Les 29 et 30 janvier prochains se tiennent les premières mondiales du programme Voivod Symphonique, rare manifestation grand public juxtaposant la “grande culture “ classique avec le monde souterrain du métal. Pourtant, nombreux sont les liens qui unissent ces deux traditions européennes, tant par leur musique que par leur histoire. Néanmoins, ce rapprochement reste méconnu, même chez les plus érudits, notamment chez les musiciens d’orchestre sauf exceptions. Pour démystifier le contexte duquel culmine cette collaboration hors du commun, notre collaborateur et musicologue Laurent Bellemare vous propose ici un brillant survol comparatif des similitudes entre ces deux univers. Voici la quatrième et dernière partie de son excellent dossier.
Un enjeu de cordes vocales
À l’instar de l’opéra, dont le vibrato des solistes et les techniques de projection vocale sont souvent durs à digérer pour le commun des mortels, le métal repousse tant de mélomanes à cause de son approche vocale.
« Le growl, c’est encore la plus grosse barrière », nous explique Pascal Germain-Berardi pour élucider cette appréhension partagée même par de nombreux musiciens. David Therrien Brongo renchérit en précisant que « la voix c’est ce qui rejoint le plus les gens. On utilise nos cordes vocales tous les jours. De s’imaginer growler, j’imagine que les gens, ça leur fait mal. […] Je ne sais pas si c’est une forme d’empathie, un blocage ou le fait que les gens crient… les gens n’aiment pas la chicane… Encore là, la distorsion [de la guitare], c’est le côté granuleux, le grain qui rappelle aussi le growl de la voix. C’est pas lisse ».
Là aussi, il y a un parallèle à faire avec la musique contemporaine et ses techniques grinçantes et bruitistes.
David ajoute : « Je suis justement sur une pièce où je passe un archet sur [de la] styromousse. Moi, ça ne me dérange pas, mais il y a des gens pour qui ça fait le même effet que des ongles sur un tableau. Je sais qu’au concert, il y a des gens qui vont sauter sur leur chaise à cet effet là… c’est de la musique classique! »
Le diable est dans les détails
Les mondes classique et métal sont de plus en plus proches, mais ce développement est loin d’être généralisé dans l’imaginaire collectif. Même dans le milieu orchestral, peu d’artistes connaissent la musique métal, ce que l’arrangeur de Voivod Symphonique Hugo Bégin nous confirme.
Quoi qu’il en soit, il y a heureusement une volonté de l’OSM d’accueillir autre chose que des concerts traditionnels. Mais au-delà d’attirer des métalleux au concert classique, peut-on s’attendre à une fusion progressive des deux milieux culturels?
Pour Pascal Germain-Berardi et David Therrien Brongo, cette potentielle ouverture est plutôt un effet collatéral du fait de la ponctualité de l’événement: « On va pas créer des nouveaux fans de Chostakovich et Mahler avec Voïvod Symphonique même si c’est une clientèle qui pourrait très bien y répondre ».
Le succès de ce dialogue culturel consisterait-il plutôt à présenter des concerts hybrides ou on inviterait les deux genres côte à côte sans les fusionner?
Certes, l’Orchestre symphonique de Montréal appose son sceau de légitimité sur la musique de Voivod, et c’est un bel hommage au regretté guitariste Denis ‘Piggy’ D’amour, un mélomane qui s’intéressait notamment à Karlheinz Stockhausen, Penderecki et Ligeti.
Le programme permettra aussi de célébrer la complexité avant-gardiste du premier groupe de métal québécois à s’être imposé mondialementl, il y a plus de 40 ans.
Espérons que Voivod Symphonique laissera sa marque dans le paysage culturel et créera un précédent pour d’autres collaborations. Pour l’heure, les concerts de métal avec orchestre restent des événements très ponctuels, et il est remarquable que Montréal, autoproclamée “capitale du métal” en 2019, en soit l’hôte.
FIN