L’avenir du bandonéon est-il féminin? Chose certaine, la française Louise Jallu emmène cet instrument vers des nouveaux sentiers. Avec Jeu, son troisième opus, Louise Jallu permet au bandonéon d’aller au delà du regretté Astor Piazzola. Ce n’est pas rien.
Inventé en Allemagne, le bandonéon, qui s’apparente à l’accordéon, est l’instrument privilégié du tango argentin et Uruguayen. Astor Piazzola a transformé le tango populaire en musique plus savante, en y ajoutant des ingrédients jazz et classique. Tous ceux qui ont vu son spectacle au Spectrum de Montréal en 1984 en éprouvent toujours des frissons. L’enregistrement est toujours disponible sur le site web de la Bibliothèque Nationale du Québec.
Piazzola a eu de nombreux émules et disciples, dont Juan-Jose Mosalini et, au Québec, Romulo Larrea et Denis Plante. Mais la jeune française Louise Jallu va plus loin. Elle affranchit le bandonéon du tango, sans renier Astor Piazzola et ses descendants. Son album précédent, Piazzola 2021, lui était d’ailleurs dédié.
Jeu s’ouvre sur un rythme jazz, pour ensuite nous plonger dans un mélange de Robert Schumann (1810-1856) et de Alban Berg (1885-1935), des musiciens classiques germaniques. Par la suite, on entend du bandonéon répétitif, méditatif, du bandonéon qui blues avec une guitare électrique saturée; une reprise d’une chanson de Georges Brassens et une version du Boléro de Ravel que je qualifierais de jouissive. Il y a tellement de couches qu’on en découvre de nouvelles après plusieurs écoutes.
Tout cela pourrait être trop éclectique et indigeste. Ce n’est pas du tout le cas. Louise Jallu s’amuse à jouer entre ces genres tout en affirmant sa singularité comme bandonéoniste et comme musicienne. Elle est accompagnée par des musiciens fabuleux, ainsi que par le compositeur français contemporain Bernard Cavanna, aux arrangements. Il a été son professeur au conservatoire de Genevilliers, un des hauts lieux de l’enseignement du tango en France.
Jeu est un formidable terrain de jeu musical pour Louise Jallu, qui est n’âgée que de trente ans. À quel jeu jouera-t-elle dans dix ou vingt ans? Elle a dit qu’elle adorait « l’état d’esprit de la transgression musicale » tout en respectant la tradition. Ça promet.