« We are not in search of answers, or a path forward ; we are in the mood to grieve, the only way we know how. » C’est ainsi que les frères canado-iraniens Mehrabani-Yeganeh, maintenant établis aux États-Unis, décrivent l’état d’esprit présidant à leur dernière production. Ils travaillent, comme toujours, à partir d’enregistrements de la vie quotidienne iranienne, notamment de sermons chiites. Cette immersion sonore est ceinte de harsh noise, d’ambient et de dub. Résultat? Un album décapant, dans le calme comme dans le vacarme.
Sur Let’s Mourn Together, les prêches déformés, notamment par l’effet Donald Duck, sont carrément grotesques. Les incantations, à force de boucles sonores, se muent en autant de décantations. L’ensemble acquiert une gravité et une intensité stupéfiantes. Le saxophone de Travis Laplante, décuplé par des effets, nous fend l’âme et nous cloue sur place dans Poverty as Pride, rythmique cadencée et fond bruitiste à l’appui. On délaisse le noise sur Pluto’s Porn, pièce jazz expérimentale avec trompette à sourdine et voix enfantines en arrière-plan. Movin’ Out of Harlem, avec la collaboration de ARP 220, s’avère la pièce la plus poignante. Les bandes mélancoliques et les voix brouillées évoquent une sensation persistante de paradis perdu, de fin de route où l’horizon se bloque. Enfin, sur Broke my Heart in ’52, pièce finale, la prêche se mue en réquisitoire. Une voix déformée, indignée, se lance dans une diatribe contre l’implication américaine et britannique dans le renversement du gouvernement de Mossadegh en Iran en 1952.
Hommage ou moquerie que tout cela? On oscille d’abord entre les deux, pour atteindre une zone beaucoup plus complexe. S’y exprime un héritage à la fois hétérodoxe et fondateur. Se révèle dans ce dispositif tout le génie du duo : nous faire ressentir le tumulte intérieur de deux endeuillés de leur pays natal. Where Do We Go, Now? scande le titre de l’album.
Sans conteste une très grande réussite sonore, émotionnelle et politique.