Ce n’est pas souvent qu’il arrive des albums comme celui-ci. C’est encore moins souvent que j’en écoute.
Sprain est un quatuor de Los Angeles, précédemment connu comme un groupe de slowcore. Or, avec les trois simples sortis en guise avant-goût d’un nouvel album, The Lamb As Effigy, Sprain a, de un, généré un buzz immense dans les communautés underground, et de deux, montré qu’ils propulse ce son dans un territoire plus large, plus dramatique, plus post-rock, art-rock, noise, bref, plus un peu tout.
Ainsi, voici l’album complet, mesurant 96 minutes de long, séparé en huit chansons, dont deux qui font dans les 24 minutes. Une qui sépare l’album en son centre, et une autre qui en fait la clôture. Maintenant, que contiennent ces 96 minutes?
Angoisse. Peur. Paranoïa. Chaos. Silence. Mur de son. Cris. Chaos. Pleurs. Silence…
Bien que le chanteur ait insisté sur le fait que cet album n’ait pas été conçu pour être vu comme grand, ou monstrueux, et et qu’il n’ait d’autre objet que de représenter le « vrai », je ne peux m’empêcher de le voir comme une chose ahurissante et grandiose. Et je ne suis pas le seul. Désolé, les gars de Sprain, vous êtes trop modestes.
Les guitares sont parasites, elles sonnent comme si elles voulaient s’étrangler. Les percussions sont chancelantes une minute et déchaînées la prochaine. Les lignes de basse se collent au reste comme des sangsues. Les nombreux abcès de vacarme me font craindre pour la santé de mes écouteurs. Et la voix et les paroles, pour celle du chanteur, Alexander Kent.
Je ne connais pas cet homme, je ne sais pas ce qu’il a vécu, alors je ne me lancerai pas dans un discours de glorification de la souffrance, chose malheureusement trop commune dans les cercles de discours sur l’art. Ce que je peux dire, c’est que M. Kent a une plume glauque, absurde et furieusement glaciale. Très, sinon trop efficace à nous partager son mal-être (ou, selon sa logique, simplement son « être »?) La déclamation, quant à elle, est infernale, imprévisible, volcanique autant au sens de la pierre que du magma. Dans la dernière chanson, tous les instruments disparaissent, et nous sommes seuls avec une facture vocale on ne peut plus crue de sa part, alors qu’il répète une phrase qui semble le briser un peu plus à chaque fois. Il grogne, il pleure, il s’éloigne du micro, essaie de se ressaisir… On a l’impression d’assister aux effets d’une torture psychologique.
C’est de la musique parfaite pour se ronger les ongles, tendre les muscles, froncer les sourcils. C’est de la musique horrible et torturée, qui ne vous lâchera pas une seconde durant, et probablement même après. C’est un faucon qui serre votre cœur dans ses griffes pendant près de deux heures. Cela dit, ma réaction viscérale n’y est pas pour rien. Non, parce que cette musique est brillante, indéniable, et terriblement pesante d’existence. C’est une étoile mourante dans le ciel. Aveuglante d’énergie. Terrifiante. Incompréhensible. Mais aussi, dans le cadre de l’univers, complètement banale. Peut-être est-ce ainsi qu’il faut se voir, dans les yeux de ce groupe.
Un album intense, donc, impressionnant sur tous les fronts, riche en émotions, et mémorable. Un des plus mémorables de cette année, certainement.
The Lamb As Effigy ne sera vraiment pas pour tout le monde. Si vous aimez Slint et Swans, essayez donc, vous ne le regretterez pas.