électronique / expérimental / contemporain / techno

MUTEK 2024 | Zoë McPherson, club music déconstruite

par Salima Bouaraour

Montréal était-elle prête pour Pitch Blender? Étions-nous suffisamment aguerri.es pour écouter de la techno contemporaine, de la deconstructed club music ? Assez équipé.e.s pour faire l’expérience d’une rave cybernétique?

À priori, Mutek a franchi le pas pour vous !

Depuis plusieurs années, la musique techno a évolué dans un spectre musical que l’on a encore du mal à nommer, spectre symbolisé par des artistes comme Blawan, Rhyw ou Peder Mannerfelt et bien d’autres encore. Lignes de basse méchantes. Rythmes syncopés à contretemps. Déconstruction des sons. Ricochets magnétiques. Fréquences filtrées. En Europe (Angleterre, Scandinavie, Allemagne), la scène regorge de génies, encore peu ou mal connu.es ici, où l’expérimentation et l’innovation musicale ne ont pas incompatibles avec la capacité à faire danser les gens.
Zoë Mc Pherson, artiste avant-gardiste multimédia franco-irlandais·e dynamique basé·e à Berlin, associe performance, design sonore, DJing et installation artistique pour créer des sons inhabituels. En s’alliant avec Alessandra Leone, motion designer, les deux créatrices ont offert au Métropolis un avant goût des nouvelles tendances en termes de techno. Cette rave cybernétique était transcendante et théâtrale. De longues sessions ancrées sur des basses puissantes et enveloppantes, des ricochets de kicks filtrés, des rythmes déconstruits à la touche punk hardcore ou parfois de dub accéléré. Majestueuse et monumentale, cette séance de transe a ouvert la porte, je l’espère, pour d’autres invitations dans la même gamme.

Zoë Mc Pherson & Alessandra Leone

FR/DE+IT/DE – Pitch Blender

Live A/V | Première nord-américaine

Publicité panam
électronique

MUTEK 2024 | Fred Everything, innover dans ce qui fait danser

par Salima Bouaraour

Frédéric Blais alias Fred Everything est un pilier de la scène musicale électronique de Montréal. Sa carrière, bâtie sur 25 ans, fête d’une pierre deux coups le Festival Mutek. Producteur, DJ et gérant de l’étiquette Lazy Days Recordings, Fred concocte toujours des live sets riches en émotion et parlant au plus grand nombre. Cette capacité rassembleuse, ne négligeant jamais l’innovation, est une prouesse technique et d’ingéniosité à offrir des sons raffinés et travaillés à l’écoute fluide. 

Pour le programme Nocturne 4 présenté à la SAt, la foule s’est régalée de ce grand classique: une musique électronique teintée de jazz, soul, downtempo, deep house. Son album intitulé Love, Care, Kindness & Hope , est sorti en mai dernier, nous avons pu assister à la présentation de sa matière en direct. 

Notre Montréalais fétiche a délivré une magnifique performance que les mutékien.ne.s ont tenté déjouer de leurs hanches. Tous les bras étaient levés pour célébrer les uns les autres dans un message d’amour et de sérénité.  Un live set planant et réconfortant. Vraiment.

Fred EverythingCA/QC Love, Care, Kindness & Hope 

Live︱Première mondiale 

crédit photo: Kinga Michalska

électronique / immersif

MUTEK 2024 | Synspecies, une œuvre absolument magnifique et édifiante

par Salima Bouaraour

Synspecies: sculpture cosmogonique envoûtante 

SYNSPECIESES+SL – ASBU 

Live A/V | Première Nord Américaine

La série A/Visions 1 s’est clôturée sur Synspecies, une œuvre absolument magnifique et édifiante. Un mythe cosmogonique à saveur de posthumanité, d’algorithme et de laser. Cette performance sculpturale sortie d’un autre univers fut une réussite absolue et divinatoire. 

Mutek a marqué l’histoire de l’électronique en développant sa marque de fabrique depuis 25 ans. Avec cette présentation, nous étions dans l’esprit Mutek plus que jamais. 

Symbiose et synchronisation parfaites entre un faisceau lumineux qui forgeait des visuels évolutifs et un habillage sonore puissant et dévastateur. C’est ainsi que le processus de la création de l’univers se met en exergue et naquit le prodige de la vie. Les murs tremblaient et des ombres d’un rouge infernal pénétraient nos âmes. 

