Les mélomanes curieux avaient de quoi être comblés ce vendredi soir 12 août à la Virée classique de l’OSM. Deux concerts présentant du répertoire rarement entendu étaient proposés sur la scène de la Compagnie Jean-Duceppe de la Place des Arts. Le premier a transporté les mélomanes sur place dans la musique baroque du continent sud-américain, une merveille encore trop souvent ignorée des ensembles de musique ancienne, et pourtant pleine de flamboyance. Des mélodies chaleureusement naïves, qui trahissent le contexte d’éloignement radical du savoir européen, se retrouvent déployées dans des harmonies polyphoniques simples mais bougrement efficaces. On devine que les compositeurs de l’époque avaient à cœur non seulement d’édifier les populations locales, largement ignorantes du savoir musical européen, mais surtout de les toucher émotionnellement sans trop les dérouter. On retrouvait sur la scène onze membres du Choeur de l’OSM sous la direction d’Andrew Megill, accompagnés de trois des meilleurs musiciens de la scène baroque montréalaise, soit Sylvain Bergeron au théorbe et à la guitare baroque, Luc Beauséjour au clavecin et à l’orgue positif et Elinor Frey au violoncelle. Bien que le niveau de perfection technique du chœur n’était pas aussi millimétré que celui d’un ensemble plus spécialiste du genre comme le Studio de musique ancienne de Montréal (pour prendre une évidence), le jeu de groupe était bon et le côté ludique de certaines pièces, bien exprimé. Il manquait un peu de rondeur dans la projection, mais on doit probablement mettre cela sur l’acoustique de la salle, non optimisée pour ce genre de sonorités.
Le deuxième concert dans la même salle nous offrait encore une fois du répertoire hors norme mais tout à fait satisfaisant! Trois petits bijoux de musique de chambre, des découvertes enthousiasmantes en vérité, étaient séparés par deux chefs-d’œuvre bien connus de Debussy, Syrinx et Danse sacrée et danse profane (en version de chambre). J’ai pour ma part adoré également le Quintette pour saxophone alto et quatuor à cordes d’Adolf Busch, le premier mouvement du Quarteto simbolico de Villa-Lobos et le Quintette pour saxophone alto et quatuor à cordes d’Ellen Taaffe Zwilich. Le premier est un intéressant exercice d’équilibre entre un pastoralisme souriant, voire espiègle, et un néoclassicisme (celui de la première moitié du 20e siècle) plus frugal. La plume de Busch est claire et limpide, privilégiant des lignes bien définies pour chaque instrument, se chevauchant sans jamais saturer l’harmonie. Des entrelacs de lignes, parfois sinueuses et parfois hachurées, servent de canevas au saxophone alto qui tour à tour s’amuse, ignore et survole ses compagnons de jeu. Une œuvre importante qui mérite d’être bien mieux connue. Le Quarteto simbolico, dont nous n’avons entendu que le 1er mouvement, est une belle révélation. Symbolique de titre, mais plutôt impressionniste de nature, c’est une petite merveille où la flûte, le saxophone alto, la harpe et le célesta se sont épanouis dans la splendeur et le raffinement de l’écriture du compositeur brésilien. La dernière pièce au programme, le Quintette de l’Étatsunienne Zwillich, est elle aussi une très jolie nouvelle addition à ma bibliothèque mentale, et probablement à celle du public présent également. Le jazz y tient une place prépondérante, mais la rigueur technique exigée du saxophone est résolument classique moderne. Le concert était surtout l’occasion de découvrir un interprète de grand talent, le saxophoniste étatsunien Steven Banks. Quel élégant artiste! Un son beau et moelleux, une aisance autant dans les aigus que dans les graves et une technique impeccable, nette et finement ciselée. Bien que M. Banks tenait l’affiche, la réalité de la musique est qu’il s’agissait d’un travail collectif et chambriste de très haut niveau. Plusieurs lauréats du Concours OSM faisaient partie de l’ensemble sur scène (dont Cameron Crozman et Antoine Malette-Chénier), et le jeu d’ensemble était hautement relevé. Je ne sais pas combien de temps ces jeunes artistes ont eu pour mettre tout cela en ordre, mais le résultat était impressionnant : des attaques en tutti précises comme un scalpel, une sonorité globale équilibrée, des nuances pile poil là où il le fallait et d’une grande efficacité, bref, un très grand concert qui en valait des dizaines d’autres avec des artistes plus célèbres et un répertoire plus prévisible. Merci à la Virée classique pour avoir eu le courage de programmer ce genre de programme. Les quelque 350 spectateurs présents à chaque concert ont démontré qu’il y a un public non négligeable pour de la musique moins connue et même pointue. C’est rassurant, et ça mérite d’être souligné.