Le chef-d’œuvre de la littérature d’horreur, The Shining, en version opéra? Oh que oui. Ce n’est même pas surprenant, cette histoire a tout ce qu’il faut pour être mise en scène. Paul Moravec, le compositeur, affirme que The Shining traite des trois sujets fondamentaux de l’art lyrique en général : l’amour, la mort et le pouvoir. Bien entendu, la version cinéma de Stanley Kubrick est un accomplissement en soi, tant sur le plan visuel que celui du jeu de Jack Nicholson, transcendant de démence. Il faut éviter de trop se rattacher à cette incarnation du personnage et du scénario conçu par Stephen King, car on pourrait être déçu. Qui, en effet, pourrait égaler la vision kubrickienne et la performance de Nicholson? Qui plus est un chanteur lyrique?
Il faut dès lors retourner au matériau d’origine (le roman de King), comme le font Moravec et Campbell (le librettiste). Du coup, nous avons accès à un contenu riche de potentiel scénique et musical presque infini, dans une perspective remise à neuf. Mark Campbell (qui a également signé le livret de Silent Night, sur la musique de Kevin Puts) respecte les grands arcs dramatiques de l’histoire, tout en ajoutant un supplément d’âme au père, Jack, dont nous entrevoyons le passé de victime d’abus par son propre géniteur. Campbell ajoute également une fin plus honorable au personnage de Jack en lui faisant choisir de laisser la chaudière exploser, détruisant l’hôtel et lui-même d’un seul coup.
Moravec utilise une palette chromatique oscillant entre atonalisme et tonalité saturée, et parsème adéquatement ici et là sa partition de chœurs fantomatiques, d’une ritournelle enfantine teintée de menace et d’autres couleurs expressives assez efficaces. Le résultat sonore est un métissage entre la musique de l’Âge d’Or hollywoodien et la Seconde École de Vienne. La dramaturgie s’en trouve habilement rehaussée, bien que votre humble serviteur n’aurait pas détesté un peu plus de mélodisme cinématique parcimonieusement déposé, afin de propulser l’ensemble au-dessus d’un certain générisme moderno-lyrique.
Les solistes vocaux sont bons, exception faite de la soprano Kelly Kaduce (Wendy), dont le vibrato généreusement étendu devient vite irritant. Edward Parks (baryton) est très solide dans le rôle de Jack, dont la descente aux enfers de la démence est fort crédible, bien que plutôt rapide. Mais ça, c’est la durée relativement courte de l’opéra qui le veut ainsi. On remarque aussi la performance impressionnante du jeune garçon Danny (Tristan Hallett) dans un rôle exigeant pour un enfant de cet âge. Les autres personnages sont convaincants, surtout avec l’appui de la musique de Moravec qui sait les incarner avec vitalité.
Malgré quelques bémols, The Shining est un nouvel opéra de grande qualité qui frappe fort côté attractivité tout en demeurant sérieux et exigeant. Son potentiel de succès auprès du grand public autant que des mélomanes pointus en fait une œuvre à retenir pour les programmateurs de compagnies lyriques. Prenez note.