Bien avant que les formations pop punk californiennes ne se mettent à produire en série des galettes concoctées avec les sempiternels mêmes ingrédients, le duo new-yorkais Suicide faisait trembler le sol de la musique punk avec un premier album dépourvu de guitare électrique et de refrains accrocheurs. Ça se passait en 1977. Les froides séquences répétitives issues des synthétiseurs de Martin Rev et la poésie urbaine qu’Alan Vega déclamait à la manière d’un gourou rockabilly décadent démontraient qu’alors, être punk était tout d’abord une question d’attitude. Jusqu’à son décès en 2016, le chanteur – qui est devenu une icône de la marge et de l’obscur – n’a jamais dérogé à cette philosophie.
Il y a quelques mois, l’annonce que les disques Sacred Bones feraient paraître une série d’enregistrements posthumes de Vega a suscité autant de joie que de craintes. Allait-on presser inutilement le citron en exhumant des chansons inabouties qui ne méritaient pas ce traitement ? Qu’on se rassure : Mutator, le premier disque à être tiré des voûtes de l’artiste, n’a rien d’une esquisse inachevée. En fait, si cet album n’a pas vu le jour plus tôt, c’est qu’il a été créé au milieu des années quatre-vingt-dix, une période d’hyper-productivité lors de laquelle le chantre des rues new-yorkaises enregistrait plus vite que son ombre. La musique que l’on retrouve sur Mutator a été élaborée en tandem avec Liz Lamere qui était l’épouse de Vega. C’était avec l’aide de Jared Artaud (the Vacant Lots) que cette dernière a mixé et travaillé à la post-production des pièces qui dormaient sur les bandes retrouvées.
Dès les incantations et les cris qui parsèment Trinity, très courte première pièce au programme, il est clair que nous visitons l’univers malsain qu’à toujours chanté Vega. C’est au son de rythmes industriels implacables et de bourdonnements métalliques corrosifs que se fait ce petit tour de l’enfer de béton évoqué une fois de plus par l’artiste. Sans être un disque de la trempe des désormais classiques premiers albums de Suicide, Mutator est de très bonne tenue. Il regorge de moments forts tels l’intense Nike Soldier ou la douce-amère Samurai. En fait, il s’agit d’une excellente entrée en matière pour les non-initiés qui seraient tentés de découvrir l’œuvre de ce créateur multidisciplinaire unique.