Il y a des albums dont on ne soupçonne absolument pas l’effet positif qu’ils auront sur nous avant de les écouter. On ne sait pas à quoi s’attendre, on lance l’écoute et paf, on est emporté par l’enthousiasme. Sublimation – Songs and dances from 18th-century Scandinavia de l’ensemble The Curious Bards est de ceux-là. D’abord, la couverture n’a rien de vraiment stimulant en plein été (bien qu’elle soit objectivement très belle) : on dirait l’annonce d’un album de Noël. Je sais bien qu’il y a le concept de Noël du campeur, mais… non! Et puis, si le folklore scandinave est fort joli, il laisse assez peu d’échos précis dans nos esprits nord-américains, sinon des chants et danses vaguement ressemblant à notre propre folklore local et à ses sources directes, celui des îles britanniques (ou également de la France, pour le Québec).
Bref, la beauté mélodique des pièces, la qualité des interprétations, l’énergie et la passion communicatrices des musiciens de l’ensemble français (bien sûr, puisqu’ils ont un nom anglais…) frappent immédiatement, car on est étonnés, et convertissent les plus réticents à la chose trad. Il faut dire que les membres du groupe sortent des meilleurs conservatoires (Paris, Lyon et Bâle en Suisse), donnant au répertoire choisi un souffle d’excellence que les mélomanes avertis apprécieront particulièrement.
Le répertoire a été glané dans divers manuscrits, plusieurs jamais consultés auparavant. On y retrouve un ensemble très bien équilibré de danses enlevantes, de balades et de chants mélancoliques. Il y a même quelques ‘’polonaises’’, preuve des échanges nombreux et fructueux entre la Scandinavie et l’Europe du Nord (Pologne, Allemagne, etc.) à l’époque baroque, dans le domaine des musiques populaires. Les artistes scandinaves de l’époque se sont vite approprié certains des nouveaux rythmes provenant de la Pologne voisine, comme, évidemment, la mazurka. Il y a aussi des riils (reels) bien informés par les exemples anglais ou irlandais, mais adaptés, of course, à la sauce nordique. Il y même des valses (du moins leurs ancêtres), sous l’influence de l’Autriche.
C’est fascinant d’entendre ces pièces hyper accrocheuses et de constater le haut niveau de métissage que l’on peut y détecter. Mais c’est surtout la grande qualité musicale de l’ensemble The Curious Bards et de la soprano grecque (vive l’Europe unie!) Ilektra Platiopoulou qui impressionnent. Deux instruments typiques du folklore nordique sont ajoutés aux violons et violes habituelles : le Hardanger, un violon avec des cordes sympathiques provenant de Norvège, et la kontrabasharpa, une version plus imposante du nyckelharpa, une sorte de vièle typique de la Suède.
En vérité, il n’est pas du tout surprenant que ce répertoire soit, tout d’abord, aussi sophistiqué. Avant la période Romantique, la notion de musique ‘’savante’’ et de musique ‘’folklorique’’ (ou si vous préférez, musique ‘’élevée’’ vs musique ‘’populaire’’) était pratiquement inexistante. On a retrouvé des chansons populaires dans les milieux ruraux qui provenaient en fait d’opéras joués dans les grandes villes, comme Stockholm. Du côté de la Cour, les danses populaires étaient souvent appréciées aux côtés des compositions les plus ‘’sérieuses’’ de compositeurs comme Kraus, souvent même jouées par les nobles eux-mêmes.
On comprend donc pourquoi l’interprétation de ce répertoire par des artistes aussi parfaitement formés se justifie sans avoir recours au terme de ‘’crossover’’. Ce que ces curieux bardes font pour le Nord ressemble à ce que L’Arpergiatta et Christina Pluhar font pour l’Italie. C’est aussi important, et aussi excellent.
La prise de son est spectaculairement belle et naturelle, ajoutant la lumière finale sur un programme irrésistiblement attrayant.
Un album magistral. On en redemande.
The Curious Bards
Alix Boivert, violon baroque et Hardanger
Colin Heller, violon baroque et kontrabasharpa
Jean-Christophe Morel, cistre baroque
Sarah Van Oudenhove, viole de gambe
Ilektra Platiopoulou, mezzo-soprano