Il y a de ces albums qui semblent porter la marque d’un niveau supérieur d’exécution et d’importance créative. C’est le cas de ce tout nouvel opus du magistral Quatuor Bozzini, de Montréal, accompagné ici de l’ensemble piano six-mains (oui, six!) JunctQin (prononcer Junction), de Toronto. Vous me direz peut-être que c’est souvent le cas avec les Bozzini. Bien sûr. Mais concentrons-nous sur cette proposition exceptionnelle, bâtie sur l’exécution de deux œuvres canadiennes : The Faerie Ribbon, de Rebecca Bruton, et to carry dust & breaks through the body de Jason Doell.
Si les deux pièces sont à tout point de vue expérimentales, elles n’en demeurent pas moins douces et feutrées. La plus accessible des deux est celle de Rebecca Bruton, une compositrice de Calgary. Celle-ci nous invite dans son univers scintillant avec des gestes pointillistes qui illuminent agréablement l’espace. En plus du piano six-mains et des cordes, il est demandé aux interprètes de chantonner doucement ici et là. Le résultat est d’une grande beauté, certes contemporaine, mais accessible grâce à une ‘’centralité tonale’’ oscillante, inspirante plutôt que directive. La syntaxe discursive de l’oeuvre est divisée en épisodes texturaux facilement identifiables : ça débute dans le foisonnement volubile pour se retrouver plus loin dans un monologue mécanique et monotone avant une sorte de synthèse des deux, dans un contrepoint chargé dont la récitation en formules répétitives rappelle Morton Feldman. Mais ce qu’il faut principalement retenir c’est la beauté envoûtante et sophistiquée de The Faerie Ribbon. Les remarquables contrastes de textures, de toucher et de résonances imposées aux interprètes sont entièrement maîtrisées par les sept musiciens, particulièrement les Bozzini, qui doivent redoubler d’efforts pour bien rendre toutes les nuances presque ultrasoniques de la partition.
La série des Composer’s Kitchen du quatuor Bozzini :
Deuxième (et seule autre) pièce au programme : to carry dust & breaks through the body, sans majuscule, de Jason Doell. Je reviens encore à Feldman pour la comparaison, cette fois de façon plus appuyée. Des accords de pianos tempérés sont déposés sur des glissandi descendants répétitifs. La différence avec le compositeur étasunien bien connu est que Doell fait couler très subtilement ses accords de cordes dans des interstices microtonaux. Cela crée une impression d’étrangeté et d’instabilité très finement perceptible grâce à laquelle on finit par se demander si ce sont les cordes qui sont décalées, ou le piano! C’est brillant et, encore une fois, étrangement séduisant.
La méticulosité de l’interprétation est excellente et les Bozzini, avec leurs amis de JunctQin, accomplissent de petits miracles de douceur et de clarté infinitésimale.
À ne manquer sous aucun prétexte si vous aimez le meilleur de la musique d’aujourd’hui.