Sur Terre, 93 millions d’êtres humains ont le français pour langue maternelle, 321 millions parlent le français et le parleront tant et aussi longtemps qu’ils y trouveront leur compte en s’y sentant inclus dans le respect et l’équité.
Sur une population humaine de 8 milliards, la proportion de la langue maternelle française dépasse à peine 1% et le nombre de locuteurs francophones représente 4%. Au Canada, on indique que la proportion de francophones est passée de 22,2 % à 21,4 % entre 2016 et 2021, soit une somme de 8,3 millions de personnes qui parlent le français sur 39 millions d’habitants. Du quart de la population canadienne il n’y a pas si longtemps, les francophones sont passés au cinquième, cette proportion décline comme on le sait depuis trop longtemps déjà.
Lorsqu’une langue est fragilisée ou carrément menacée, c’est aussi l’écosystème culturel de la planète qui l’est, c’est une vision du monde, un angle d’observation de la réalité humaine, une sensibilité propre. Alors oui il faut et il faudra vraiment se remuer pour faire en sorte que cette proportion cesse de baisser. À quel prix?
Au prix de l’inclusion réelle des humains qui se joignent à la famille francophone, au prix d’une relance rigoureuse de l’éducation du français. Maîtriser sa langue n’est pas une démarche futile et snob, y voir une perte de temps camoufle mal les complexes de locuteurs mal outillés.
Prenons la francophonie d’Amérique. Écoutez attentivement vos porte-paroles, dirigeants, spécialistes, professionnels. Plusieurs parlent un français mal maîtrisé sans en comprendre certaines règles grammaticales ou syntaxiques. Même du côté de l’élite, les usages erronés des mots et les erreurs de formulation sont monnaie courante, les liaisons sont très souvent bancales, on en passe et des meilleures. Bref, le français d’Amérique bat de l’aile jusqu’au faîte de la pyramide.
Cela étant dit, posons ceci : la créolisation d’une langue n’a rien de néfaste en soi. Bon gré mal gré, elle reflète le brassage réel des cultures et des générations, sans diffraction. On le constate dans le rap keb, l’exemple le plus frappant de la mouvance actuelle. Le franglais qui y prédomine est un reflet direct de la réalité urbaine et aussi de la porosité de la langue française en Amérique dans un contexte de précarité de sa littératie et du faible niveau de ses locuteurs, même parmi les plus éduqués. Alors la dernière chose à faire est de dénigrer les métissages linguistiques comme certains le font erronément. La première chose à faire est plutôt d’améliorer la santé du français et de le rendre plus attractif.
Ce phénomène est un peu moins marquant en Europe francophone, il y est néanmoins tangible depuis un demi-siècle avec cette accélération de la mondialisation culturelle au profit de la langue anglaise.
Ce déclin annoncé et vérifié du français est aussi celui de toutes les langues directement liées à l’influence anglo-américaine dans un environnement numérique mondialisé, mais il ne relève pas seulement de ce facteur, contrairement à ce que soutiennent plusieurs nationalistes obtus.
Vouloir communiquer dans une langue « mondiale », qu’il s’agisse d’un anglais créolisé ou d’une langue inventée comme l’espéranto, ne passe pas par le français qu’il faut néanmoins nourrir et protéger. À travers cette communication mondialisée, des communautés de toutes régions, toutes nations et toutes langues partagent des valeurs communes qui peuvent l’emporter sur les enjeux régionaux ou nationaux. Et ce partage de valeurs à l’échelle planétaire connaît actuellement une courbe ascendante, même si les forces de la crispation sont tangibles dans toutes les populations du monde.
Quelle langue parleront les francophones de souche ou d’adoption dans plusieurs générations, si les humains arrivent à trouver un minimum de sagesse pour se rendre jusque-là ?
Fort possiblement, ils parleront un français modifié régionalement et, très probablement, ils parleront aussi une deuxième langue d’adoption, créolisée à l’échelle internationale. Laquelle l’emportera ? L’humanité restera-t-elle empêtrée dans cette sempiternelle dynamique de conquêtes successives de langues dominantes de peuples dominants? En cette Journée internationale de la francophonie, la question mérite d’être posée.