Toujours aussi énigmatique, le meilleur export indonésien en musique expérimentale a récemment lancé Vajranala, un album feutré et atmosphérique qui explore la puissance et l’influence du chamanisme. Dans cette réimagination contemporaine, Senyawa évoque de façon convaincante l’énergie transcendantale des rituels traditionnels javanais.
Ce qui frappe à l’écoute de Vajranala, c’est une approche beaucoup plus épurée dans l’utilisation des instruments inventés par Wukir Suryadi. Sur cet album, leur utilisation est prioritairement timbrale et rythmique. Ce fut toujours le cas dans la musique de Senyawa, mais ici, il n’y a que très peu de moments mélodiques qui pourraient constituer une accroche. Conséquemment, l’album s’éloigne de structures chansonnières telles que celles des morceaux présents sur Acaraki (2014). On a plutôt d’assez longues pièces où les ostinati rythmiques et les mantras vocaux abondent. La force des pièces réside donc dans la répétition et l’accumulation des gestes musicaux. Côté instrumental, les articulations ne sont pas très complexes, mais créent un bain de son dans lequel Rully Shabara exhibe dramatiquement une variété de techniques et de déclamations vocales. La tension est constante dans ces six morceaux et renforce avec brio la connotation ritualistique.
La simplicité des idées et la catharsis de leur intensité peuvent parfois rappeler les points culminants dans la musique de Swans, quoiqu’au sein d’un univers sonore tout autre. Un réflexe commun chez la critique aura souvent été de parler d’influences traditionnelles chez Senyawa. Pourtant, une connaissance plus approfondie de la musique en Indonésie révèle peu pour corroborer ces dires, quoiqu’on comprenne très bien pourquoi l’association est faite. Les amplifications d’instruments faits de bois et de bambou et les textes en indonésien, parfois chantés « pentatoniquement », ne sont que les exemples les plus frappants de ce qui distingue le langage de Senyawa de la musique occidentale. Pourtant, on ne s’étonnera pas non plus d’apprendre que Shabara et Suryadi ont tous deux grandi en écoutant du Mr. Bungle, du John Zorn et du Sunn O.
C’est la symbiose entre tous ces éléments – qu’on aurait tort d’encore trouver paradoxale de nos jours – qui fait de Senyawa un projet aussi unique. À partir du vocabulaire et de la palette sonore qu’il a créée, le duo peut se réincarner indéfiniment et surprendre à chaque virage stylistique.