Le deuxième album de la Montréalaise Kee Avil évoque la précarité de la vie actuelle le brouillement de la communication et du sens directs profondément altérés dans un environnement numérique où les interactions et le déluge d’informations meublent une large part de l’activité humaine au quotidien.
Lorsque j’ai assisté à son concert il y a quelques mois au Centre Phi, je suis tombé de ma chaise. La poétique et l’envergure intellectuelle de cette femme est au service de ses émotions les plus viscérales, on est aux antipodes d’une approche pamphlétaire, l’affect est au coeur du discours artistique.
Mais il est ici question de musique et Kee Avil nous emmène sur des chemins parfois sombres, parfois gris métallique, mais parfois lumineux. Ses musiques de synthèse lorgnent le bruitistme, le glitch minimal ou l’électroacoustique vieille école, mais ces trames électroniques sont au service de la voix et d’instruments acoustiques et électriques comme la guitare, la basse, le violon (ou la percussion sur scène), à la seule condition que ces trames soient au service de l’expressivité et du ressenti.
Ainsi, nous devons suivre cette déambulation onirique qui tient du somnambulisme, comme s’il fallait, dans un réveil brutal, en déterminer la symbolique et le sens. Ce projet n’a rien à voir avec le divertissement, la beauté et laideur (voir les pustules de la principale intéressée sur la pochette de l’opus) s’y côtoient comme dans la vie, l’étrangeté bruitiste et la douceur de la voix, le martèlement et le soupir, le grincement et le roucoulement.
Quelque part entre Polly Jean Harvey (pour l’exploration rock) et Laurie Anderson (pour la pertinence informatique, pour le conte et la réflexion), Kee Avil peut se passer de comparaisons. Ses postures post-punk et expérimentales ne ressemblent à rien ou à peu de gens, ce qui est en soi un gage de profonde singularité. Ce qu’elle nous a fait découvrir sur scène au printemps dernier est l’une des meilleures prestations montréalaises cette année. L’album est un peu moins éloquent mais la démarche mérite les meilleures notes de 2024.