Robert Uchida est né à Toronto et occupe le poste de première chaise à l’Orchestre symphonique d’Edmonton. Il a étudié entre autres avec Andrew Dawes, après lequel il a hérité d’un excellent Guadagnini de 1770, le ‘’Long Tearse’’. Un héritage assumé et mérité, de toute évidence, au regard, ou plutôt à l’écoute de son jeu remarquablement limpide, clair comme le cristal et techniquement infaillible. I Can Finally Feel the Sun est un parcours à travers les amours musicales de l’artiste, des pièces qui ont l’avantage de mettre en lumière très positive ses excellentes qualités interprétatives, mais qui sont aussi agencées de manière intelligente, comme autant de morceaux d’un même vaste et cohérent puzzle.
La Suite italienne de Stravinsky résonne dans la Suite pour violon seul de Jean Papineau-Couture, un compositeur immensément redevable au grand Russe. Une pièce qui mène logiquement, en terme de texture, vers une des 12 fantaisies de Telemann (la 1ere, en si majeur), suivie de près par la Sonatine Baroque pour violon seul du Canadien Murray Adaskin, un regard moderne et posé sur l’architecture musicale ancienne, empreint de respect et de délicatesse, et incluant une citation de la pièce qui enchaîne immédiatement : le célèbre Prélude de la Partita pour violon seul no 3 en mi majeur, BWV 1006 de Bach. Uchida donne à celui-ci une grande transparence ainsi qu’une impressionnante netteté dans sa construction timbrale (magnifique campanella, ou résonances en forme de ‘’clochettes’’). Le romantique Ysaÿe suit avec le Prélude de la Sonate pour violon seul, op. 27, no 2, « Jacques Thibaud », habité par le spectre de cette même Partita. En effet, son Prélude qui porte le titre Obsession, est parcouru de bribes du Prélude de BWV 1006 qui s’enchaînent, se retournent, se superposent et se mélangent avec le Dies irae grégorien! Ysaÿe était assurément obsédé par ce motif, peut-être à la limite de la sanité. Uchida détaille les voix avec une épatante perfection, créant un dialogue maniaque entre deux entités symboliquement puissantes.
On sort de la ligne conceptuelle avec la Sonate de Debussy, mais on n’abandonne pas le caractère et l’esprit cristallin du jeu musical, et surtout l’assurance stylistique du discours. Le Québécois Philip Chiu apporte une idéale contribution, sensible et apaisante.
Le programme se termine par la création de I Can Finally Feel the Sun, de Carmen Braden, compositrice de Yellowknife aux Territoires du Nord-Ouest et née en 1985. Une jeune voix donc. Pour violon solo, I Can Finally Feel the Sun a des allures évocatrices du printemps, à la façon des pastoralistes anglais du début du 20e siècle. C’est très joli et aimablement descriptif. Je laisse d’ailleurs la compositrice donner plus d’informations : je vois l’eau couler, le bord du toit se dégager sous la neige ; j’entends les oiseaux chanter telle une chorale déchaînée dans les buissons ; je sens l’odeur de la terre et je plisse les yeux, éblouie par un ciel si lumineux que j’avais oublié ce ton de bleu.
On a le goût d’y être.
Un programme parfaitement équilibré entre l’ancien et le moderne, entre l’expressif et le réfléchi, et qui sert d’étendard pour l’exceptionnelle qualité artistique de Robert Uchida.