Pendant longtemps, de la Renaissance à l’ère baroque, le groupe des violes constitua la famille royale des instruments à cordes frottées. L’arrivée du violoncelle et du violon modernes, plus puissants en terme sonore, amorça le déclin puis la disparition (avec une résurrection de nos jours) de cet ancien régime empreint de noblesse. Mais l’histoire nous raconte que la résistance a eu lieu, du moins un certain temps.
Et c’est là que nous en arrivons au pardessus de viole, le plus aigu de toute la famille, et surtout le plus ‘’récent’’. En effet, ce dernier a été créé à la toute fin du 17e siècle pour résister et faire contrepoids à la popularité du violon. Le pardessus de viole est donc d’un format semblable à l’instrument à quatre cordes que nous connaissons bien, mais compte quant à lui 5 ou même six cordes. Fait notable, il se joue comme une viole de gambe, ou encore un violoncelle baroque, c’est-à-dire tenu entre les deux jambes (par les genoux) de l’artiste.
C’est un instrument dont la projection sonore est plus modeste que le violon moderne, mais dont le timbre légèrement ouaté, sans perdre trop de brillance, offre une alternative au violon de plus en plus utilisée de nos jours par les interprètes de musique ancienne.
Mélisande Corriveau est, présentement, l’une des rares spécialistes et virtuoses de cet instrument qui est à l’aube d’une nécessaire renaissance. Ce qu’elle propose ici, avec le claveciniste Eric Milnes, c’est un regard posé avec bienveillance (et même un peu d’audace) sur la musique de Bach, si celle-ci avait été jouée avec cet instrument (ça n’a jamais été le cas). Transcriptions de sonates pour violon et pour viole de gambe, arrangements de sonates pour orgue, et même la fameuse Sicilienne extraite de la sonate pour flûte BWV 1031, le programme est remarquable pour le naturel avec lequel il présente ces pièces qui n’ont probablement jamais été jouées de cette façon.
Mélisande Corriveau, grâce à sa passion et à ses recherches studieuses, est désormais une sommité sur le sujet, et surtout dans l’interprétation du pardessus de viole. Bach au pardessus de viole est assurément un album qui pourrait bien servir de propulseur à la redécouverte de cet instrument, probablement le plus oublié de toute une famille elle-même tombée en désuétude pendant environ 300 ans.
Son jeu équilibré, alerte, vivant, limpide et lumineux n’a d’égal que celui, à la fois attentif et communicatif, d’Eric Milnes.
Mélisande joue sur un précieux instrument fabriqué en 1750, par un certain Pierre Le Pileur, « faiseur d’instruments » pour les mousquetaires du roi Louis XV (D’Artagnan en a-t-il joué?) ! Eric Milnes, lui, est au clavier d’un instrument fabriqué en 2016 par le facteur Yves Beaupré, de toute évidence un objet de grande qualité.