Ce concert de musique abstraite algorithmique et de codage créatif par Elías Merino et Tadej Droljc était envoûtant et diabolique de beauté. Scénarisé par un puissant laser lumineux, l’univers prenait vie par le biais de formes géométriques, de spirales ou de lignes offrant des personnages aux apparences fantomatiques. 

Le slovène, Tadej, est habitué à fusionner son, image, lumière et sculpture, dont le travail a été récompensé par le Lumen Prize Student Award et la Dennis Smalley Scholarship. Ses œuvres ont été présentées dans des festivals prestigieux comme Ars Electronica, la Biennale NEMO de Paris et le Brighton Digital Festival. Et, l’espagnol, Elías explore la musique informatique abstraite algorithmique, les électroniques inhabituelles et les compositions instrumentales. 

Synspecies: une œuvre définitivement futuro-spéculative, cosmogonique et post-eugénique.

Publicité panam
électronique / immersif

MUTEK 2024 | Dans le « carré magique » de Palindrome Codex

par Salima Bouaraour

Que suggérait Palindrome codex dans le contexte du programme A/Vision 1? Le carré magique, un film généré par des codes IA où le “carré magique” prend toute son ampleur et son imagination.

Ces artistes hongkongais ont développé une œuvre musicale et visuelle en s’inspirant de références historiques, culturelles et scientifiques. Un voyage dans le temps au décor rétrofuturiste où se disséminaient des scènes urbaines, de grandes métropoles, des gratte-ciels, des tourbillons d’escaliers. La grande symbolique de l’horloge était au rendez-vous sur les images manifestant le voyage dans le temps. 

Les images étaient en synchronisation avec la performance sonore. Des nappes en continu. Des drums puissants. Des kicks percutants. De la caisse claire en écho.

La ligne directrice musicale était, semble-t-il, guidée par la lente progression où le climax était quasi absent. 

Prédominait plutôt le calme et la sérénité face à l’agitation et la force de l’univers.

Ce voyage spatio-temporel pouvait être considéré comme un moment de méditation sur notre existence et notre rapport aux temps. Cao Yuxi, artiste et codeur, et Lau Hiu Kong, compositeur et artiste sonore, ont ainsi offert une musique de chambre électronique assez novatrice en termes d’application des outils IA en revanche, plus classique en son. 

Publicité panam

MUTEK 2024 | Myriam Bleau & Nien Tzu Weng explorent la transhumanité

par Salima Bouaraour

Comment la transhumanité peut-elle devenir l’avenir de l’humain ? Est-il envisageable de réconcilier l’être humain et la machine? L’apocalypse post-technologique est-elle proche? Est-on en train de se faire surpasser par l’intelligence artificielle? 

Depuis l’existence de l’humanité, les humains ont constamment cherché à développer des outils pour faciliter leurs tâches quotidiennes, solutionner leurs problèmes, soigner leurs maladies ou augmenter leur confort. De Léonard de Vinci avec ses croquis de machines volantes annonçant le développement de l’aviation ou les automates de Badi al-Zaman Abu al-Izz Ismail ibn al-Razzaz al-Jazari, les individus imaginent des nouvelles technologiques en permanence comme si elles allaient leur épargner la mort. 

La Canadienne, Myriam Bleau, et la Taïwanaise, Nien Tzu Weng, ont créé vendredi une performance époustouflante en mêlant divers paramètres. L’originalité, les sensations extrasensorielles et le questionnement étaient au rendez-vous pour l’ouverture de la série A/Visions 1 présentée au Théâtre Maisonneuve. 

Sur la scène, un duo de chimères conversant sur les “estres de raison”. Un débat chaotique et orchestré sur limagination de l’esprit, de nos terreurs, de nos monstres, nos espérances et l’illusion du réel et de l’abstrait. Les personnages hybrides -corps humain et visage numérique- se déployaient sur la scène en corrélation avec des écrans LED géants où reflétaient des flash lumineux puissants et saccadés.

La composition musicale exprimait à souhait cette torpeur de ces êtres si fragiles et puissants sans omettre leur transformation progressive en entité fictionnelle. Ce script imaginaire se charpentait par coup successif de son modulaire glitch envahissant et pénétrant ainsi le Théâtre Maisonneuve de vrombissement terrifiant. 

La montréalaise est connue pour ses performances de musique électronique gestuelle, ses interfaces audiovisuelles, ses installations et ses dispositifs interactifs qui articulent son, lumière, mouvement et symboles.

