La musique du Canadien Sean Clarke s’exprime grâce à une peinture tonale libre, qui va et qui vient entre des enchaînements déracinés et d’autres, liés harmoniquement. La principale préoccupation de Clarke est la couleur et le développement naturel, subtilement ressenti, et surtout non provoqué par un système rigide quelconque. Il s’agit donc, essentiellement, de musique délicate, webernienne, en demi-teintes et en phrasés subtils. On remarque cette démarche avec clarté dans la pièce titre, en deux mouvements, A Flower for my Daughter, une œuvre de grande douceur pour piano qui dévoile sans qu’on en soit surpris les affinités électives de Clarke avec, aussi, Debussy. On perçoit ailleurs la connexion du compositeur avec ses contemporains Saariaho, ou un peu Peteris Vasks. Peut-être aussi Feldman. Le reste du programme témoigne également de l’esthétique très intimiste du compositeur, dans des pièces évanescentes, contemplatives, comme The Christmas Bells From Hill to Hill, ou Winter Light, Castle Mountain.
La même vie secrète, révélée avec pudeur, est dévoilée dans les deux seules pièces pour un autre instrument que le piano : Mountain Hymnal, envoûtante musique pour flûte et résonance accentuée (qui nous donne l’impression d’observer un musicien s’exécutant devant un ample et apaisant paysage), et Ballade, pour guitare. Franey Trail, pour piano et soprano, est un mini opéra de neuf minutes, qui présente le personnage de Clara, 71 ans, dont le fils est mort pendant la Deuxième Guerre mondiale, et qui se le remémore à la veille de ce qui aurait été son 50e anniversaire. Touchant, ce drame lyrique miniature est occasionnellement la scène des mesures les plus densément construites et émotionnellement intenses du programme. Three Nocturnes, After Monet, ramène à Debussy encore, mais à ses Nocturnes pour orchestre, qui ont un mot à dire dans l’inspiration de ce triptyque plus musclé, discursivement, que les autres compositions pour piano seul.
Les interprétations de Roger Feria Jr. au piano, Talia Fuchs, soprano, Sean Clarke lui-même à la flûte et Nathan Brederson à la guitare, sont excellentes et attentionnées.
Un album qui déploie des sons et des couleurs aussi fragiles que des volutes de brume dans l’air du matin, mais qu’on se presse à saisir pour en apprécier toute l’adresse raffinée.