Lorsque des probabilités que l’on croit faibles se réalisent, on va parfois s’imaginer qu’une instance omnisciente nous transmet quelque signe. Or, n’importe quel actuaire agréé et le moindrement pédagogue nous expliquerait, patiemment, que ces probabilités ne sont pas si faibles et que cette histoire de signe n’est, par conséquent, que pure foutaise. Ainsi, un musicophile peut regarder Klute, un film datant de 1971 et mettant en vedette Jane Fonda, puis le lendemain écouter une chanson dont le premier couplet est « J’embrasse une inconnue dans l’espace fumeurs, on dirait Jane Fonda en 1972, je l’invite chez moi, elle enlève ses bottes en disant ne dis rien ». Drôle de coïncidence, auriez-vous envie de dire au musicophile. Et vous auriez raison, puisque ce n’est que ça : une drôle de coïncidence.
La chanson susmentionnée s’intitule Je suis dans la data et provient de L’effet waouh des zones côtières, nouvel album du trio Institut, après Spécialiste mondial du retour d’affection (2016) et Ils étaient tombés amoureux instantanément (2011). Arnaud Dumatin a presque tout écrit et composé, puis a exécuté et arrangé les pièces avec Emmanuel Mario, qui a réalisé et mixé l’album, fort de nombreuses collaborations avec, notamment, Arnaud Fleurent-Didier, Hyperclean, Julien Gasc et Lætitia Sadier. Nina Savary, véritable enfant de la balle puisque née de l’union des saltimbanques Jérôme Savary et Mona Heftre, élève la proposition de sa voix exquise.
Comme parolier, Arnaud Dumatin se pose généralement en observateur désabusé. Il nous balade dans le champ littéraire de Michel Houellebecq, là où l’air ambiant exhale des effluves de fin de civilisation, comme dans Prenez soin de vous (« On te propose une sélection de nos produits à prix mini, du moyenne à haut de gamme, plug anal, anneau à pénis, vibrostimulateur, prenez soin de vous »), dans Un instant de plénitude (« Je suis prêt à t’aimer, à me réinventer, à gagner sur WhatsApp un instant de plénitude (…) Je suis prêt à cofinancer le projet d’alunisseur au grand réservoir sphérique de Jeff Bezos ») ou encore dans On se voit demain (« On se voit demain en présentiel, on se voit demain, on se voit demain, on se voit demain en distanciel »).
Malgré tout et sans égards aux probabilités, aux signes et aux coïncidences, le musicophile sera réconforté par L’effet waouh des zones côtières car la poésie, même lucide et blasée, demeure porteuse d’espérance.