Quand la musique a mal : Thierry Bégin-Lamontagne ou la haute virtuosité au recyclage

par Louis Garneau-Pilon

Chez Pan M 360 nous nous interrogeons, par l’entremise de notre dossier « Quand la musique a mal », sur la santé de la musique et de ses praticiens. Dans le cas qui nous occupe, le guitariste virtuose Thierry Bégin-Lamontagne témoigne de sa condition précaire l’ayant mené à un recyclage professionnel au cours de la pandémie.

Peu de musiciens détiennent une maîtrise en guitare classique au Québec. Ces virtuoses doivent travailler en solo, gérer leur plateforme internet, maximiser leur présence médiatique et l’impact de leur réseautage. On comprendra que le cas de Thierry Bégin-Lamontagne est  particulier,  est considéré par ses pairs comme l’un des plus doués solistes québécois en guitare classique, le meilleur de sa génération selon plusieurs.  Illustre depuis l’adolescence, il présente depuis 20 ans des programmes exemplaires en guitare classique, il y démontre une facilité déconcertante à jouer les œuvres les plus difficiles du répertoire. Qui plus est, il multiplie les efforts de vulgarisation, implique son public dans ses concerts en l’initiant aux fondements  de son jeu virtuose. L’objectif n’est pas simplement d’impressionner, mais aussi de créer un contact humain avec la personne qui l’écoute. Or, comme tant d’autres artistes de la scène, Thierry se voit acculé au pied du mur, il doit face à une crise qui mine son existence déjà difficile… et sa passion.  

PAN M 360 : Initialement, quelle fut l’impact du premier confinement sur ta carrière?

THIERRY BÉGIN-LAMONTAGNE : Dès le début, j’ai trouvé cela très triste. J’avais un concert prévu le 12 mars 2020. Une heure avant de commencer, le directeur de salle vient me voir et me dit qu’il est annulé. La journée même, j’avais embauché un professionnel pour filmer la réaction du public, ce qui n’a pas pu se produire. Je savais que cette épreuve allait être particulièrement difficile. Mes amis me disaient que je capotais pour rien, mais j’étais certain que l’on ne s’en sortirait pas avant au moins un an. 

Pour ma part, j’avais déjà un plan B. Il faut mentionner que je vis avec le syndrome (Gilles) de la Tourette, ce qui compliquait déjà les choses pour me trouver un emploi. Des employeurs me disaient « Vas-tu faire c’t,affaire-là (spasmes) devant les clients ? » Donc très difficile de me trouver un emploi, J’ai donc appris à pratiquer plusieurs autres emplois au cas où. Je savais que même avec cette expérience, les choses allaient se corser.

PAN M 360 : Et pour les deux ans qui ont suivi ?

THIERRY BÉGIN-LAMONTAGNE : Je n’avais pas atteint ma limite… au début. Mais après un an j’ai dû me poser la question : je fais quoi là? Il faut bien que je paye mon appartement et il me faut me nourrir. J’avais deux tournées prometteuses en Europe qui n’ont pas eu lieu, mes billets d’avion n’ont pas été remboursés. Ceux-ci valaient à peu près la moitié de mon revenu total pour l’année! Avec tous les bouleversements en plus… ça part, ça arrête, ça repart, ça arrête encore. Toutes ces difficultés m’ont poussé à changer mon fusil d’épaule et à me trouver un travail. J’avais tout investi dans l’art, des dizaines de milliers d’heures, tant d’énergie. J’ai tout mis là-dedans, sans obtenir les résultats escomptés. Je ne dis pas que ma carrière est terminée, mais cela ne peut plus être la seule chose qui me fasse vivre. J’ai un concert qui fut reporté plus de trois fois pour lequel j’attends encore des nouvelle, alors…  Je comprends pourquoi on a des mesures sanitaires, mais je dois gagner ma vie !

PAN M 360 : L’impact doit être lourd sur ta situation financière!

THIERRY BÉGIN-LAMONTAGNE : Avant la pandémie, il y avait des années où je faisais cinq à huit mille dollars par année avec la musique. Imaginez cette situation pendant vingt ans. Je crois  avoir assez donné pour le sacrifice financier. C’est sûr que c’est  satisfaisant de se rappeler à quel point j’ai été un guerrier persévérant. Je suis passé à travers tout ça en devenant assez connu, mais nous vivons dans un monde qui met plus d’importance sur le système capitaliste. Au moins, avant, je faisais des concerts grâce aux compétitions auxquelles je participais. Mais les concours sont aussi toujours à nos frais. J’ai tout payé de ma poche en m’endettant de 47 000$. Cette dette, quand on fait moins de 10 000$ par an, c’est très long à rembourser. Avec la COVID, payer les intérêts de cette dette en ne faisant pas un sou, c’est un mur ! Longtemps, je me suis demandé si je devais continuer. 

