Le compositeur Reynaldo Hahn (1874-1947) a longtemps été uniquement connu pour ses mélodies très prisées des chanteurs lyriques (les « mélodies » sont, pour simplifier, des chansons françaises qui doivent être interprétées par des artistes lyriques et dont l’âge d’or fut la fin du XIXe siècle et le début du XXe). Mais on redécouvre de plus en plus le reste de son catalogue riche et varié. L’Île du rêve est son premier opéra et constitue une belle entrée en matière pour qui voudrait le découvrir, surtout que l’œuvre dure à peine une heure. Pour les réfractaires à l’art lyrique, c’est moins costaud à ingurgiter qu’un Gounod de 2 heures et demie ou un Wagner de 4 heures.
L’Île du rêve est basé sur un roman de Pierre Loti, écrivain « exotique » très populaire de la fin du XIXe siècle. Georges de Kerven, un officier de la marine française, débarque en Polynésie et tombe amoureux d’une belle jeune fille de là-bas, mais l’union ne peut tenir devant les différences insurmontables entre les deux mondes dont sont issus les amoureux, soit l’Orient et l’Occident. En ce sens, L’Île du rêve fait partie de ces œuvres qui reprennent le même thème, l’incompatibilité entre Est et Ouest, dans l’histoire musicale : Lakmé, Madame Butterfly et Miss Saïgon, par exemple.
L’Île du rêve a été créée à Paris en 1898 et bien accueillie par le public de la première, mais éreintée avec une mauvaise foi crasse par la plupart des critiques de l’époque. Il faut comprendre que le métier de critique musical à la fin du XIXe siècle avait souvent plus à voir avec la promotion des préjugés personnels des auteurs que la recherche d’un quelconque compte rendu impartial de la musique entendue.
Les origines de Hahn (il était Vénézuélien de naissance) ainsi que son homosexualité bien connue (il fut le grand amour de Marcel Proust) ouvrirent grand les portes aux attaques d’une rare bassesse contre son opéra. On a trouvé, entre autres, son orchestration « honteusement efféminée », en référence à l’écriture sans pompe ostentatoire ni utilisation de cuivres et percussions martiales puissantes. Vous voyez le genre ?
Quoiqu’il en soit, les temps ont changé et, depuis Debussy et Ravel, entre autres, les perspectives ne sont plus les mêmes. Nous pouvons aujourd’hui apprécier ce court opéra pour ce qu’il est : un petit bijou !
Le Palazzetto Bru Zane est une organisation qui cherche à sortir de l’oubli des dizaines de trésors oubliés du romantisme français avec une qualité de présentation, d’exécution et d’enregistrement exceptionnels.
Parcourir le riche livret est non seulement instructif, mais une plongée dans un autre temps, foisonnant de beauté de de raffinement.
Mais au-delà de l’habillage, aussi beau soit-il, c’est la musique qui nous intéresse. Or, celle-ci est superbe. Hahn, qui était un mélodiste talentueux, n’offre pas ici de grands airs dignes de Madame Butterfly (Puccini) ou de Lakmé (Delibes), autres opéras « orientalistes », mais il sait construire une partition qui suit les aventures des protagonistes avec une attention subtile et délicieusement colorée. L’écriture de Hahn s’appuie sur des textures chambristes, avec force solos de bois, de harpe et de violon et violoncelle. Il utilise également un chœur de façon à en faire le témoin des moments les plus magiques et évocateurs de la partition.
Je retiens, chauvinisme canadien oblige, la superbe Mahénu (amoureuse de Kerven) de la soprano Hélène Guilmette. Mais le reste de la distribution est à l’avenant, ainsi que l’orchestre et le chœur dirigés par Hervé Niquet.
Je comprends que ce genre d’ouvrage n’est pas la tasse de thé habituelle des habitué.e.s de Pan M 360, mais une fois n’étant pas coutume, je vous invite à oser le dépaysement irrésistiblement suranné de L’Île du rêve, ne serait-ce que pour quitter notre monde (et sa musique) parfois trop sombre, pour débarquer dans une carte postale où les clichés n’ont aucune mauvaise intention et la naïveté est une vertu qui dessine un sourire sincère sur le visage du voyageur un tantinet réceptif.