Quel destin rocambolesque que celui de Leslie Winer! Quelques heures après sa naissance, on la vendait dans le stationnement de l’hôpital pour la somme de 10 000$. Des années plus tard, elle quittait le Massachusetts pour aller étudier les arts visuels à New York. Après s’y être acoquinée avec nul autre que William S. Burroughs, elle entama une fructueuse carrière de top model au début de laquelle elle vécut avec Jean-Michel Basquiat. Le designer Jean-Paul Gauthier dira plus tard d’elle qu’elle aura été « le premier modèle androgyne ». Son travail l’amena en Angleterre où elle fit quelques rencontres qui l’aidèrent à concrétiser sa passion pour la musique : Kevin Mooney (Adam and the Ants), Jah Wobble (Public Image Ltd.) et Karl Bonnie (Renagade Soundwave). En 1990, elle publia Witch, son premier album qui, bien que remarqué par le fameux dj John Peel, ne rencontra qu’un maigre succès d’estime. Elle continua néanmoins son travail musical, multipliant les collaborations et inspirant de nombreux artistes tels Grace Jones, Boy George et Sinéad O’Connor qui chanteront tour à tour ses compositions. Elle réside maintenant dans la campagne française où elle a élevé les cinq filles qu’elle a eues avec Kevin Mooney.
L’étiquette Light in the Attic fait aujourd’hui œuvre essentielle en faisant paraître When I Hit you – You’ll Feel It, une anthologie résumant le parcours de cette créatrice visionnaire que l’industrie n’a pas toujours su prendre au sérieux. Les quelques pièces de Witch au programme nous font comprendre pourquoi des critiques ont déclaré que cet album faisait de Winer l’ancêtre du trip-hop. Bien qu’un brin tirée par les cheveux, cette déclaration n’est pas complètement erronée. Ses boucles rythmiques répétitives et les ambiances nocturnes qu’il déploie en font effectivement un disque précurseur. Sur ses trames sonores minimalistes, la musicienne déclame sa poésie féministe revendicatrice d’une voix nonchalante. En fait, on a parfois l’impression d’entendre une Laurie Anderson qu’aurait remixée un magicien du dub comme Lee Scratch Perry. Parmi les autres joyaux que recèle cette compilation, quelques-uns font état des collaborations fécondes auxquelles l’artiste prit part. En compagnie de Mekon, Jon Hassell, Christophe Van Huffel, Diamond Version ou Jay Glass Dubs, elle amène ses sombres cantiques engagés visiter une grande variété d’univers : électro de pointe, jazz mutant, americana hallucinée.. Un grand merci à Light in the Attic! Il était grand temps que plus de gens puissent découvrir cette poète-sorcière dotée du don de prophétie musicale.