On me demandait souvent quel était mon secret pour ma réussite. Eh bien, le secret c’est que la ceinture était tellement serrée que je réussissais à survivre. Ce n’est plus possible maintenant. Quand on est jeune, on met toutes ses énergies dans ses rêves, mais je ne suis plus jeune. À moins de me faire payer bien plus cher, je ne crois plus être capable de faire quatre ou cinq concerts par an, pandémie ou non. 

PAN M 360 : Est quelle est l’impact de la pandémie sur ta santé mentale?

THIERRY BÉGIN-LAMONTAGNE : Démotivation totale! Ça faisait déjà des années que ma motivation chutait : de moins en moins de concerts, de moins en moins d’intérêt. Et là, tout d’un coup, je n’avais plus rien.  J’ai donc passé un an avec un orienteur pouvant m’aider à me trouver un emploi. Je suis allé me chercher un DEP pour au moins faire quelque chose d’autre. Ça a été une année très difficile pour moi. J’en ai quasiment fait un deuil de la musique. Depuis 2 ans je n’ai pas vraiment eu le goût de jouer professionnellement. J’ai encore du plaisir à jouer pour moi-même, mais le monde de la musique lui-même ne m’attire plus autant. En m’éloignant de ça, j’ai aussi perdu plusieurs contacts, donc je ne sais pas trop comment ça se passe avec les autres. Le peu de choses que je sais, c’est qu’au moins les professeurs de musique ont pu s’en sortir. Surtout grâce aux cours individuels. J’essaie de percer un peu dans le monde de l’apprentissage, mais ça ne semble pas se passer.

PAN M 360 : Que vois-tu pour ton avenir ?

THIERRY BÉGIN-LAMONTAGNE : D’abord, peut-être pourrais-je finalement enseigner dans le contexte de blocs de cours en ligne sur une plateforme telle Udemy, plusieurs musiciens se sont lancés là-dedans. Je vais être un peu en retard, mais ça ne me fait pas peur, le contenu des cours est plus important que leur date de mise en ligne. Je me suis aussi trouvé un emploi chez IBM, une compagnie très respectée, je suis représentant en service système. Je retape des guichets, des ordinateurs ou des serveurs informatiques. Au moins, j’aime ce nouveau boulot, ça me permet de rester plus stable financièrement et d’avoir la tête un peu plus reposée. Depuis des années je suis en mode survie et je ne peux plus tout faire moi-même. Dans le monde de la musique, si tu n’es pas sous le feu des projecteurs, tu n’es rien!

On me demande souvent pourquoi je ne suis pas plus connu. C’est simple, je suis tout seul et je suis pris à tout faire. Je n’ai jamais eu d’équipe pour m’aider. La bureaucratie, les impôts, l’infographie, le réseautage, c’est moi qui devais tout faire! C’est énormément de temps perdu à ne pas me consacrer à mon art. J’ai dû prendre des heures à apprendre à faire tout ça! Mais je commence à me fatiguer de ramer tout seul. Dans le futur, je souhaite quand même réaliser un ou deux projets. Malheureusement, ils prendront plus de temps, vu que je ne peux plus m’y consacrer à 100%. 

Je me suis trouvé un nouvel impresario avec qui je vais travailler sur un nouveau CD. Ce ne sera pas exclusivement un projet de classique. Je vais y jouer de la bossa nova, du jazz et du blues. Ce qui sera le plus important, c’est que j’aie du plaisir ! Si je ne m’amuse pas, le public ne s’amusera pas. Je n’ai plus à me demander si je vais faire assez d’argent pour survivre. Ne plus avoir une épée de Damoclès au-dessus la tête, c’est libérateur. Je n’ai plus à faire de la musique pour me nourrir. Je peux en faire parce que ça me plait et que j’en aie envie. 

Je ne me vois pas perdre ma passion pour la musique, il faudrait m’enlever l’usage de mes mains pour que ça se produise. J’ai beau être déçu, la musique reste malgré tout ma raison de vivre. 
Si vous êtes intéressé à en apprendre davantage, vous pouvez consulter le site internet de Thierry et sa page SoundCloud.

Site internet de Thierry Bégin-Lamontagne

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