L’an 2021 nous a réservé une suite de nouvelles plutôt moches… mais beaucoup de très bonne musique! L’équipe de PAN M 360 s’est penchée sur les nombreux albums parus en 2021 et a sélectionné les 100 meilleurs. Nous les dévoilerons selon leur mois de parution, en cinq tranches et autant de jours. Voici donc les albums de janvier, de février et d’une partie de mars. Bonne lecture et, surtout, bonne écoute!
L’équipe de Pan M 360
Steve Earle and the Dukes
J.T.
New West
Justin Townes Earle est mort en août 2020 d’une surdose de cocaïne additionnée de fentanyl. Sur J.T., Steve Earle rend hommage à feu son descendant. Onze pièces, dont dix ont été composées et écrites par Justin Townes. Last Words, la onzième, provient de Steve Earle : « J’y étais quand tu es né – Ta mère te tint puis moi aussi (…) – À ton trépas j’aurais souhaité – Y être pour te tenir ainsi ». Steve Earle œuvre, depuis une quarantaine d’années, à l’édification d’une cathédrale de l’americana. Il ne prévoyait sûrement pas, toutefois, y célébrer les funérailles de son fils. (Luc Marchessault)
Arlo Parks
Collapse In Sunbeam
Transgressive
Arlo Parks n’avait que 20 ans lorsque l’album Collapse in Sunbeam fut rendu public, en janvier 2021. Vieille âme! Fruit capiteux d’un étal pop mâtiné de brit-soul/R&B et de beatmaking typiquement hip-hop, cet album met en musique la fraîcheur poétique d’un journal personnel, où l’artiste parvient à extirper de la beauté des grandeurs et misères de sa jeune existence et des mœurs observées chez sa génération. Les douze titres ici proposés par cette enfant de l’immigration africaine au Royaume-Uni se démarquent essentiellement pour le texte et la réalisation de constructions chansonnières, assorties d’accroches mélodiques essentielles au succès pop. Frais, sensible, créatif et intelligent. (Alain Brunet)
shame
Drunk Tank Pink
Dead Oceans
Ce quintette post-punk de South London, au Royaume-Uni, s’est fait connaître grâce à son fantastique premier album Songs of Praise. Et Drunk Tank Pink, le deuxième, est aussi merveilleux. Voici un album rempli de guitares frénétiques, de paroles angoissantes et d’incertitudes sonores qui met l’auditeur à rude épreuve. Ces gars-là sont dans la vingtaine, mais ils jouent comme s’ils avaient vécu des générations. (Stephan Boissonneault)
The Besnard Lakes
The Besnard Lakes Are The Last of the Great Thunderstorm Warnings
Flemish Eye
Les Besnard Lakes, émissaires non officiels de la psych-expérimentale indie montréalaise, nous ont habitués aux chansons qui stimulent tout le système nerveux. Qui plus est, leurs albums conservent leur éclat. Leur plus récent, cependant, The Besnard Lakes Are the Last of the Great Thunderstorm Warnings, est franchement exceptionnel. Tout comme sur l’album …Are the Dark Horse, les harmonies débordent de style, les synthés dansent, puis les crescendos pop baroques et les couches de guitares post-rock s’entrechoquent. Le genre d’album qui vous révélera quelque chose de nouveau à la 50e écoute. (Stephan Boissonneault)
Connaisseur Ticaso
Normal de l’Est
Joy Ride
Paru au tournant de 2021, Normal de l’Est a résisté à toute concurrence et a enfin élevé Connaisseur Ticaso au rang des meilleurs MC de Montréal. Pour des raisons éminemment systémiques, Steve Casimir (de son vrai nom) a mis une génération avant d’accéder à cette reconnaissance légitime. Normal de l’Est se veut un parcours, la rue est ici un mirador permanent pour ce chroniqueur afro-urbain, éloquent, intelligent, paradoxal. Coordonné par l’incontournable Ruffsound, le beatmaking est digne des meilleures ambiances de série noire, le tout étoffé par un détachement complet de producteurs et rappeurs. Félix bien mérité à l’ADISQ 2021, catégorie Album de l’année – Rap. (Alain Brunet)
Werewolves
What a Time to Be Alive
Prosthetic
Si vous avez envie d’une bonne dose de death-metal ultra-rapide, le 2e album de Werewolves est pour vous. Les membres du groupe, qui œuvrent aussi chez Psycroptic, The Antichrist Imperium, The Bezerker, demeurent en terrain connu avec cette nouvelle entité musicale : vélocité, influences black metal, grind et une petite touche d’industriel. L’objectif avoué du trio, en créant What a Time To Be Alive, était d’injecter dans chaque morceau autant de haine qu’il y a en a dans l’air du temps actuel. Ça dit pas mal tout. (Christine Fortier)
Tommy Guerrero
Sunshine Radio
Too Good
