Le Festival de Monde arabe accueillait vendredi le groupe franco-algérien (et lyonnais) Koum Tara, à la 5e Salle de la Place des Arts. Un octuor éclectique, formé d’un trio jazz (piano/synthétiseur, contrebasse, percussions), d’un quatuor à cordes et d’un oud (avec double emploi de chanteur). La proposition musicale, fort intéressante, est celle d’un syncrétisme accessible et raffiné. La structure générale des pièces au programme est bien définie, de l’ordre de la chanson populaire arabe, le chaabi, et résolument basée sur la mélodie. Nous ne sommes pas dans le monde des atmosphères ou de la recherche timbrale. Nous ne sommes pas non plus dans une fusion tendant vers la musique savante contemporaine, comme chez Anouar Brahem. La façon Koum Tara est tournée vers le ludisme.
Cela dit, l’approche Koum Tara demeure originale et audacieuse, faisant savamment osciller les inflexions harmoniques typiquement arabes vers le jazz, et vice-versa, si bien qu’à certains moments, on ne sait plus dans quel monde nous sommes. En fait, nous sommes dans un autre monde, une sorte de quintessence qui surpasse la sommes des parties. Des chansons existantes du répertoire algérien cohabitent avec des mélodies originales, parfois dans la même pièce. Reconnaît-on ici tel titre qu’aurait pu chanter Dahmane El Harrachi que presque immédiatement on se retrouve ailleurs, dans une vision résolument jazz du style. C’est fait avec beaucoup de fluidité, ce qui laisse deviner une connaissance fine et fouillée des deux univers culturels de la part de Karim Morris, solide leader au piano et synthétiseur et arrangeur/compositeur inspiré du groupe.
Celui-ci s’amuse souvent, d’ailleurs, à brouiller encore plus les lignes de démarcation stylistique en métamorphosant des phrases mélodiques héritées du chaâbi classique en impros jazz moderne puis en musique afro-cubaine. La planète est ainsi rapetissée en village culturel où, comme on dit, « toute est dans toute ».
Morris offre passablement de terrains de jeu à ses collègues. On remarque la belle présence de chaque portion de l’ensemble : le trio jazz a de l’espace pour s’exprimer, le quatuor à cordes n’est pas limité à un rôle de simple soutien harmonique avec de très beaux passages en contrepoint et des variations intéressantes sur le matériau mélodie que base, et le oudiste et chanteur (Hamidou) est le point central de la majorité des pièces. La cohérence holistique est rodée au quart de tour. Pas d’hésitations ni de désaccord rythmique. En ce sens, la musique de Koum Tara emprunte également à la musique classique pour sa rigueur structurelle et son extrême précision interprétative. C’est beau, le travail bien fait.
Ce genre de mélange entre classique, jazz et « world », mais trempé dans une structure résolument limpide et de style « musique populaire » me fait penser à ce que pourrait jouer le Penguin Café Orchestra (s’il était encore actif) accompagné du Turtle Island String Quartet.
Très agréable.