Les choses se passaient rondement en 1969. Les séances d’enregistrement de Hots Rats se sont étendues sur trois jours et demi en juillet, les multiples overdubs durant la dernière semaine d’août, le mixage en septembre et dès le 10 octobre, la saisissante photo de sa pochette garnissait les présentoirs des disquaires. Zappa n’était pas du genre à lambiner. Sans compter qu’il avait passé la moitié de l’année en tournée aux États-Unis, au Canada et en Europe, avait lancé l’album double des Mothers Uncle Meat en avril et réalisé le disque du collectif féminin GTO’s (Girls Together Outrageously) Permanent Damage ainsi que le célèbre Trout Mask Replica de Captain Beefheart.
Le contenu de ce coffret de six disques est à l’avenant. On est loin des séances d’enregistrement où l’on passe des heures sur une toune de deux minutes et demi. FZ est autrement plus efficace, d’autant qu’il a pour la première fois à sa disposition une console 16 pistes – véritable prototype à l’époque – offrant de prodigieuses possibilités. En plus des prises maîtresses des pièces de Hot Rats, on a droit à de nombreuses autres qui se retrouveront sur les disques Burnt Weeny Sandwich (The Little House I Used To Live In, Aybe Sea), Weasels Ripped My Flesh (Toads Of The Short Forest), Chunga’s Revenge (Twenty Small Cigars), jusqu’à Studio Tan (1978) (Lemme Take You To The Beach) et même The Lost Episodes (1998) (Lil’ Clanton Shuffle).
C’est un véritable plaisir de voir prendre forme, entre autres exemples, le motif de batterie qui introduit Peaches En Regalia, mais ce qui est sans doute la pièce de résistance du coffret, c’est la version complète d’une seule prise de la pièce à partir de laquelle, avec moult excisions, Zappa a assemblé The Gumbo Variations. Sur le microsillon originel, cette pièce fait 12:54. Sur le premier repiquage numérique paru sur Ryko en 1987, remaniée par le maître lui-même, elle fait quatre bonne minutes de plus. À l’époque, on pouvait penser que Zappa avait choisi de publier la pièce telle qu’elle avait été enregistrée. Quelle n’a pas été ma surprise de constater que la version intégrale dure 32:42, soit presque le double! Oui, bien sûr, il s’y trouve des passages un peu vaseux (ce qui est normal en improvisation), mais dans l’ensemble, la verve des trois solistes qui se passent le relais – Ian Underwood au saxo ténor, Sugarcane Harris au violon et FZ à la guit – y est étonnamment nourrie.
Pour mousser les ventes du disque, qui sera un flop aux Etats-Unis (sans doute jugé trop jazz par les fans des Mothers), mais qui fera à juste titre le top ten des albums en Angleterre et aux Pays-Bas, Warner a produit six messages radio d’une minute écrits par David Ossman du groupe d’humoristes Firesign Theatre. Le coffret en renferme quatre qui sont autant d’instantanés de cette époque révolue. L’un annonçait que le disque était « almost too psychedelic, almost too spiffy to listen to », tandis qu’un autre refusait d’identifier son auteur « because most people think that his music is ugly and too weird and wish they had nothing whatever to do with him and the crazed minority he represents. »
Beaucoup de contenu donc dans ce coffret, mais hélas rien qui rende compte du formidable travail d’overdubbing auquel se sont livrés Zappa et Ian Underwood durant cette dernière semaine d’août. J’aurais particulièrement aimé voir comment la sublime et polyphonique finale d’It Must Be A Camel, la pièce qui clôt le disque magistralement, s’était développée. L’amateur n’a donc d’autre choix que se replonger dans la version originelle sur vinyle ou celle du repiquage numérique le plus récent, qui n’est malheureusement pas incluse.
Pour souligner les 50 ans du disque, Dweezil, le fils ainé Zappa – également l’un de ses dédicataires (il est né au beau milieu de sa production en septembre 1969) – présente Hot Rats Live en tournée depuis l’automne et fera escale à Montréal au Corona le mercredi 18 mars. C’est hélas complet, mais il y a toujours les scalpers…