Tard dans la nuit, le boulevard Saint-Laurent est peuplé de personnages de bandes dessinées. Ils tournent religieusement autour de leurs désirs, les absorbent en les bloquant avec une cigarette et quelques bavardages, pour ensuite replonger dans l’abîme avec des oreilles fraîches. Quelque chose de rebondissant et de doux pour vous faire tomber, mais avec juste assez de substance pour retenir votre attention. Trance. Le duo électronique autrichien Klangkarussell est passé maître dans l’art du trait, l’art de la ligne.
Avant même que vous ne vous en rendiez compte, il est sous vos pieds, un accord rythmique sert de lit à des voix pleines d’âme qui restent dans votre tête jusqu’à ce que vous vous endormiez. C’est un manuel d’eurodance et de trance vocale qui mêle des éléments de disco, une musique destinée à être partagée et dans laquelle on entre et on sort. C’est l’ambiance de la vie nocturne sociale, où les bavardages – étouffés par les lourds kicks – font partie de la musique. Les gens s’accrochent les uns aux autres comme des bouquets d’herbe annonçant le printemps. Je parle à un couple qui me dit être venu de l’autre côté de la rivière pour voir Klangkarussell et je commence à me demander d’où ils viennent exactement.
Devenu populaire à la même époque qu’Avicii et Martin Garrix, Klangkarussell fait partie des exportations européennes qui ont réussi à mélanger des tubes pop avec des montées en puissance et des progressions d’accords et des rythmes conventionnels. Cette arrivée tardive de la pop électronique européenne en Amérique du Nord a été accueillie avec enthousiasme, car sa formule simple était empreinte d’un optimisme qui donnait envie de se laisser aller et de faire des folies. Je me souviens qu’il s’agissait de la bande-son de nombreuses fêtes d’anniversaire, mais à en juger par la foule plus âgée, j’imagine qu’il était tout aussi populaire dans les festivals à l’époque de la récession. Impressionné par la capacité de Klangkarussell à attirer les foules, je me suis approché de plus en plus près pour voir ce qui se passait. Tout sourire, leur excitation était contagieuse car elle annonçait la prochaine montée et la prochaine descente. Les mains en l’air pointant vers le ciel – quand l’hymne commence, il n’y a plus de limites à l’esprit.
Au fur et à mesure que la nuit avance, la piste de danse devient une sorte de communion, et Klangkarussell et ses grands prêtres silencieux. Leur musique n’exige pas l’attention, elle la mérite, attirant doucement les gens vers l’intérieur tout en les élevant. Dans un monde qui semble de plus en plus fragmenté, leur son offre une étrange cohésion, une pulsation partagée. En regardant la foule se balancer sous les lumières vacillantes de Saint-Laurent, je réalise qu’il ne s’agit pas seulement de nostalgie ou d’évasion – c’est un rappel que parfois, tout ce dont nous avons besoin, c’est d’un rythme auquel nous accrocher, et d’un endroit où nous perdre.