expérimental / jazz

Jon Hassell: L’infatigable explorateur (troisième partie)

par Michel Rondeau

L’air de rien tant il est discret, voire effacé, le trompettiste Jon Hassell a eu sur la musique du dernier demi-siècle une influence marquante. Il est vrai qu’il a un son et qu’il a créé un univers musical qui sont instantanément reconnaissables, ce qui est la marque des grands. Mais qui est-il au juste et surtout qu’a-t-il donc accompli pour se distinguer de la sorte ? Pour répondre à cette question, PAN M 360 a retracé son parcours.

Photo : Roman Koval

Chronologie sélective (fin)

En 2005, Jon Hassell prend part au festival Punkt à Kristiansand en Norvège, dont on peut entendre deux des remixes de son concert faits en direct par Jan Bang et Erik Honoré sur l’album Punkt live remixes vol. 1 paru en 2008.

En 2006, il participe à l’album Utopies du Hadouk Trio dont il cosigne deux des trois pièces sur lesquelles il joue.

En 2007-2008, il compte parmi les musiciens qui interprètent la magnifique Siwan de Jon Balke, où se rencontrent musiques moyen-orientale, andalouse et baroque, que publiera ECM l’année suivante.

Puis, arrive l’année suivante Last night the moon came dropping its clothes in the street. Hassel y est épaulé par les musiciens qu’il appelle le Maarifa Street band, dont le noyau est formé de Freeman et Cox, auxquels se joignent divers autres au gré des morceaux, dont le guitariste Eivind Aarset, le bidouilleur Jan Bang, le claviériste Jamie Muhoberac et le violoniste Kheir-Eddine M’kachiche. Dans Abu Gil, par exemple, il reprend le thème de Caravan pendant que la section rythmique et le guitariste se livrent à un doux funk sur lequel M’kachiche esquisse des figures arabisantes. Ailleurs, les lignes mélodiques et rythmiques  et les nappes d’échantillonnage en direct qu’injecte Jan Bang dans le mix tissent une trame aux couleurs chatoyantes dont la cohésion d’ensemble est d’une précision et d’une délicatesse qui plongent l’auditeur dans un ravissement de tous les instants autant qu’elles le font planer. Cet album est un pur délice !

En 2010, il participe à la production de l’album de Jan Bang … And Poppies from Kandahar, dont il cosigne les deux pièces sur lesquelles il joue : Passport Control et Exile from Paradise

Il innove encore

En 2018, il lance Listening to Pictures (Pentimento Volume One) sous étiquette Ndeya, label qu’il a fondé avec la collaboration de Matthew Jones de Warp Records. Infatigablement, il y continue d’explorer. Cette fois, c’est en jouant avec la surimpression d’images et de fragments sonores par transparence. On sait que dans un enregistrement, il y a du relief, de la profondeur, une certaine notion de tridimensionnalité, mais ici le trompettiste pousse l’exercice plus loin. C’est comme s’il réussissait à faire apparaître un autre niveau derrière celui qu’on entend à l’avant-plan. Pour y parvenir il emploie parfois un flou semblable à celui de la perspective aérienne que les peintres employaient, à d’autres occasions, c’est en faisant coexister deux trames, la seconde est un chouïa décalée rythmiquement par rapport à la première. On a ainsi l’impression par moments d’apercevoir des trouées dans la musique et d’en voir une autre derrière, ce qui crée de saisissants effets synesthésiques. On peut imaginer la précision nécessaire à la création de ces illusions au moment du mix : chirurgicale !

En juillet 2020, il fait paraître la suite, Seeing Through Sound (Pentimento Volume Two)

Plutôt que de proposer un seul disque de 75 minutes (ou un album de deux 33 tours, puisque le vinyle a regagné en faveur), Hassell a préféré scinder les pièces en deux volumes. La plupart des morceaux de ce second volume ont donc été enregistrés à la même époque que ceux du premier, mais en les réécoutant après les avoir laissé reposer un moment, il n’était pas tout à fait satisfait. Il s’est donc mis à les retravailler. Avec pour résultat que sur ce second volume, on arrive encore mieux à « voir à travers le son », comme l’indique justement le titre, ces niveaux à l’arrière-plan. Les éléments au premier plan semblent se détacher encore plus nettement, et les textures sont à la fois mieux définies, plus variées et plus foisonnantes encore.

Sur la première pièce, Fearless, on a le bruit de l’eau qui coule, un drone intermittent un peu râpeux qui ressemble à une note de clarinette contrebasse, un motif rythmique assuré par une guitare et des clavés, des accords qui évoquent Portishead, quelques sonorités machine et au-dessus la trompette de Hassell qui plane. Puis à l’arrière, apparaissent par moments des nappes d’une autre trame et, dans le lointain, le violon de Hugh Marsh… Certaines pièces sont vaporeuses, comme Timeless et Moons of Titans, d’autres sont plus rythmiques et heurtées, comme Unknown Wish ou Reykjavik, avec leurs fragments sonores et glitch plus expérimentaux. Sur la planante Delicado, on croit même reconnaître en filigrane l’écho de quelque ancienne pièce du trompettiste. Sur la bien nommée Lunar, l’emploi judicieux et abondant de l’écho nous transporte vraiment sur une autre planète.

La dernière, Timeless, est une ballade complètement hypnotisante aux lignes mélodiques qui se croisent pimentées de toutes sortes de petits bruits rythmiques, dont certains évoquent celui des téléscripteurs, avec les divers plans qui semblent fluctuer d’un niveau à un autre. Pour peu que vous écoutiez avec attention, l’ensemble vous laissera tout ébaubi.

Si on l’a assez peu entendu durant la dernière décennie, ses concerts se sont fait rares, c’est qu’il s’est employé d’une part à rééditer certains de ses albums (Vernal Equinox, Dream Theory in Malaya et City: Works of Fiction) et qu’il s’est consacré à l’écriture d’un livre intitulé The North and South of You dans lequel il analyse la dynamique nord-sud actuelle, avec d’un côté l’hémisphère nord, rationnel, logique et technologique, dominant, et de l’autre hémisphère sud qui est celui de l’intuition, de la samba… et sur le déséquilibre qui existe entre les deux. Il semble être toujours à la recherche d’un éditeur.

Difficultés financières

C’est aussi qu’avec l’âge (il a quand même eu 83 ans en mars), il s’est mis à avoir des ennuis de santé. Étant donné qu’il habite Los Angeles, avec son chien Hendrix, et qu’aux États-Unis, comme chacun sait, les soins de santé ne sont pas exactement abordables, il s’est monté ces dernières années une ardoise assez costaude. Pour l’éponger, des amis ont ainsi mis sur pied une campagne de financement.

Si vous désirez y contribuer et ainsi témoigner de votre gratitude pour son inlassable travail de recherche et d’exploration et les heures de ravissement que vous avez passées à écouter ses musiques, il suffit de cliquer ici.

Lisez notre interview avec Jon Hassell demain.

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