Chez Pan M 360 nous nous interrogeons, par l’entremise de notre dossier « Quand la musique a mal », sur la santé de la musique et de ses praticiens. Dans le présent article, le président de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec s’exprime sur les décisions prises au sommet de l’État québécois, en ce qui a trait aux arts de la scène au temps de la COVID.
Excellent guitariste à cordes de nylon, connu notamment pour le fort bon duo qu’il a formé avec Richard Léveillé avant de devenir syndicaliste professionnel à la défense de ses collègues, le président de la GMMQ ne mâche pas ses mots lorsqu’il parle de la vision de la culture dans les plus hautes sphères du gouvernement provincial.
« Je pense que le bureau du premier ministre (François Legault) considère la culture comme un divertissement sympathique… et pas quelque chose d’essentiel. »
Si Luc Fortin se montre plus nuancé et tolérant à l’endroit des acteurs du gouvernement provincial en matière de culture, il l’est beaucoup moins pour le bureau du PM pour sa sévérité plus grande à l’endroit des arts de la scène depuis deux ans.
« Nous avons eu un bon soutien du Ministère de la Culture et des Communications et même de la Santé publique mais… lorsque notre dossier est rendu au bureau du Premier Ministre, on se dit peut-être que la culture peut attendre plus et que ce n’est pas grave. Je ne suis pas le seul qui pense ça, ce sentiment est partagé par plusieurs acteurs influents du milieu. Nous, artistes de la scène, sommes toujours les premiers à fermer et les derniers à rouvrir à chaque vague de la pandémie… Normalement, mon poste devrait imposer une certaine rectitude politique mais je me sens obligé de le dire ainsi : ça fait deux ans qu’on est emprisonnés, on nous libère à moitié.»
À l’instar des milieux de la restauration et du sport dont les professionnels ont énormément souffert, le milieu de la musique a vu ses effectifs fondre comme neige au soleil depuis le début de 2020. Ainsi, depuis le début de la pandémie, la Guilde des musiciens a perdu 15% de ses membres. Durant les pires moments, la proportion a grimpé jusqu’à 20%, indique le président du syndicat .
« Si on compare 2019 à aujourd’hui, à même date, précise Luc Fortin c’est 15% de moins. Au cours des 20 dernières années précédant la pandémie, notre membership n’avait pas bougé, c’est-à-dire environ 3200 membres bon an mal an. Aujourd’hui, nous avons perdu 550 membres… Et on ne compte pas les abandons de tous ces jeunes musiciens professionnels en voie de devenir membres – ou non. Si on compte tout ça, ça fait beaucoup plus de monde. »
Cette défection bien réelle ne conduit pas nécessairement à l’arrêt des activités professionnelles mais…
« Mon neveu est un super musicien, il s’est ramassé en biologie. Il fait partie de ce que j’appelle le semi-abandon, soit le musicien contraint à se recycler dans d’autres professions mais qui continue à jouer quand c’est possible. Comme on disait dans le temps, « garde ta job de jour ! » La pandémie n’est pas le seul facteur qui explique cette tendance, mais elle a convaincu un paquet de monde d’appuyer sur le bouton off. Et il faut aussi compter les techniciens de scène, les agents de tournée et autres professionnels du même écosystème. »
Depuis une vingtaine d’années, rappelons-le une fois de plus, les musiciens souffrent d’un déclin prononcé de leur condition économique, déclin que dictent les géants du web, vu le partage injuste et non réglementé des revenus générés par la musique dans un environnement numérique. Cette tendance s’incruste depuis 2000, deux décennies pendant lesquelles les institutions n’ont jamais formé autant d’instrumentistes, interprètes et compositeurs de grand talent… et dont les perspectives d’avenir sont piètres pour la majorité absolue d’entre eux. Hormis l’interprétation ou la composition, l’enseignement de la musique n’est plus exactement une solution intéressante pour la plupart d’entre eux : étant plus nombreux à exceller, les jeunes professionnels peuvent beaucoup moins espérer des postes intéressants dans l’ensemble du réseau de l’enseignement.
« Cette tendance était déjà là avant la pandémie, explique Luc Fortin mais, depuis deux ans, cette réalité est exacerbée. Nous de la Guilde faisons régulièrement la tournée des institutions d’enseignement et, depuis 2018-19, on nous parle d’une baisse de clientèle étudiante intéressée à la musique. Alors imaginez aujourd’hui! Certains instruments ne sont même plus enseignés dans certaines écoles ou facultés, faute d’élèves ! Nous n’avons pas de statistiques à ce titre, mais cette baisse est assez importante pour que le personnel enseignant nous en parle régulièrement. »
Nous voilà peut-être au terme de la dernière vague majeure de la pandémie mais rien n’indique le retour des jours meilleurs côté musique vivante:
« Depuis peu, observe Luc Fortin, des dizaines de milliers de personnes sortent dans des centaines de restaurants et qui ne portent pas de masques lorsqu’ils mangent. Dans les bars on devra rester masqué. Présenter des concerts dans les petites salles ? Un spectacle n’est pas rentable dans un bar rempli à 50% de sa capacité. Et je remets en question cet argument très discutable du nombre de 500 sièges maximum dans les grands amphithéâtres.”
Le bureau du PM en prendra-t-il acte ? Au bureau du président de la Guilde, on ne se fait pas d’illusions…