Le sirocco est un courant d’air chaud et vaste que s’échangent l’Afrique du nord et l’Europe du sud. C’est également le symbole dont se sert le violoncelliste sud-africain Abel Selaocoe pour inspirer un esprit d’échanges musicaux entre l’Afrique et l’Europe dans un programme de concert que lui et ses amis du Manchester Collective promènent dans une importante tournée nord-américaine dont Montréal était une étape jeudi dernier.
L’artiste est aussi solide dans Beethoven et Debussy que dans des arrangements de pièces traditionnelles pan-africaines ou même ses propres compositions. Le concert Sirocco, donné devant une salle Bourgie électrifiée par sa présence scénique très charismatique, laissait un peu de place aux classiques européens (très brefs Haydn, Berio et Hans Abrahamsen, folklores scandinaves), mais en donnait surtout aux sonorités et particularités techniques issues de l’Afrique (Mali, Afrique du Sud). Plus que du crossover, bien que parfois ça y ressemblait un peu, Selaocoe a surtout offert une vision interculturelle de la musique de chambre, où un quatuor de Haydn avait la résonance d’un chant spirituel anti-Apartheid d’Afrique du Sud, et des techniques percussives lancées sur les cordes ou la caisse du violoncelle s’accordaient avec des inflexions vocales surprenantes, même impressionnantes. Le musicien versatile naviguait habilement autant dans des aigus délicats que dans des graves grondants qui faisaient penser à des chants de gorge tibétains. Il faut croire qu’entre l’Afrique et l’Asie de l’est, des traditions millénaires ont réussi à se frayer un chemin culturel permanent.
Selaocoe et les musiciens du Manchester Collective (deux violons, un alto, un percussionniste et une basse électrique) ont insufflé une énergie contagieuse qui leur a valu une longue et chaleureuse ovation. Les puristes d’un autre temps auraient détesté ce genre de programme, et pourtant, Selaocoe est porteur d’un nouvel avenir pour la musique classique et son message de renouveau interculturel rejoint manifestement un public nombreux et surtout pas mal jeune.
Photos : Abel Selaocoe et le Manchester Collective crédit Anna Kaiava