AKOUSMA, UN 18 OCTOBRE | Dhomont, Delisle, Mourad Bncr, Côté, Guerra-Lacasse, Cano Valiño, Reid

par Laurent Bellemare

Est-ce possible d’entrer dans le son? C’est la question à laquelle la musique électroacoustique semble vouloir répondre. Entouré des trente haut-parleurs ide l’acousmonium installé à l’Usine C, on avait en tout cas l’impression d’être enveloppé dans le son en mouvement.

En guise d’ouverture de sa 19e édition, le festival Akousma proposait une gamme diversifiée d’œuvres savamment ficelées grâce à des procédés technologiques variés. Fort de 7 décennies de développement, ce classicisme de la musique électro n’est pas en reste en matière de renouveau. Hier, on pouvait d’ailleurs entendre des esthétiques les plus académiques à celles plus profanes. Mis à part les deux prestations, il n’y avait absolument rien à voir, mais beaucoup à entendre. Tout était fixé sur support, comme si vous alliez voir un film sans image, mais rebondissant d’action.

Francis Dhomont

À 96 ans, Francis Dhomont a pratiquement écrit l’histoire de l’électroacoustique. D’ailleurs, sa pièce Somme toute agissait comme un ‘best of’ de sa carrière. Elle était diffusée par Louis Dufort, ancien élève de Dhomont et directeur artistique d’Akousma, qui n’a pas raté l’occasion de souligner l’énorme influence du compositeur français. Bruits qui vous tournent autour, rebonds, objets qui roulent et articulations imprévisibles : tous les éléments clés d’une œuvre concrète phare y étaient. Bien que réalisée dans les règles de l’art, règles en partie écrites par Dhomont lui-même –, la pièce avait peut-être tout de même le défaut de ses qualités. C’était un exposé somme toute très académique, où l’aspect rétrospectif de l’œuvre pouvait être perçu comme un saut du coq à l’âne. Il n’en demeure pas moins qu’entendre une nouvelle pièce de Francis Dhomont, c’est toujours un plaisir ainsi qu’un réel privilège.

Julie Delisle 

Pipa Aura Suichi est-il un titre annonciateur de l’utilisation du pipa chinois? On aurait pu y croire. Pourtant, c’est une banque de son uniquement conçue des instruments inventés du compositeur Jean-François Laporte qui est à la source de cette œuvre de Julie Delisle, compositrice et flûtiste montréalaise. Complètement acousmatique, cette pièce cachait bien son jeu. On y entendait divers crépitements sonores, lesquels sonnaient parfois humides, à l’instar d’un mouvement d’ébullition. Il y avait un usage marqué des traitements sonores, camouflant bien souvent la nature des sons utilisés. Si le tout se développait selon une structure et des phrasés relativement convenus, la pièce avait toutefois une profondeur de champ créée par ses différentes couches texturales évoluant en concomitance.

Mourad Bncr

Comment l’environnement terrestre sonnera-t-il lorsqu’il n’y aura plus d’humains? Chose certaine, personne n’y sera pour l’entendre. Cela ne signifie pas pour autant que notre monde ne sera que silence. Dans Le monde après nous, l’artiste multimédia Mourad Bncr s’imagine un tel paysage sonore. Dès son entrée sur scène, la salle est immédiatement tombée dans une atmosphère lugubre, où la musique évoluait lentement dans une esthétique à la croisée du drone, du dark ambient et du glitch.  Mis à part la présence de l’artiste ainsi que l’inclusion distante d’une mélodie feutrée de flûte nord-africaine, la musique de Bncr était une affaire désincarnée, soustrayant l’anthropocène du portrait pour y laisser derrière une musique qui respire. Les articulations subtiles avaient tout l’espace nécessaire pour que leur mouvement soit pleinement ressenti par l’auditoire. Fort différente des autres propositions, Le monde après nous était un moment fort de la soirée.