Son acolyte, quant à elle, explore l’interaction entre le mouvement et le multimédia, oscille entre réalité et fantaisie. Reconnue internationalement, ses performances ont été présentées au Node Digital Festival, à la Biennale Némo, et à Ars Electronica, entre autres. Weng est cofondatrice du collectif Double Fantasy et participe à Le PARC chez Milieux, soutenue par le CCOV, et est artiste en résidence au Topological Media Lab, où elle poursuit ses recherches sur la présence et l’interactivité dans l’art interdisciplinaire contemporain. 

La compositrice, artiste numérique et performeuse, Myriam Bleau et l’artiste multimédia Nien-Tzu Weng ont réussi un travail de grande qualité grâce à leur dispositif sur scène. Alliant leur force respective, leur pièce post-théâtrale innovante et avant-gardiste a plus qu’ébloui le public de Mutek. 

Crédit photo: Bruno Destombes

Publicité panam
électronique / house / IDM

MUTEK 2024 | Octo Octa à fond la caisse

par Alain Brunet

Inscrite au programme Nocturne 3, Maya Bouldry-Morrison alias Octo Octa, est une productrice de house et DJ américaine basée à Brooklyn, New York, après avoir mené des études universitaires au New Hampshire. Musicalement, cette très douée transgenre vient de l’IDM, les classiques du répertoire Warp l’ont profondément marquée mais aussi de la jungle/drum’n’bass.

Après quelques années de recherche, Octo Octa est ensuite passée à la house pour ainsi sortir de l’ombre et faire le circuit international des clubs et festivals électroniques.

Assistée d’une collègue aux projections visuelles pour la plupart de très bon goût, soit Hailey Guzik de Memory Management Unit, Octo Octa aura offert jeudi un concert intense, pour employer un euphémisme. Certes housy mais émaillé de propositions personnelles sur fond de thématiques humanistes et émotionnelles, certes thérapeutiques. À l’évidence, elle sait faire monter les œufs en neige et nous balancer la meringue dans la face jusqu’à satiété.

La courbe d’intensité est parfaite, le public devient paroxystique après avoir été conquis, il applaudira chaleureusement le tandem sur scène au terme de cette généreuse prestation.

On dit d’Octo Octa qu’elle serait devenue une « figure centrale » de la scène house. Exagéré? En ce qui me concerne, non. Au terme de ce set excellent du programme Nocturne 3 à la SAT, l’acte de foi est instantané!

crédit photo: Vivien Gaumand

Publicité panam
dream-pop / électronique / punk pop / synth-pop

MUTEK 2024 | Ela Minus, apparition ou résurrection ?

par Alain Brunet

Il y a quelques années, peu après la sortie de l’album Acts of Rebellion, paru chez Dominoen 2020, Ela Minus nous avait accordé une interview. Et puis vint un court enregistrement avec DJ Python et puis rien jusqu’à ce single de l’artiste colombienne installée aux USA: exprimé en espagnol, Combat laisse présager un nouveau cycle de création.

Elle était batteure dans un groupe punk à l’adolescence, elle fut ensuite admise au Berklee College of Music (Boston) et laissa sa Colombie natale pour ainsi devenir une vraie pro de la percussion et découvrir son talent de productrice électro. Puis elle s’est installée à Brooklyn et s’est mise à construire ses synthés modulaires. Ses es enregistrements ont épaté la galerie, un album fut lancé, on a aimé cet enregistrement, on a causé avec la principale intéressée, la voilà enfin sur scène dans un festival de grande réputation.

Électro-pop, dream-pop, synth-pop, synth-punk sont réunis en une seule femme. Après la décharge de Marie Davidson, ce set d’Ela Minus à la SAT n’était pas particulièrement déstabilisant. On a observé le talent évident de songwriter et de productrice synth pop, on a remarqué quelques ornements singuliers mais ça restait de la pop intelligente, des formes construites comme des tubes, avec intro, refrain, pont et refrain jusqu’aux applaudissements.

Pour un milieu de soirée, ce fut vivifiant mais j’en aurais pris davantage sur le plan conceptuel, j’aurais préféré plus de composantes exploratoires malgré la forme chanson. Ces bémols, il faut dire, n’étaient probablement pas partagés avec la majorité des mutékiens et mutékiennes venu.e.s à la rencontre d’Ela Minus, qui pourrait devenir un star pour de vrai en tapant sur ce même clou. Apparition ou résurrection, en somme ? Qu’importe, on a hâte à la suite.