Tommy Guerrero s’est d’abord fait connaître au cours des années 80 en tant que skater pionnier du street-style, au sein de la Bones Brigade. À la fin des années 90, il amorce une œuvre discographique qui se révélera riche, en explorant les tendances de l’époque. Son évolution marquée vers le funk à saveur rétro, baigné d’une bonne mesure de tropicalia dans sa production la plus récente, culmine avec cet album où il a assuré presque tous les postes. Sunshine Radio s’avère une suite bonifiée de son excellent album précédent, Road to Nowhere. Trame parfaite pour prendre ça cool, en rêvant du soleil. (Patrice Caron)
Black Country, New Road
For The First Time
Ninja Tune
Le jeune groupe londonien Black Country, New Road ne craint pas les mélanges improbables et leur trouve une cohésion : post-punk, post-rock, prog crimsonien, bruitisme, polka-rock, musique contemporaine de souche européenne, minimalisme américain, free-jazz et autres fines herbes frémissent dans la même marmite. La voix étranglée, le ton tragi-comique et les récits hyperréalistes du frontman Isaac Wood, très bon guitariste au demeurant, ne passent pas inaperçus. Ces salves de mots ponctuent une grande diversité stylistique et différents niveaux d’intensité musicale, tantôt réfléchis, tantôt sauvages, sorte d’attitude à la fois punk et savante. Voilà un des nombreux signes de la résurgence rock en 2021. (Alain Brunet)
Nick Cave & Warren Ellis
Carnage
Goliath
Pandémie oblige, Nick Cave n’a pas requis les services de ses Bad Seeds afin de donner vie à ses nouvelles compositions. Il s’est tourné vers son vieux pote Warren Ellis, mauvaise graine en chef depuis le départ de Mick Harvey. La sombre paire, qui se montre toujours aussi inspirée, a élaboré un album constitué de ballades poignantes (Albuquerque, Lavender Fields) et de morceaux plus menaçants (Hand of God, White Elephant), au-dessus desquels plane toujours l’ombre d’Arthur, fils que le barde australien a perdu à la suite d’un cruel accident. (Steve Naud)
Cult of Luna
The Raging River (EP)
Red Creek
À 39 minutes, le 2e EP du collectif suédois pourrait aussi bien être considéré comme un album complet. Les mélodies sinueuses et introspectives, les montées en puissance passionnées et les rythmes hypnotisants s’entrelacent pour former un périple musical engageant et très satisfaisant. Cult of Luna se permet une digression de style avec la chanson Inside of a Dream, une sorte de complainte narrée par Mark Lanegan (Screaming Trees, Queens of the Stone Age). Ce n’est pas le meilleur moment du EP, peut-être parce que cette chanson est tellement différente du reste, mais si Cult of Luna est content, c’est ce qui compte. (Christine Fortier)
The Weather Station
Ignorance
Fat Possum
Après la parution de son album homonyme, The Weather Station, Tamara Lindeman a connu une période plutôt calme, de 2019 à 2020. Elle peaufinait un nouveau son, mettant à profit son écriture de type « flux de conscience » pour commenter le monde qui l’entoure. Elle est revenue en 2021 avec un groupe d’indie jazz qui l’accompagne sur Ignorance… et le résultat est magnifique. Des pièces comme Robber et Tried To Tell You figurent dans ce qu’elle a fait de mieux, jusqu’à maintenant. (Stephan Boissonneault)
Madlib & Kieran Hebden
Sound Ancestors
Madlib Invazion / Piccadilly
Sound Ancestors est une puissante créature bicéphale dont le hip-hop est une tête, celle du réputé Otis Jackson Jr, alias Madlib, l’autre étant celle de la fine électro qu’incarne Kieran Hebdan, alias Four Tet. Au programme, superbe mélange intégré de beatmaking hip-hop, productions post-IDM, free-jazz, cosmic-jazz post-Sun Ra, jazz-funk, soul/R&B, flamenco nuevo, dancehall jamaïcain, musique de chambre pour cordes et kalimba, musique d’Afrique de l’Ouest comprenant des balafons et on en passe. Cette fresque de 16 titres résulte de procédés bien de notre temps : intégration et modification d’enregistrements préexistants, séances inédites en studio et esthétique hybride. (Alain Brunet)
Kameliia
IV
Overbalance
Cette pianiste de formation classique s’est lancée dans la musique techno et on peut dire que le résultat est plus que réussi. Originaire de Bulgarie, cette musicienne a publié IV sur un label moscovite. Cet album est un mets concocté avec des ingrédients de techno à base de beat fracassant, kick roulant, charlet, échos et réverbes, avec un soupçon de notes de synthé. On notera aussi le petit clin d’œil au cinéma français dans le titre Se leurrer, voire même une prise de position de l’artiste. Kameliia se doit d’être dans votre sélection musicale de fêtes de fin d’année. (Salima Bouaraour)
Ghetts
Conflict of Interest
Ghetts Limited / Warner
