Figures de proue de la scène grunge des années quatre-vingt-dix, les Afghan Whigs ont commis des albums qui supportent mieux le passage du temps que ceux enregistrés par plusieurs de leurs contemporains. Les touches de gospel, de soul et de R&B – que la formation de Cincinnati a eu le bon goût d’ajouter à son rock indé – lui ont permis de se distinguer du lot, ainsi que de créer des disques qui portent de façon moins prononcée la marque de leur époque. Le chant inimitable de Greg Dulli, ce crooner torturé qui dirige la bande avec aplomb depuis plus de trois décennies, y est aussi pour quelque chose.
La parution d’un nouvel opus est l’occasion de vérifier si le groupe lui-même a aussi bien vieilli que les disques qu’il a publiés au siècle dernier. En 2014, après un hiatus d’une quinzaine d’années, l’album Do the Beast voyait les Whigs reprendre du service avec de nouveaux effectifs puisqu’outre Dulli, seul le bassiste John Curley était demeuré à bord. Cette offrande plutôt tiède ne transcendait malheureusement pas les œuvres précédentes de la formation. Ensuite, In Spades s’avérait un retour inespéré à la forme. Cinq ans après, qu’en est-il de cet How Do You Burn?, neuvième galette au compteur pour Dulli et ses complices? Eh bien, le retour de l’inspiration observé avec le disque précédent ne se dément pas. Bien au contraire, le programme de How Do You Burn? est le plus diversifié que les Afghan Whigs nous aient proposé à ce jour. Après une décoiffante entrée en matière (la zeppelinienne I’ll Make You See God), l’auditeur a droit à de la pop de chambre orchestrale (The Getaway), du rock plus psychédélique (excellente Catch a Colt), un détour vers de subtils enrobages électro (hypnotique Jyja), une ballade soul bien sentie (Please, Baby Please sur laquelle Dulli est particulièrement en voix) et même à un morceau de gospel mutant (percussive Take Me There).
Côté invités, on remarquera la présence de quelques choristes avec lesquels Dulli a collaboré à différents moments de sa carrière. Tout d’abord, il renoue avec son vieux pote, le maintenant regretté Mark Lanegan – avec qui il formait le sulfureux tandem The Gutter Twins – le temps de quelques chœurs très discrets sur deux pièces. Nous retrouvons également l’ami Ed Harcourt, puis Van Hunt qui avait prêté sa voix au groupe sur Do the Beast, ainsi que Susan Marshall qui illuminait de sa présence l’excellent album 1965 il y a près d’un quart de siècle. La voix que l’on remarque le plus, cependant, est celle de Marcy Mays qui effectue un retour très émouvant sur la ballade Domino and Jimmy. La chanteuse nous avait atteints en plein cœur sur MyCurse, qui figurait sur le classique Gentlemen en 1993. Trois décennies plus tard, elle reprend le personnage ravagé qu’elle incarnait alors et nous offre une suite tout aussi émouvante à cette chanson, qui faisait état des amours toxiques d’un couple d’écorchés vifs. Décidément, ce bon vieux Greg Dulli n’a pas perdu la main.