Crédit photo: Frédérique Ménard-Aubin

MUTEK Forum 2024: La musique électronique est NOIRE

par Elsa Fortant

Dernier jour pour le Forum MUTEK, dernier résumé pour le PAN M 360. Nous clôturons cette série avec un panel qui me tient à cœur : « Electronic Music is Black Music – Reclaiming and Tracing Electronic Music’s Roots, Present, and Future ». Fabienne Leys, G L O W Z I, Miquelle Skeete alias OmniDirectional Groove, et la modératrice Melissa Vincent ont exploré les liens profonds entre la musique électronique, la culture noire et la contre-culture. La discussion a permis de réfléchir à la manière dont la musique électronique, bien que souvent généralisée et commercialisée, reste enracinée dans les expressions et les innovations de la culture afro-descendante et noire. 

Tous ceux qui connaissent la musique électronique de danse reconnaîtront que les Belleville Three et Underground Resistance ont joué un rôle essentiel dans l’émergence de la techno sur la scène mondiale. Toutefois, cette table ronde va plus loin, en explorant les contextes culturels et historiques plus larges qui ont façonné le genre et son importance au fil du temps.

Comme Melissa Vincent l’a déclaré dès le début, la tenue de cette discussion à l’occasion du 25e anniversaire de MUTEK est hautement symbolique, car la musique électronique a constitué le fondement même sur lequel MUTEK a été construit.

Pour commencer la conversation, chaque panéliste a raconté comment il s’est connecté pour la première fois à la musique électronique, en soulignant les différents chemins qui l’ont conduit à ce genre. Pour Fabienne Leys, c’est la radio pop qui lui a servi d’introduction, notamment grâce à l’influence de Pump Up The Jam de Technotronic. Le parcours de G L O W Z I a commencé par l’écoute de Bran Van 3000 sur MusiMax. Miquelle Skeete, avec sa formation en musique classique, a trouvé son moment décisif lors d’un spectacle de Kerri Chandler à Toronto, qui lui a offert une première expérience spirituelle transformatrice en dehors d’une église.

Au cours de la discussion, Melissa Vincent a posé des questions sur les conditions et les contextes sociaux qui ont façonné l’héritage, le passé et l’avenir de la musique électronique. G L O W Z I a répondu en décrivant la musique électronique comme une forme d’art créole, tissée de manière complexe à travers le monde et différente d’une région à l’autre. Elle a souligné l’héritage de l’Afrique du Sud, où le genre Gqom a créé une expérience d’écoute unique, notamment grâce à l’utilisation des taxis comme principaux lieux de diffusion de la musique. Mme Miquelle a ajouté que la musique électronique permet aux personnes d’ascendance africaine de puiser dans les rythmes ancestraux, offrant ainsi une gamme complète d’expression émotionnelle. Elle a souligné que, contrairement à d’autres formes de musique, la musique électronique offre un espace pour les émotions positives et tendues, alors que les Afro-descendants et les Noirs sont relégués à l’expression des seules émotions positives. 
Les panélistes ont discuté des multiples facettes de la musique électronique, soulignant qu’il ne s’agit pas seulement de son, mais aussi d’incarnation et de la capacité à jouer avec des textures et des rythmes qui pourraient ne pas être considérés comme musicaux dans d’autres contextes. La musique électronique a été décrite comme une force unificatrice, une source de joie et un phénomène mondial. Toutefois, Fabienne Leys a fait remarquer que l’exclusivité et l’accessibilité demeurent un problème important au sein des communautés de couleur. Comme elle l’a souligné, les médias sociaux ont contribué à mettre en avant les mouvements musicaux régionaux, tels qu’Amapiano, et nous avons assisté à la résurgence de la musique house dans le paysage pop avec Renaissance de Beyoncé. Pourtant, les défis persistent, à différents niveaux : qu’il s’agisse de l’accès aux ressources matérielles (le matériel de musique électronique est cher) ou de la question cruciale de la représentation au sein de l’industrie de la musique électronique, en particulier parmi les décideurs qui ont le pouvoir de positionner les artistes.

Ceci étant dit, et dans un contexte où différents récits sont poussés par différentes forces (underground vs commercial) : comment s’assurer que les bonnes personnes sont reconnues ?