Guillaume Côté

Avec Guillaume Côté, on s’aventurait dans des territoires autrefois proscrits par l’enseignement académique de l’électroacoustique. Discrete Stream of Light était une longue pièce de vingt minutes, structurée avec une poignée de longues montées en intensité, juxtaposées les unes après les autres. Durant l’un de ces mouvements, on baignait dans une superposition d’arpèges consonants reprenant les grands principes de l’esthétique minimaliste. Il y avait alors une densification progressive des strates sonores, culminant vers un sommet et une chute brève. Une nouvelle vague pouvait ensuite débuter. Harmoniquement, le tout était très statique. Aucune dérogation du mode majeur dans le choix des notes. De plus, l’essentiel de la matière utilisée semblait constitué de sons de synthèse. Si l’impression était loin d’être celle d’un contenu novateur et surprenant, la familiarité du résultat musical a fait de Discrete Stream of Light une œuvre fort satisfaisante sur le plan des affects. S’il y a eu un moment de bonbon auditif à Akousma hier soir, c’était définitivement celui-là.

Roxanne Melissa Guerra-Lacasse

Il y a parfois un décalage entre les inspirations thématiques des artistes et la perception qu’on peut avoir des œuvres finales. Dans La Berceuse de la veuve de Roxanne Melissa Guerra-Lacasse, c’est l’amour qui devrait être le moteur de création. Ce n’est pourtant pas évident d’y déceler un concept à la fois si vague et si omniprésent dans l’art. Il en va de même pour la pièce de théâtre éponyme qui a inspiré l’œuvre. Ce qu’on pouvait entendre, par contre, c’est une pièce acousmatique très bien montée, dans laquelle une variété de sources sonores plus ou moins identifiables se courtisent et dansent une ronde au-dessus de nos têtes. La pièce est vaguement narrative et les articulations sont graduelles. Il y a une histoire qui se raconte à travers cette trame plutôt ambiante et ses sons inversés, mais on ne sait pas laquelle. La relation avec le théâtre est certainement intéressante, et on peut s’attendre à ce que cet apport porte fruit à long terme dans la musique de Guerra-Lacasse. Une artiste dont il faudra surveiller le travail.

Rocío Cano Valiño

Même constat avec le travail de la compositrice argentine Rocío Cano Valiño dont les deux œuvres présentées à Akousma (Astérion; Okno) étaient respectivement basées sur des récits de Jeorge Luis Borgès et Silvina Ocampo. Dans Astérion, je n’ai su trouver ni labyrinthe ni Minotaure. Toutefois, j’y ai entendu une musique totalement engageante. Dans les deux pièces, les articulations étaient telles que l’attention était retenue du début à la fin. Les grincements, cliquetis et effets de crécelles abondaient et chaque seconde était d’une grande densité d’information sonore. La saturation de sons sur-stimulait l’ouïe, provoquant à la fois plaisir et chatouillement à l’oreille. Un travail monumental de micromontage a été réalisé pour pouvoir composer ces œuvres constamment en mouvement. L’esthétique était cohérente d’une pièce à l’autre et la précision technique de celles-ci était remarquable. Ces diffusions par Valiño auront été des moments marquants de l’événement.

Sarah Belle Reid

Avec Sarah Belle Reid, la trompette était mise dans tous ses états. La compositrice canadienne était la seule à présenter une œuvre mixte, Manifold pour trompette et électronique. Cette prestation de 25 minutes mettait en scène la compositrice elle-même, qui jouait de son instrument d’une manière bien peu orthodoxe. Pour l’essentiel de la composition, la trompette était utilisée comme amplificateur du souffle de Reid, lequel était ensuite capté par un micro qui interagissait avec le dispositif informatique en place. Ainsi, avec divers effets de respiration et bruits de bouche, la compositrice utilisait son instrument à la fois comme une source sonore et comme un contrôleur. Elle manipulait également certains paramètres numériques via des potentiomètres, laissant même sa trompette de côté pour se consacrer à ses machines pendant un bref instant. Vers la fin de l’œuvre, on a pu entendre quelques notes cuivrées, intervenant un peu comme une délivrance résolvant un long moment de tension. Mais pour le reste, on avait droit à une musique effrénée, dont le débit des interventions à la trompette relevait d’un chaos total, mais contrôlé. Le jeu entre l’humaine et la machine était spectaculaire, et cette œuvre aura su terminer la soirée en force.

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