« Au milieu de chaque crise se trouve une grande opportunité. »
À leur insu ou non, les acteurs de l’industrie musicale ont ressassé cette maxime d’Albert Einstein. Les promoteurs, propriétaires de salles et autres acteurs du domaine musical sont demeurés optimistes, au Québec lorsque la fin du premier confinement a déclenché un déluge de concerts en direct. Les choses allaient bien, le pire semblait passé. Puis Omicron est arrivé au Canada… et je n’ai pas besoin de raconter la suite.
Deux festivals ont été pris au piège du deuxième confinement : le Taverne Tour de Montréal et le Phoque OFF de Québec. Les équipes de ces deux festivals auraient pu annuler leurs activités de février, personne ne les aurait blâmés. Annuler ou reprogrammer des spectacles en direct constitue une réalité pour les promoteurs, depuis bientôt deux ans. Le concert de l’auteure-compositrice-interprète folk-rock Lucy Dacus a été reprogrammé… trois fois? Puis, qui sait vraiment ce que nous réserve l’avenir? Tout ce que nous pouvons faire, c’est de conserver un espoir optimiste.
Sauter dans la matrice
La boîte Mothland a tout de même décidé de persévérer, au début de février, en transformant son Taverne Tour en une expérience de réalité virtuelle de type Matrix, avec des avatars sous forme de « sprites » et un Montréal recréé numériquement. On se serait cru dans un croisement de l’hôtel Habbo et d’une version Gameboy de Pokémon Jaune ou d’un autre jeu vidéo rétro.
Le Taverne Tour était gratuit, avec des spectacles préenregistrés et tout un amalgame de festivaliers, certains laissant fonctionner leur caméra en continu, d’autres sous forme d’écrans noirs. Il y avait une table de marchandise numérique de l’artiste en concert, et on pouvait aussi regarder les spectacles sur YouTube uniquement. Si vous avez manqué le Taverne Tour, pas de souci : la généreuse équipe de Mothland laisse les concerts sur le site du Taverne Tour pendant quelques temps, ici.
On peut aussi profiter d’options de vêtements personnalisables, pour notre avatar, et d’espaces de discussion privés pour visionner des concerts avec vos amis ou seul, en toute tranquillité. La plupart des flux ne présentaient aucun problème de latence ou de décalage, et la qualité du son était superbe. Les gens étaient plutôt respectueux (on ne sait jamais, dans notre monde de trolls) et tout le monde dansait à l’unisson en appuyant sur « z ».
C’était l’occasion pour beaucoup, comme moi, de découvrir des artistes que j’avais envie de voir en concert, comme la magicienne du rock expérimental Atsuko Chiba, le chouchou du psych-rock Alias, la légende du psych-folk Gus Engelhorn ou la nouvelle crooner synth-pop Andy Jon.
Est-ce que tout cela remplace l’expérience de la musique live? Bien sûr que non, et ce n’était pas le but. Il s’agissait d’une solution de rechange aux concerts en réalité virtuelle, à la fois conviviale et plus axée sur la communauté qu’un visionnement de concert en diffusion continue, à la maison.
Musique dans le métavers
Prochain rendez-vous des festivaliers : le Phoque OFF, du 21 au 25 février 2022, avec plus de 50 artistes de différents genres comme Les Lunatiques, Érika Zarya, Charlotte Brousseau, Zouz, La Fièvre et Émilie Landry.
Patrick Labbé est cofondateur et directeur général du Phoque OFF. « Nous avions organisé un festival avec de grands noms, mais avec les restrictions du gouvernement il n’y avait pas de solution possible. Nous nous sommes donc tournés vers nos amis de l’entreprise NOWHERE pour créer une expérience de festival dans le métavers », a-t-il déclaré à une quinzaine de journalistes lors d’une visite de presse au sein du métavers, en milieu d’après-midi. À quoi rime cette expérience? Il y a d’abord une salle numérique teintée de bleu, de violet et de rose; sur un mur on peut lire « BIENVENUE DANS LE NOWHERE LOUNGE », NOWHERE étant l’entreprise de métavers en 3D qui a collaboré avec Nine Inch Nails, SXSW et Red Bull Music, entre autres.
Tous les spectateurs utilisent une webcam attachée à un hexagone flottant et se déplacent en utilisant leur clavier. On peut aussi sauter, avec la barre d’espacement, pour avoir une vue aérienne du panorama numérique.
Il y a trois salles virtuelles, chacune ayant sa propre tonalité de couleur et son propre fond. « Sirius XM », la salle principale, comporte des plateformes en verre d’où vous descendez pour accéder à la scène et, au loin, des montagnes flottantes ainsi qu’un « système stellaire ». La deuxième salle s’appelle « DOZE » et ressemble à une pochette d’album de synthwave. La troisième, qualifiée de « tranquille », est sombre et opaque.
Je passais facilement d’une salle à l’autre pendant que nous regardions tous un spectacle préenregistré du groupe l i l a, de Québec. Qui aurait cru que le rock indé doux serait vraiment adapté au métavers? « Le problème, c’est que beaucoup de gens entendent parler d’un spectacle dans le métavers et n’ont aucune idée de ce que cela va donner, affirme Patrick Labbé. Il faut que les gens se mettent dans la tête que c’est vraiment l’avenir. » Labbé sait que les spectacles virtuels ne remplaceront jamais la musique en direct, mais il croit qu’ils deviendront plus répandus, surtout si la pandémie se poursuit. « Ce festival-ci n’est même pas fini et nous songeons déjà à un modèle hybride pour les prochains, poursuit Labbé. Pensez-y, vous pourriez regarder des spectacles d’un festival avec des amis de fuseaux horaires différents. Les possibilités sont infinies. »
Les concerts virtuels sont là pour de bon, même s’ils ne remplaceront jamais la musique live, ils pourraient devenir une solution de rechange y faisant écho, en cette période d’incertitude.
Un laissez-passer pour le festival Phoque OFF au complet coûte 28 $. Sinon, vous pouvez opter pour un laissez-passer d’une journée à 10 $, des prix modestes si l’on considère que de nombreux spectacles en continu coûtent habituellement une vingtaine de dollars. Si vous n’êtes pas trop occupés cette semaine – et je suis sûr que vous ne le serez pas puisque le Québec ne se déconfinera pas complètement avant mars –, tentez l’expérience Phoque OFF.