Pour que les bonnes personnes soient reconnues dans l’industrie de la musique électronique, le panel a souligné l’importance d’avoir le courage de dire non à l’influence des entreprises. En d’autres termes, les efforts collectifs sont importants. Ils ont insisté sur la nécessité de maintenir des espaces inclusifs et ouverts à tous, tout en les protégeant de l’exploitation par les entreprises. Dans ce contexte, le refus est un outil politique crucial pour préserver l’intégrité et l’authenticité des communautés artistiques.

Publicité panam
électronique

MUTEK 2024 | Marie Davidson assemble toutes les pièces de son puzzle

par Alain Brunet

Marie Davidson était disparue de mon radar pendant la COVID, peu après la sortie de dernier enregistrement studio et le spectacle qui y fut associé, Renegade Breakdown, sous étiquette Ninja Tune. Le virage pop/rock/chanson française me semblait alors un risque courageux et fort appréciable mais… j’avais le feeling que quelque chose manquait à cette mouture.

Tous les éléments de sa culture pop étaient déjà présents dans son œuvre mais beaucoup plus ténus. Puis il y a eu l’EP Persona en 2021, sorte de dream pop mâtinée de pop française, Victoria Legrand meets France Gall, même impression d’exercice inachevé. En avril dernier, son compte Bandcamp nous a fourni les indices de sa direction actuelle : Y.A.A.M. marque un retour de ses inclinations électroniques. Alors là….

Avec l’excellent spectacle auquel on a eu droit jeudi, on peut déjà conclure que toutes les facettes de son art ont trouvé leur place idéale dans ce set d’enfer. De ce qu’on connaît de sa vaste palette, on peut dire que cette intégration est top.

L’édifice de Marie Davidson voit un nouvel étage le chapeauter. La violence du bruitisme, les drones violents, les accords extrêmement prononcés. La dimension multiréférentielle en électronique : heavy techno, house, UK garage, jungle, drum’n’bass, breakbeat, on en passe. Les références directes à la pop culture francophone. L’attitude punk, presque gothique, les éclats de distorsion, les 4/4 très lourds. Les mouvements sur scène, les interventions chorégraphiées sur sur les machines, les harangues contagieuses. La voix chantée, la voix parlée, l’autorité acquise.

Ceinturée de ses claviers et machines, Marie chauffe la marmite en l’attisant aux sons épais et saturés, puis elle prend le micro pendant presque tout le reste de son show. Ses chansons sont pour la plupart auto-réflexives, cathartiques dans plusieurs cas, exprimées sans détours ce qui n’exclut pas la poésie dans la réflexion sur soi, sur sa profession d’artiste et sur le monde ambiant. C’est ce mélange unique qu’on aime. C’est aussi l’aisance sur scène et la présence d’enfer de la performer, c’est son pouvoir attractif. Très solide!

Crédit photo: Vivien Gaumand

Publicité panam
électronique / techno

MUTEK 2024 – Piezo et son habillage sonore

par Sandra Gasana

Pour une première couverture d’un événement de MUTEK, j’avoue que j’en sors presque surprise d’avoir apprécié la soirée. Je vous explique : je n’écoute pas de musique électronique habituellement, et j’ai encore moins l’occasion de couvrir ce genre de musique. Après les premières minutes durant lesquelles je trouvais que la musique était un peu trop forte et que mes tympans ne tiendraient pas le coup tout le spectacle, j’ai progressivement changé d’avis au fur et à mesure que la soirée avançait.

Piezo, de son vrai nom Lucca Mucci, est DJ, producteur et artiste sonore, originaire de Milan mais formé à Bristol en Angleterre. Il a créé son propre label, Ansia, à travers lequel il soutient également les œuvres d’artistes partageant le même esprit. Son premier album, Perdu, est sorti chez Hundebiss Records. Hier soir, Piezo a réussi à ambiancer la foule même si cette dernière ne le montrait pas au début, encore un peu gênée. Il passait son temps à tourner des boutons sur une, puis deux, puis trois consoles. La dernière avait des allures de clavier, avec un laptop au milieu de tout ça, sous fond de jets de lumières. J’ai également été chanceuse d’être là un jour sans pluie, après avoir lu les comptes rendus de mes collègues les journées de pluie précédentes.

