Lorsque Carrie, la mère de Sufjan Stevens, est décédée prématurément d’un cancer, l’artiste emblématique de la mouvance indie a sombré dans un état dépressif qu’il n’avait pas soupçonné. Cette mort fut pur lui un révélateur de sa propre existence, l’occasion bouleversante de se remémorer une petite enfance douloureuse, traversée avec une maman en proie à toutes les détresses psychologiques.
Il exprimait alors cette ferme impression d’avoir été abandonné par sa mère inapte à lui procurer le réconfort nécessaire à tous les bambins. À travers les rares interviews qu’il a accordées, on apprenait aussi qu’il se retrouva auprès de son père et d’une belle-mère, nouvelle famille strictement reconstituée, qui ne semble pas non plus avoir fait son affaire si l’on s’en tient à ce qu’on pouvait lire de sa part à ce titre. Adolescent, Sufjan Stevens se rapprocha de Lowell, nouveau conjoint de Carrie et mélomane fervent qui l’introduisit aux meilleures musiques de son époque.
Ce fut le déclic, le bourgeonnement d’un des artistes les plus doués de sa génération. Cette relation beau-père/ beau-fils mena à la fondation du label Asthmatic Kitty, on connaît la suite. À l’âge adulte, Sufjan Stevens a fait la part des choses, il a compris la souffrance de sa mère et lui pardonna, ce pardon et cet amour pour sa mère carencée est aussi tangible dans l’album Carrie & Lowell, assurément un des meilleurs de sa discographie.
Lorsque l’enregistrement fut lancé en 2015, suivi d’un concert extraordinaire, totalement réarrangé par rapport à l’album, ce deuil cathartique décliné en chansons très touchantes, la relation avec le paternel ne semblait pas être au beau fixe. Nous en sauront peut-être davantage de sa part au cours des semaines et mois à venir, car on sait assurément que le décès de son père a été l’occasion d’un second deuil créatif l’ayant mené à ce quintuple album, Convocations, dont le premier volet vient d’être mis en ligne.
Meditations est un moment de musique électronique. Fondées sur des harmonies consonantes inspirées entre autres des musiques anciennes et baroques, mais aussi de son oeuvre et de plusieurs formes tributaires de l’art ambient, les dix pièces au programme se présentent comme une sorte de requiem. Déployés sur des tempos lents, les choix mélodico-harmoniques inspirent le rituel mystique, le recueillement, la méditation, le deuil.
Les couches synthétiques ici utilisées sont généralement connues de quiconque s’intéresse à cette mouvance esthétique, mais certains éléments s,avèrent plus personnels, certaines progressions harmoniques, certaines textures… Cet album est n’est pas une œuvre aussi marquante que ses plus marquantes, mais la matière s’y avère mieux maîtrisée et plus inspirée que ses œuvres de même type, on pense à Aporia ou aux instrumentations de The Ascension.
Encore faut-il rappeler que Meditations fait partie d’un tout et que notre perception pourrait changer lorsque nous aurons absorbé les cinq volets de ce grand tout.