Il y a une sorte d’alignement des astres sonores entre la texture un brin rugueuse du cor naturel (instrument sans valves, contrairement à son avatar moderne, et où tout se joue uniquement avec la pression des lèvres et l’emplacement de la main dans le pavillon) et celle, aigre, du piano forte (prédécesseur du piano moderne). Comptez sur le corniste québécois Louis-Pierre Bergeron, cela dit, pour créer des lignes amples, souveraines et, malgré tout, moelleuses dans leur projection sonore. Bien que l’instrument de Meagan Milatz (jeune diplômée de McGill) soit capté avec un peu trop de distance, il offre un accompagnement leste et précis en soutien du soliste.
Le choix du répertoire a de quoi réjouir les curieux et curieuses car, à partir de la Sonate pour cor et piano en fa majeur, op. 17 de Beethoven, Bergeron nous amène à découvrir tout un répertoire passablement oublié, mais qui révèle quelques trésors insoupçonnés. Le pimpant Duo pour cor et piano en ré majeur de Righini, daté ‘’d’autour de 1780’’ pourrait bien s’avérer la première œuvre reconnue pour cor et piano de l’histoire. C’est suivi par la Sonata di bravura pour cor et piano en mi bémol majeur, op. 13, de Cipriani Potter, la pièce la plus tardive du programme. C’est une œuvre qui impressionne par la gamme élargie des émotions partagées, mais aussi par plusieurs passages utilisant des techniques uniques à l’instrument, comme ces échanges entre sons filtrés et ouverts dans le mouvement central. La finale de caractère héroïque donne à cette sonate une personnalité pleinement appropriée.
Un Mouvement de sonate pour cor et piano en mi bémol majeur (resté inachevé) de Franz Süssmayr (ami et collaborateur de Mozart) apporte une bonne dose de pétillance bien viennoise à l’ensemble. Si on est ramené régulièrement au Concerto K 412 de Mozart dans le style et les affects, Süssmayer sait néanmoins conserver sa propre voix en faisant de cette pièce un exercice déclamatoire empreint de bravoure ostentatoire.
Nikolaus Freiherr von Krufft est peut-être un illustre inconnu mais sa Sonate pour cor et piano en mi majeur datant de 1814 bénéficie néanmoins d’une certaine renommée dans le petit monde des cornistes, ayant déjà été enregistrée par Hermann Baumann, entre autres. Je n’ai pas entendu la version de Baumann, mais celle présentée ici par Bergeron n’a certainement rien à envier à la précédente. Le Québécois est pas mal épatant dans le rendu qu’il fait des nombreuses lignes virtuoses et des effets sonores disparates réclamés par Krufft. Cette sonate, pleine d’esprit et de belles phrases mélodiques, sera une découverte mémorable pour plusieurs. L’Andante espressivo est particulièrement touchant et poétique. Une grande page de la musique de chambre tous instruments confondus, assurément.
Le plat principal de l’album, la Sonate pour cor et piano en fa majeur, op. 17 de Beethoven, aussi destinée pour le violoncelle (instrument plus vendeur pour les éditeurs de l’époque), est une œuvre de relative jeunesse du compositeur mais qui témoigne tout de même d’un caractère déjà fort personnel. La pièce fait un bel usage des notes basses de l’instrument et Bergeron leur donne une résonance bien affirmative. La maîtrise des arpèges du soliste teinte aussi très agréablement le discours bellement optimiste de cette sonate, un pilier du répertoire des cornistes. L’utilisation du cor naturel (accompagné du pianoforte) place cette version toute québécoise dans une catégorie un peu à part de l’œuvre et lui offre surtout un caractère très authentique, vis-à-vis d’autres grandes lectures de cornistes bien établis qui utilisent, pour la plupart, des instruments modernes.