Je qualifierais le style de Piezo d’un mélange de techno, d’électro, de garage, de house par moments, avec des sons synthétiques qui viennent saupoudrer le tout. On a l’impression d’avoir un son ou un rythme principal, auquel Piezo rajoute une couche à la fois, et des reflets, comme si on venait l’habiller au fur et à mesure. Et à certains moments, nous atteignions un paroxysme, durant lequel le DJ se lâche complètement, avant de redescendre tranquillement, et retirer les couches une après l’autre. Ce paroxysme en question est souvent dramatique, et c’est toute la beauté de l’exercice. Malgré l’absence de mots, on a tout de même l’impression qu’on nous raconte une histoire musicalement. Et c’est à ce moment-là que j’ai arrêté de prendre mes notes et de me mettre à danser, ressentant les vibrations que Piezo tentait de nous transmettre.
Avec un public majoritairement vêtu de noir, toutes les générations y étaient représentées. Du jeune universitaire un peu bourré, qui est en pleine semaine d’initiation, à la sexagénaire BCBG au sac coloré, en passant par la fille aux cheveux bleus ou le jeune homme avec une chemise avec le Christ dessus, tout le monde semblait en avoir pour son compte.

L’artiste en moi tentait de comprendre quel bouton était responsable de quel son, mais de là où j’étais, ce n’était pas évident de voir. L’autre élément intéressant de ce style de musique, c’est qu’on ne sait pas toujours quand une chanson termine, et lorsque l’autre commence. C’est peut-être cela qui est plaisant, puisque ça vient changer tous les codes de la « musique » en ayant carte blanche pour faire ce que le DJ souhaite.

Tout cela nous donnait l’impression d’être dans un univers futuriste, avec un mélange de la signature de l’artiste, à savoir des rythmes percussifs rapides et des rebondissements mélodiques inattendus. Finalement, c’était vraiment pas mal pour une initiation dans ce nouveau monde pour moi. J’ai presque hâte à dimanche lorsque je couvrirai le spécial Piknik Electronik de Mutek. Je vous en reparlerai.

Crédit Photo: Vivien Gaumand

Publicité panam

MUTEK 2024 I BRIAN ENO, l’expérience cinématographique générative

par Stephan Boissonneault

Roxy Music vers 1973, l’androgynie personnifiée, l’ère berlinoise, les sessions de Heroes Bowie, la raison pour laquelle nous, les humains, aimons la musique… les cartes de stratégies obliques. Toutes ces réflexions et ces moments dans le temps – souvenirs de l’illustre carrière de Brian Eno, qui s’étend sur cinq décennies – apparaissent sur l’écran du Théâtre Maisonneuve – parfois seuls, parfois en un seul ensemble fou. Et cette paire ou itération spécifique ne sera jamais montrée à l’écran à nouveau. Cette itération n’est destinée qu’à nous, le public.

ENO. est un documentaire génératif sur l’impulsion artistique et l’histoire du grand Brian Eno, le père de la musique ambiante, un producteur de musique recherché et l’une des raisons pour lesquelles les synthétiseurs sont devenus courants. Créé par le cinéaste Gary Hustwit, le film utilise la technologie de l’intelligence artificielle pour créer une expérience visuelle différente à chaque projection. Hustwit lui-même mixe le film en direct et le guide parfois depuis la console BRAIN ONE sur scène. Grâce à des archives de plus de 500 heures de sessions en studio, d’interviews, de vidéos musicales et autres, ainsi qu’aux quelque 50 heures que Hustwit a obtenues d’Eno lui-même, ce film est un trésor pour tout amateur de musique ou artiste – parfait pour le public de MUTEK.

Le style documentaire génératif a été le seul moyen pour Hustwit de convaincre Eno d’accepter de participer au projet. Pour quelqu’un dont la carrière a été à la pointe de la technologie et de la créativité musicales et qui a changé notre façon de faire et d’écouter de la musique, je ne vois pas de meilleur sujet pour ce style émergent.

Je ne peux que dire ce que nous avons vu, qui a suivi de nombreuses tendances des documentaires musicaux : une ascension vers la célébrité, des séances de studio floues avec Bowie, John Cale, U2, la vie quotidienne d’Eno, qui a maintenant plus de 70 ans, mais aussi des moments d’abstraction pure, mis en évidence par des obélisques multicolores, des disques, et des dessins numériques cubistes.

Still from ENO.

