Shunk, sur laquelle Hill joue de l’archet avec sa basse et qui, rien qu’au niveau du son, aurait pu figurer sur Shunkland. Mais pour l’instant, nous les laissons préparer un autre lot de chansons.

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