Voici assurément l’un des plus beaux enregistrements de l’année en musique contemporaine orchestrale. Les solistes sont exceptionnels (Leleux et Batiashvili), l’orchestre est magnifique, le chef est une maître en créations de textures variées et les œuvres au programme sont issues des plus habiles plumes de ce début de 21e siècle, les Français Nicholas Bacri et Thierry Escaich, et le Suisse Michael Jarrell.
Si Jarrell et Escaich nous invite dans leur univers typiquement spectral et foisonnant, Nicholas Bacri amorce ce programme avec une pièce très économe en termes de gestes et d’activités. Le Notturno for Oboe and Strings, Op. 74 est effectivement un nocturne pensif, tonal et lyrique. On pense au pastoralisme anglais du début du 20e siècle (Holst, Vaughan Williams, Bridge). Une pièce que l’on peut qualifier de conservatrice, d’une grande beauté et idéale pour permettre à Leleux, LE hautboïste de sa génération, de rayonner amplement.
Le concerto pour hautbois Aquateinte de Jarrell date de 2016. Selon Wikipédia : L’aquatinte ou aquateinte est un procédé de gravure à l’eau-forte. Ce procédé consiste à saupoudrer une plaque de métal d’une couche de poudre de résine protectrice (colophane ou bitume) plus ou moins dense. La plaque est alors chauffée avant d’être plongée dans un bassin d’acide. L’utilisation de fines particules de résine permet d’obtenir une surface composée de points plutôt que de traits par lesquels on obtient différentes tonalités de couleur.
Ce que l’on retient surtout c’est l’idée de points qui forment des images cohérentes, un principe repris par Jarrell dans une facture sonore, bien sûr. Aquateinte offre un panorama de musique vaguement spectrale, certainement pointilliste, où la virtuosité exigée du soliste est impressionnante et s’imbrique dans une trame générale foisonnante qui demande la même qualité technique de l’ensemble de l’orchestre. Le résultat est à couper le souffle, grâce à une partition miroitante portée avec une absolue perfection par Leleux et l’orchestre de Francfort. La synesthésie qui s’opère ici, donc, entre le visuel et le musical, est très convaincante, chose plutôt rare je trouve dans ce genre d’exercice.
Le programme se termine avec un bijou de Thierry Escaich, le Double concerto pour hautbois, violon et orchestre, dans lequel l’œuvre de Bach pour les mêmes solistes, le fameux concerto BWV 1060, est citée et intégrée à la trame d’ensemble du compositeur français contemporain. C’est à un véritable dialogue modéré par un profond respect mutuel entre les deux esthétiques que les mélomanes sont conviés. Leleux et sa conjointe Batiashvili (couple au concert comme dans la vie) virevoltent habilement à travers les paysages chargés, mais ultra limpides, de Escaich. Un premier mouvement teinté d’urgence et de nervosité fait place à un andante central qui évolue d’un lyrisme mélancolique vers une densité dramatique menaçante et rugueuse. L’allegro final, au contraire, illumine l’écoute avec un optimisme brillant qui rappelle une certaine musique états-unienne positive (Michael Torke, John Corigliano).
Performances idéales et musique géniale, voilà la combinaison gagnante qui fera de Future Horizons un album de l’année.