Le film fait aussi parfois des sauts dans le temps, comme le montre l’écran qui affiche un certain nombre de séquences telles que : eno._1975_discreetmusic, Dutchtv_interview_hats, Bowie_milk_ambient. C’est l’IA qui décide du prochain morceau à montrer et les résultats sont parfois extraordinaires, d’autres fois un peu égoïstes. On ne sait jamais vraiment quel moment du temps va suivre avec Eno, ce qui en fait un film vivifiant à regarder. Bien qu’il ait été réalisé par un cinéaste, il y a quelques tendances à suivre un flux narratif. Par exemple, lorsque Eno s’amuse avec un Ominchord et que Hustwit lui demande s’il a utilisé l’instrument pour d’autres musiques, Eno évoque Apollo. La transition est trop parfaite pour être générée de manière aléatoire, mais d’un autre côté, ce n’est peut-être pas le cas.

Eno est également une source documentaire parfaite. Il tenait des piles de journaux, possédait de véritables archives de bandes magnétiques et tous les formats d’enregistrement connus de l’homme, ainsi qu’une mémoire fantastique. Sa vision de l’art en général est une véritable source d’inspiration. Je pourrais passer des heures à l’écouter divaguer sur l’abstraction de l’art, son processus créatif et la façon dont les chansons sont écrites. Il y a aussi quelques moments drôles de vieil homme lorsqu’il s’énerve contre les publicités constantes sur YouTube avant de jouer Open & Close de Fela Kuti et de parler de l’énorme inspiration qu’il a eue pour lui et pour son travail avec Bowie et Talking Heads. Le documentaire regorge de ces moments en or de l’histoire de la musique.

Cette version particulière de Eno. a mis l’accent sur l’abandon à l’art, ou dans ce cas à l’IA, ce que Hustwit doit faire chaque fois qu’il montre le film. Par exemple, cette version ne contient pas d’interviews de David Byrne, l’une des parties préférées de Hustwit. Il a parlé en détail de cet « abandon » artistique pendant les questions-réponses, ainsi que de l’avenir de la technologie générative dans l’industrie cinématographique. Ce film m’a donné envie de me plonger dans les œuvres les plus obscures d’Eno, mais il m’a aussi fait réfléchir à la structure des films, de la musique et de l’art. Pourquoi l’être humain aime-t-il la répétition ? Pourquoi regardons-nous le même film encore et encore ? Pourquoi n’avons-nous pas encore franchi le pas vers plus d’abstraction et de hasard dans l’art ? ENO. est innovant parce qu’il est l’un des premiers à le faire.

Publicité panam

électronique

MUTEK 2024 | Immersion cinoche

par Salima Bouaraour

L’équipe de PAN M 360 sillonne l’entière programmation de MUTEK 2024 et y observe un maximum d’artistes au cours de cette 25e édition de sa version montréalaise. Suivez nos expert.e.s jusqu’à dimanche soir, aucune autre couverture médiatique de MUTEK ne s’annonce aussi considérable!

Panorama: I’m feeling lucky ne pouvait s’apprécier que si toutes les clés interculturelles se mettaient en exergue. 

Ce film immersif, aux premiers abords, semblait simpliste et divertissant. Survolant, à même le sol, un paysage de plaine, de forêt et de steppe, en contexte diurne et nocturne, sous un ciel bleu décoré de quelques cumulus blanc, on avait l’impression de plâner tel un oiseau. Le son immersif quant à lui était couplé avec des nappes claires et infinies, des gazouillis d’oiseaux en plein printemps et divers bruitages. Des personnages apparaissaient et disparaissaient au gré du hasard. 

Et pourtant, rien n’était évident. Plus le film défilait, plus le doute s’instaurait quant à la signification de l’œuvre, du lieu, de l’identité des individus et de la temporalité. L’approche initiale simpliste a laissé place à la complexité et le multiple étalage des contenus. 

En effet, les deux artistes, Timothy Thomasson & Tatum Wilson, ont mis sur pied une une installation générée en temps réel par ordinateur, qui interroge les relations à l’image, à la géographie, à l’espace virtuel, à la technologie des médias historiques et aux systèmes de collecte de données massives. Inspiré par la peinture panoramique du 19e siècle et peuplé de milliers de figures tirées de Google Street View, ce film a eu l’effet attendu. Celui de nous interroger sur notre monde moderne en constante évolution où la confusion et l’arsenal des images nous mènent à l’hébétement collectif.

Inscrivez-vous à l'infolettre