Les férus de grime connaissent l’expérimenté Ghetts depuis 2010, époque où la scène d’East London le consacrait parmi les siens. Onze ans plus tard, quiconque apprécie la culture afro-britannique doit absorber ses récits hyperréalistes et consonants, réminiscences d’une existence difficile d’immigrés où il faut composer avec ses carences psychologiques, avec ses difficultés économiques, avec la délinquance et la criminalité. On doit ici s’incliner devant ce raffinement du style grime au moyen d’une approche orchestrale quasi symphonique, à l’origine fondée sur les styles électroniques anglais d’ascendance afro-caribéenne (dub, jungle, drum&bass, dubstep) et désormais mâtinée de soul/R&B, jazz, musique de chambre de tradition classique occidentale, chant choral et autres bandes originales à la John Barry. (Alain Brunet)
Artistes variés
Strangers In Their Own World
MFC
BitterCaress, à l’initiative du projet, réunit cinq producteurs et productrices que les amateurs et amatrices de fêtes underground torontoises et montréalaises connaissent déjà bien pour leur capacité à faire taper du pied. Les artistes invité.e.s ont composé leur production autour du thème Strangers In Their Own World. Ils et elles explorent des sujets sociétaux comme l’isolation (Oracle Opium, par Aahan), la santé mentale (La Morte d’Alex, par Alexa Borzyk), les violences policières (Brain to body, par Inside Blur), l’itinérance (Street Strangers, par KORVN) et celui d’un avenir meilleur (Vision Of Tomorrow, par ottoman.grüw). Tous et toutes délivrent des pépites de techno dure, crue, froide et rapide. (Elsa Fortant)
Elinor Frey
Vandini : Complete Works for Cello
Passacaille
Découvreuse de trésors, passionnée discrète, Elinor Frey contribue brillamment à l’épanouissement du répertoire du violoncelle ancien depuis plusieurs années, grâce à ses recherches studieuses dans les fonds de bibliothèques un peu partout en Europe. Ici, c’est un certain Antonio Vandini, contemporain et peut-être ami de Vivaldi, qu’elle tente de ressusciter en nous offrant sa musique à la fois joueuse et sérieuse, une rareté dans l’Italie du 18e siècle. (Frédéric Cardin)
Renée Reed
Renée Reed
Keeled Scales
Lorsque la Louisianaise Renée Reed chante de sa voix plaintive et gratte langoureusement sa guitare, c’est une vieille âme que l’on a l’impression d’entendre. Peut-être est-ce dû à la transmission d’un savoir ancestral musical : elle est la petite-fille des accordéonistes Harry Trahan et Bob Reed, petite-nièce du folkloriste, musicien et professeur Revon Reed, et fille de la multi-instrumentiste Lisa Trahan et du violoniste et contrebassiste Mitch Reed. Chantées en anglais et en français, les pièces évoquent l’onirique et nous rappellent le dream-folk de Jessica Pratt. Un premier album envoûtant. (Isabelle Marceau)
Nicolas Horvath
Alvin Lucier: Music for Piano XL
Grand Piano
Le titre complet de cet album est Music for Piano With Slow Sweep Pure Wave Oscillators XL. L’œuvre a été créée en 1992 dans une version d’une quinzaine de minutes, mais la version « XL » de 2020, celle de cet enregistrement, offre 64 minutes d’une musique méditative, immersive et spectrale. Le piano entre en résonance constante avec les deux oscillateurs qui émettent des ondes balayant quatre octaves. L’un des meilleurs extraits du catalogue d’œuvres pour piano du compositeur décédé le 1er décembre 2021. (Réjean Beaucage)
Floating Points, Pharoah Sanders & The London Symphony Orchestra
Promises
Luaka Bop
Héraut du jazz libre dans les années soixante, protégé du grand John Coltrane, le vénérable saxophoniste Pharoah Sanders est toujours allumé. Après avoir entendu un disque du britannique Sam Sheperd, qui crée de la musique électronique sous la bannière Floating Points, il a exprimé le désir de collaborer avec lui. D’où cette rencontre au sommet de la voie lactée, magnifiée par les cordes de l’Orchestre symphonique de Londres. Ce mariage entre les styles et les générations est dominé par le souffle toujours aussi somptueux du pharaon. (Steve Naud)
Serpentwithfeet
Deacon
Secretly Canadian
L’amour au quotidien, les contacts fortuits, les bonheurs et les chagrins, l’expression du désir, les refuges du cocon intime. Josiah Wise, alias Serpentwithfeet, y assume pleinement son identité homosexuelle et contribue à construire l’identité LGBT afro-américaine, en ciselant cette onzaine de chansons pour la plupart magnifiques. Les antécédents gospel sont clairement repérables dans cette musique pourtant adaptée à l’instrumentation hybride de notre époque. Sa tessiture de haute-contre et de ténor léger sied parfaitement à son esthétique, assez exploratoire pour y conclure à une forte personnalité en réalisation, assez conviviale pour fédérer les amateurs de mélodies soul-gospel le moindrement ouverts aux avancées formelles de la pop culture. (Alain Brunet)