Poésie guyanaise, sphère intime et lame de fond politique : voici la dernière mixture de Loyle Carner. Entre l’échantillonnage gospel (Nobody Knows, du pasteur-musicien T. L. Barrett) et les extraits de poèmes d’activistes, le ton diffère de ses précédents albums. Ce ton s’accorde avec la volonté de regarder ses propres profondeurs, l’obligation de grandir et la paternité qui amène d’autres questionnements, parmi lesquels « D’où viens-je? », « Où vais-je? » et « Qui suis-je? ». Un homme qualifié en anglais de « mixed race », que le français adoucit par le mot « métis », mais que dit-il en réalité ? Dans son regard, c’est une histoire de classe sociale; dans ses oreilles, ce sont les touches noires et blanches du piano (Georgetown, ville dont est originaire le poète John Agard qu’on entend sur la pièce), utiles à la composition d’une symphonie.
L’entrée dans cette atmosphère se fait brute, les voix sont alarmistes et les cymbales incisives, introduisant un son de piano radiophonique que j’associe à l’identité de Loyle Carner depuis ses débuts. Dans son ventre, l’album s’adoucit dans un morceau aux sonorités plus jazz (Homertown), grâce à la voix d’Olivia Dean, à des cuivres lents et à quatre notes au piano. Les bruits de la ville – évoquée par les sirènes d’une voiture de police – et le silence de la nuit sont la berceuse d’un garçon sans père, devenu père et cherchant la magie pour rassurer son fils. C’est finalement le cœur de cet album qui guidera l’ensemble de ses paroles, pointant la condition noire, les crimes à l’arme blanche et, à la fin, l’amour auquel il aspire pour sa famille.
Sur les productions de Kwes avec les samples de Madlib, les morceaux de Loyle Carner semblent simples, en apparence. Son album emprunte à la néo-soul (Plastic) ses contretemps à la batterie, choix logique à mes yeux, au regard d’une critique d’une société matérialiste, animée par le paraître et le synthétique. Le piano reste le fil directeur de son œuvre générale et répond humblement à sa voix d’homme-enfant, dont l’influence UK persiste.
Dans une récente entrevue, il parlait de la nécessité de trouver son identité en dehors des boîtes que l’école peut nous offrir, soulignant la chance d’avoir une mère enseignante spécialisée dans l’aide aux enfants en difficulté. Écrire cet album, c’est peut-être rendre à Jean (sa mère), ce qu’elle lui a offert, et poser les fondations d’une identité à son fils. Cela me dit qu’on trouve des parts d’amour partout, même dans les identités les plus morcelées. Enfin, cela me dit aussi que Benjamin Gerard Coyle-Larner a grandi.