Qui Qu’en Grogne? Mais qu’est-ce que ce titre? En lisant le texte se trouvant à l’intérieur de la pochette de ce nouvel album du saxophoniste québécois Yannick Rieu, on apprend qu’au Moyen-Âge, hurlés par des pirates ou inscrits sur les murailles d’une ville, ces mots servaient à tenir les ennemis à distance. D’un point de vue plus personnel, c’était également le nom d’un bateau sur lequel Rieu a grandi. Cette évocation de l’enfance du musicien est tout à fait pertinente puisque ce disque représente un retour aux sources pour lui. Après s’être frotté à l’électricité du jazz fusion sur le très réussi MachiNations, il renoue avec ses racines en retournant à la formation du quatuor jazz classique.
L’artiste nous présente donc son Génération Quartet : en plus de lui-même au saxophone, y évoluent le vétéran Guy Boisvert à la contrebasse, ainsi que Gentiane Michaud-Gagnon au piano et Louis-Vincent Hamel derrière les fûts, deux instrumentistes plus jeunes mais tout aussi doués. Aussi bien entouré, Rieu nous offre huit exquises compositions qui évoquent le souvenir du grand quatuor de John Coltrane avec Tyner, Garisson et Jones, mais aussi la musique du colossal Sonny Rollins. Entre les mains des premiers venus, ce jazz acoustique de facture classique pourrait virer à l’exercice nostalgique un brin suranné, mais – faut-il le rappeler – Rieu est un immense saxophoniste dont la réputation n’est plus à faire. Sa technique irréprochable et son souffle vivifiant font de lui un musicien à ranger dans la même catégorie des maîtres que sont Chris Potter et Joe Lovano. Les autres membres de l’ensemble, quant à eux, ne sont pas en reste, particulièrement Michaud-Gagnon dont les doigts font naître des étoiles pendant l’introduction nocturne de Porta di Cinese, excellente dernière pièce au programme.
Le Génération Quartet brille autant dans les moments de pure délicatesse que dans les morceaux plus relevés. Pour s’en convaincre, il suffit de prêter l’oreille aux éruptions contrôlées de l’exaltante Riff Droite, que suivent les instants soyeux que nous réserve Time Is, Life Was. Après l’écoute d’un tel album, nous avons envie, nous aussi, de hurler bien haut « Qui qu’en grogne! », afin de chasser les ondes négatives qui alourdissent l’air ambiant et de célébrer la beauté de la vie.