Il y a quelque chose de quasiment scénarisé dans l’apparition de ce Requiem de François Dompierre. L’une des compositeurs les plus connus et emblématiques du Québec moderne, longtemps associé à la musique de film et à la musique populaire, genres longtemps perçus comme ‘’mineurs’’, devient de plus en plus respecté par l’establishment ‘’sérieux’’ et compose de nombreuses oeuvres d’architecture classique traditionnelle. Dans les dernières années, pensons aux 24 Préludes, au Concerto pour violoncelle, à un Concerto grosso et une Fantaisie pour piano et orchestre. À 81 ans, au sommet de son art et d’une carrière richissime, il plonge dans un exercice parmi les plus symboliquement forts de la musique occidentale, depuis Mozart : un Requiem.
Chœur, orchestre et soliste (un ténor et une soprano), la forme est on en peut plus classique (dans le sens de musique savante). Le traitement est à l’image de Dompierre : un habile et élégant mélange d’influences à la fois classiques, romantiques et modernes populaires (mais pas trop dans ce cas).
La partie chorale est importante, laissant moins de place au soliste vocal. La démarche n’est pas surprenante : il y a quelque chose de résolument plus cinématique ou visuel dans les grands ensembles. Et Dompierre excelle magnifiquement dans cette façon ultra communicatrice. On aurait pu craindre le pastiche. Que nenni! Oui, le langage harmonique est fortement ancré dans la tonalité romantique, avec de nombreuses réminiscences des propres Requiems de Fauré et Duruflé, mais son utilisation se fait également dans une économie de modulations qui ramène à la modernité avec des teintes de musique de film de qualité, ou encore des échos des Britanniques Jenkins et Rutter. De toute façon, Fauré et Duruflé sont parmi les sources d’inspirations chorales les plus fréquemment utilisées dans la musique de cinéma. Bref, les mélodies sont belles et accessibles, mais pas superficielles et racoleuses.
Dompierre sait bien capter l’attention du public. Par exemple : le Dies Irae qui s’amorce sur des chuchotements (Dies irae, dies irae…) avant d’être bonifié en contre chant par l’original grégorien. Le bel effet! Le mouvement central du Recordare est particulièrement puissant. Une mélodie fauréenne au ténor s’épanouit sur un orchestre tout en tendresse, puis est appuyée en émotion par le chœur, avant une conclusion du mouvement en grande apothéose. Applaudissements garantis.
Je pourrais continuer à décrire chaque mouvement, le Sanctus fébrile et solaire, le Benedictus mélancolique, l’Agnus dei étrangement onirique mais surtout profondément apaisant, le Kyrie initial stentorial, le In paradisum final à la fois céleste et organique avec ses percussions en exergue, etc. Mais ce serait fastidieux et ennuyeux. Je vous invite plutôt à plonger dans l’écoute d’une œuvre certainement marquante et à la hauteur d’un artiste d’une profonde sincérité, doué d’une aptitude unique à créer des canevas musicaux dans lesquels on aime se plonger sans résistance. Allez-y, plongez.
Chapeau aux artistes présents, tous bons : les solistes Myriam Leblanc, soprano, Andrew Haji, ténor et Geoffroy Salvas, baryton, l’Ensemble Art Choral et l’Orchestre FILMharmonique, dirigés par Francis Choinière, habitués ceux-là à déployer une large palette de couleurs somptueuses grâce aux nombreux ciné-concerts ou ils jouent des musiques de John Williams, Howard Shore et plusieurs autres grands compositeurs hollywoodiens.