Les musiques classiques indienne et occidentale ont toutes les deux d’immenses bagages de profondeur, de génie, d’innovation, de complexité et de savoir-faire enseignés de génération en génération. Pourtant, elles se connaissent peu, et se côtoient encore moins. Cela dit, il semble que ce soit en train de changer! Param Vir est un compositeur indien établi au Royaume-Uni et fusionnant l’héritage sophistiqué de sa terre natale avec celui de la musique contemporaine européenne. Wheeling Past the Stars présente quatre de ses compositions pour ensemble, dont deux avec solistes.
Si vous connaissez les deux concertos pour sitar de Ravi Shankar, ne vous attendez pas à retrouver ici le même type de néoromantisme cinématographique. Param Vir est bien plus imprégné de l’avant-garde savante occidentale que ne pouvait l’être Ravi Shankar.
La pièce la plus intéressante de l’album est Raga Fields de 2014, une exploration à la fois dansante et post-boulézienne de cet art ancestral de la péninsule sud-asiatique. Pour moi, le mariage de coloris complexes et virevoltants du sarod (joué de façon épatante par Soumik Datta!) et du Klangforum Wien dirigé par Enno Poppe est une exceptionnelle révélation! Les deux univers ultra savants se rencontrent ici dans un dialogue foisonnant et respectueux où les dialectes de chaque monde musical osent une discussion franche sans rechercher la fusion à tout prix. Le résultat final est surprenant car si l’ensemble occidental ne fait pas d’effort inutile pour ‘’imiter’’ la musique indienne, la nature même des harmonies contemporaines amène un réel rapprochement sonore et intellectuel. La preuve est ainsi faite que ces deux traditions richissimes de sapience ont tout ce qu’il faut pour lancer une nouvelle vision de la musique savante, une vision qui a le potentiel de remplir le 21e siècle à venir de chefs-d’œuvre fascinants!
Les trois autres œuvres au programme datent de plus longtemps et témoignent, on dirait, d’une période où Vir était encore fortement teinté de ses apprentissages avec Peter Maxwell Davies et Oliver Knussen. Before Krishna (1987) est une ouverture pour cordes dans laquelle on reconnaîtra l’utilisation relativement rigoureuse de la série dodécaphonique, alors que Wheeling the Past, pour soprano et violoncelle (2007) dégage un lyrisme que l’on pourrait rapprocher de celui de George Benjamin (Written on Skin), mais en moins somptueux et plus dépouillé, voire austère.
Hayagriva (2005), pour 15 musiciens, est une évocation d’un personnage des légendes sacrées indiennes et tibétaines, un avatar de Vishnu associé à la sagesse et à la connaissance. Partition extatique qui rappelle l’univers scintillant de Wolfgang Rihm, Hayagriva est un délice pour les oreilles habituées à ce genre de couleurs psychédéliques atonales. Ici, c’est l’ensemble Schoenberg qui dessine magnifiquement bien un panorama à la fois étrange et inspirant.