Belle surprise que cet album Éphémère (mais certainement durable, je vous l’annonce!) du quatuor Manela. En vérité les deux premières lettres de chaque nom de la violoniste Marie-Neige Lavigne (Cordâme), Manela est un quartette de jazz teinté de rock et de world (musique indienne, africaine, tzigane, etc.) parcimonieusement distillés à travers la fabrique des compositions originales de l’album (toutes de Marie-Neige, sauf un titre de Don Cherry – Solidarity).
L’intégration des genres est organique et naturelle. C’est habilement tissé et non patché à la va-vite comme d’autres aventures de métissage. S’en dégage un esprit de synthèse qui profite de l’instinct musical sûr de la violoniste, leader prolixe et généreuse d’un univers sonore où le lyrisme communicatif de l’instrument classique s’envole sur un coussin de rythmes propulsifs et soutenus (Jean-Félix Mailloux à la contrebasse et Pierre Tanguay à la batterie). Les crépitements ingénieux de la guitare électrique de Bernard Falaise finissent d’apporter couleur, scintillance et induction voltaïque à l’ensemble.
Sans s’éparpiller, la compositrice réussit néanmoins à créer des atmosphères bien caractérisées pour chaque pièce. Dans Lost Child, par exemple, on se retrouve devant un décor en Panavision façon Hollywood où une bande de Roms chevauchent à travers la Sierra à la poursuite d’une diligence grâce une verve rythmique vaguement est-européenne sur laquelle sont saupoudrées les vibrations morriconiennes de Falaise. Ou encore, tiens, ce Pakora qui invite à une agréable flânerie dans un marché de Delhi.
Toutes ces évocations sont subtiles, mais identifiables. Elles n’envahissent jamais le sentiment général d’originalité ni ne portent ombrage à l’identité des compositions, qui sont avant tout contemporaines dans leur mixité et jazz dans leur expression.
Quelques teintes impressionnistes ajoutent une touche finale à cet opus hyper réussi, et surtout prometteur d’un avenir créatif très intéressant pour Marie-Neige Lavigne. L’artiste a fait des études académiques solides, en plus d’être une habituée depuis longtemps à l’avant-garde contemporaine et celle de la musique actuelle.
Elle s’émancipe ici (du moins sur disque) de son rôle de violoniste attitrée de Cordâme, le bébé de son collègue et compagnon de vie Jean-Félix Mailloux, tout en proposant une alternative complémentaire à l’ensemble plus chambriste classique, mais tout aussi mordoré d’influences éclectiques. À la scène comme dans la vie, un couple sain s’exprime à deux, avec des voix autonomes mais qui savent résonner en complémentarité.
Marie-Neige Lavigne a de toute évidence une fibre communicative et picturale. Qu’on lui confie une trame sonore de film au plus sacrant!