Si les hommages les plus exceptionnels rendus à Charlie ‘’Bird’’ Parker formaient une trilogie, on aurait, dans l’ordre, Charlie Parker Project d’Anthony Braxton, Bird Calls de Rudresh Mahanthappa et, désormais, Funk Poems for Bird de Şahin. Avec Cory Smythe au piano, Reggie Washington à la basse et Sean Rickman à la batterie, Şahin forme Flow State.
État de flux, ou état fluide, comme vous voudrez, résume bien la nature organique, métamorphique, de l’hommage à Parker que Şahin a voulu faire avec cet album. Un flot aux facettes en constant changement et interpénétration d’influences qui n’auraient pas déplu au maître créateur du Bebop. Musiques savantes et improvisées s’entrecroisent dans un tout qui dépasse largement la somme des de ses parties.
On y retrouve l’atonalisme de la modernité classique du 20e siecle (Varèse est cité dans les notes, mais je pense également à Ives et Ligeti), le bop de Bird, évidemment, l’aventure M-Base de Steve Coleman et le funk (Şahin nomme Bird et James Brown comme principales influences dans sa vie), tissés, triturés, inter-greffés et distillés en quelque chose d’unique qui interpelle la mélomanie sérieuse et engagée. Bird appelle à cela : en constante recherche d’évolution, il se nourrissait à la tradition tout en embrassant la modernité parfois radicale (on l’a dit grand admirateur d’Edgar Varèse) du multivers musical de son époque.
La figure du saxophoniste alto Charlie « Bird » Parker (1920-1955) est particulière : doué de façon unique, influent de façon unique, troublé de façon unique, il a entendu plus de futur dans le passé, et a tiré plus des deux dans le présent, que quiconque, avant ou depuis.
- J. Martin Daughtry, livret de l’album
La guitare souvent agitée de Şahin s’épivarde avec excitation sur un plancher drum’n’bass/funky presque constant. Sean Rickman et Reggie Washington, deux habitués du M-Base de Steve Coleman, créent une tapisserie rythmique élastique sur laquelle Smythe fait jaillir des inflorescences abstraites et spontanées de piano. Un kaléidoscope en perpétuel frémissement s’incarne alors que nous sommes invités à nous laisser prendre par les flux et reflux du discours thuriféraire.