L’autodidacte de Calgary Jairus Sharif traîne sa verve sonore dans les sous-sols obscurs de l’indie de toutes sortes depuis une vingtaine d’années. Trafiquant solitaire de bribes musicales aussi bien trempées dans le hip hop que le punk ou l’électro, le voici qui, depuis l’achat salvateur d’un saxophone pendant la pandémie, se plaît à titiller sa fibre jazz expérimentale. Et le résultat est tout bonnement fascinant!
Water and Tools est un voyage halluciné, et hallucinant, mettant en scène un décor onirique bruitiste qui ne fait pas l’impasse sur quelques excursions en landes africaines, le tout déployé avec force conviction dans un canevas technicolor/psychédélique. On se croirait chez Sun Ra, pour un certain effet mystique, mais sans le kitch. Je pense aussi à un cousinage évident avec Interstellar Space de Coltrane. D’habitude plutôt ermite musical, Sharif ose cette fois une collaboration avec le claviériste Maximilian Turnbull de Badge Epoque, U.S. Girls, et Cosmic Range, entre autres. Les poussées d’adrénaline du saxo, surprenamment bien maîtrisé pour un gars qui s’y est mis depuis à peine un an et demi, se retrouvent habillées de flots fantasmagoriques dignes d’une trame sonore d’un vieux film de Cronenberg qui aurait été composée par Vangelis. Les ajouts de riches textures numériques, toutes de Sharif, finissent de remplir l’espace sonore comme un orchestre barraqué.
Aussi improbable qu’admirable, Sharif vient de prouver que le free jazz peut être aussi lyrique qu’implacablement exigeant. Étonnant et renversant.