Du grand art de synthèse avec pour cœur battant et vibrant le jazz latin! Dans Mi Hogar (ma maison en espagnol), la trompettiste et compositrice Rachel Therrien accueille sous un même toit, hérité de la grande tradition latine et principalement cubaine, les Coltrane, Gillespie, Weather Report et même le compositeur classique Francisco Tarrega.
Therrien rassemble un line-up (le Latin Jazz Project) digne des grands orchestres de Puente, Tjader, celui de sa compatriote Christine Jensen ou bien sûr l’orchestre d’Arturo O’Farrill, l’un des indispensables passeurs de cette tradition en ce début de 21e siècle, et dans lequel Rachel possède sa chaise attitrée. Cela dit, celui de la jeune Québécoise est plus chambriste et s’exprime moins par masses de fulgurances cuivrées que par lignes épurées et discursivement raffinées. Ici, Therrien et sa trompette sont les guides qui nous permettent de déambuler sans confusion dans un monde stylistique qui tend bien plus vers une conception éduquée du jazz latin que vers un hommage pastiche imbibé de stéréotypes. Therrien est une exploratrice éclairée dont l’approche a plus à voir avec Chick Corea qu’avec Xavier Cugat (même si je ne doute pas une seconde que les deux figurent avantageusement dans la playlist latine de Rachel!).
Les reprises (Con Alma de Gillespie et Moment’s Notice de Coltrane) côtoient sans jamais les dominer les propres compos de la leader (The Wizard, Odessa et la truculente Porcelanosa). Dans celles-ci, Therrien se révèle donc comme une fine esthète et surtout connaisseuse de l’histoire, des styles, règles et codes de l’art du jazz latin, tout en les amenant un peu ailleurs.
Enregistré à Montréal (3 pièces) New York (3 pièces) et Toronto (une pièce), Mi Hogar est un album imbibé de lumière, avec une belle attention sur la clarté des détails et des lignes autant écrites qu’improvisées. Il le fallait, car c’est là la grande force de la musique de Rachel Therrien : un foisonnement d’idées habilement imbriquées mais dont chaque fil est essentiel pour la création d’un tout cohérent. Chaque ligne, chaque motif doit être perceptible, jamais noyé dans une masse. C’est pourquoi j’évoquais le côté chambriste de sa musique un peu plus tôt. Mais, le plus beau de cette histoire, c’est que le sérieux de la démarche ne porte jamais ombrage au plaisir presque charnel qui se dégage de cette esthétique et des mélodies qui en sont les plus évidentes compagnes.
On a ben du fun tout en étant stimulés en tant que mélomanes. Que demander de plus?
Mi Hogar est une invitation à venir fêter chez Rachel Therrien, devant, dedans et dans la cour arrière (toutes les portes sont ouvertes), le très riche héritage du jazz latin dont elle a envie de partager les trésors avec tous et toutes. Bienvenue à la maison!