Cet album nous plonge dans l’atmosphère à la fois optimiste et grinçante de l’Allemagne des années 1920, la décennie qui a précédé la Grande Dépression et la descente aux enfers qui a accompagné l’arrivée au pouvoir des Nazis.
L’optimisme est représenté par la Tänzerische Suite (Suite de danses) aussi nommée Concerto grosso, op. 26 für Jazzband und großes Orchester (Concerto grosso pour ensemble de jazz et grand orchestre) d’Eduard Künneke, compositeur d’opérettes, de musiques de films (dont La Femme du Pharaon d’Ernst Lubitsch en 1922) et de ‘’musique légère’’, bien connu à l’époque. La radio était apparue en 1923 en Allemagne, et assez rapidement, l’habitude fut prise de commander des œuvres pour être créées spécifiquement par l’orchestre de diffusion. L’une d’elles sera cette Suite de danses où le Foxtrot, le Blues et la Valse Boston sont illuminés par une orchestration florissante et une atmosphère de bonne humeur très séduisante. Cette Suite est une évidente inspiration pour l’exercice semblable que réalisera Dmitri Chostakovitch un peu plus tard. Une très agréable découverte, jouée avec beaucoup d’effets coloristiques réussis par l’orchestre d’Erns Theis.
Une autre de ces commandes radiophoniques est la cantate Tempo des Zeit (Tempo du temps présent), pour solistes, narrateur, chœur, cuivres et percussions, de Hans Eisler. La cantate porte également le titre de Cantate des petites gens, un détail ironique quand on sait qu’elle fut créée trois mois avant le Crash boursier de 1929, celui qui allait jeter des millions de gens ‘’ordinaires’’ dans les affres de la misère peu de temps après. Cette cantate est d’un tout autre acabit que la presque solaire Suite de danses de Künneke. Eisler se fait sceptique quant aux promesses de la modernité. Son narrateur dit : ‘’Oui, ceux qui ont de l’argent voyagent à travers le monde avec style! Et ceux qui n’en ont pas se contentent de marcher….’’
Eisler avaient bien vu les limites des promesses du capitalisme débridé de l’époque. Limites violemment confirmées trois mois plus tard. L’univers sonore est du même ordre : harmonies chromatiques et dissonantes, rythmes influencés par le jazz mais triturés et rendus moins linéaires, puis un texte d’engagement social et de dénonciation des inégalités.
Les interprétations menées par Theis et rendues par tous les artistes sont précises et finement dessinées.
Les deux opus de ce programme forment un couple musical contrasté, voire dichotomique, mais sont en cela le parfait exemple de l’air du temps, celui des années 1920 en Allemagne.